Débat du 4 mai 2017 sur le thème :
« liberté d’expression et information digitale »


Cet échange s’inscrit dans le cadre des forums interactifs organisés par la division de l’information du public de l’UNESCO au profit de jeunes lycéens issus majoritairement de zones d’éducation prioritaire. Cette rencontre s’est tenue au lendemain de la journée mondiale de la « liberté d’expression ». Elle a réuni pendant deux heures 400 jeunes (de troisième jusqu’à la terminale) invités à la fois comme témoins d’échanges entre experts et comme questionneurs.

Après une introduction pour présenter les missions de l’UNESCO au service de la Paix , en mettant tout particulièrement l’accent sur le domaine « information-communication » mais aussi « les droits de l’homme », les témoignages de journalistes « de terrain » ont été entendus : un reporter, Florence Al Ashwad, ancienne journaliste de Al Jazeera franco-syrienne, un journaliste enquêteur de Mediapart, Fabrice Arfi, une troisième participante venant du monde de l’information en continu particulièrement impliquée dans le suivi du numérique et des réseaux sociaux (France 24) ainsi qu’une représentante de l’UNESCO ancienne journaliste, chargée à l’UNESCO des relations avec les media.

La discussion — largement nourrie d’expériences vécues plutôt que de réflexions purement conceptuelles — a permis d’aborder de nombreux sujets très concrets, allant souvent au-delà des questions touchant au numérique pour faire ressortir la grandeur et les difficultés du métier de journaliste, et tout particulièrement les risques qu’ils peuvent prendre lorsqu’ils s’engagent sur des sujets ou dans des pays sensibles : atteinte à la liberté, menaces, censure, violence… et, parfois, hélas, mort. Les médias sont essentiels pour garantir le pluralisme et la démocratie, a-t-on rappelé, en même temps qu’était soulignée une réalité du monde qui est loin d’assurer partout la même liberté pour la presse et les media en général.

Fabrice Arfi (Mediapart) a particulièrement insisté sur l’importance des faits. Pour lui, il est essentiel que les journalistes puissent mener l’enquête et rapporter une « information vraie », ce qui suppose de mener un travail sérieux, approfondi de vérification, d’authentification, avec patience et opiniâtreté. Sans doute aura-t-il un peu trop insisté sur cette exigence de rapporter les faits et de s’en tenir aux faits, donnant ainsi du journalisme une vue plutôt étroite et ne mettant pas assez en évidence les difficultés ou l’excès simplificateur qu’il y a à vouloir relater les seuls faits : les faits, sont à situer dans des contextes difficiles, ou à interpréter, ces points n’ont été que partiellement évoqués. Néanmoins, à plusieurs reprises, ils ont été suggérés lorsqu’on a insisté sur les qualités d’un bon travail journalistique, à savoir une aptitude à traiter les sujets objectivement, autant que faire se peut étant observé qu’existent toujours des biais liés notamment aux convictions. C’est finalement une autre vertu qui a été mise en exergue : l’honnêteté, terme préféré à ceux de conscience ou d’exigence éthiques (jamais mentionnés). Il a aussi été fait allusion au pouvoir de l’argent lorsque les media sont contrôlés par de grands groupes industriels, commerciaux ou financier, comme cela tend à être le cas en France. Néanmoins, probablement par manque de temps, on n’a pas parlé des moyens susceptibles d’être mis en place pour protéger l’indépendance des journalistes.

S’agissant plus particulièrement de l’impact et des risques spécifiques liés aux nouvelles formes de diffusion et de traitement de l’information, avec toute l’influence du numérique, les éléments suivants ont été indiqués : il y a un réel danger des effets d’amplification et de contagion avec des techniques qui font tout à la fois s’accélérer les flux d’information et se multiplier les producteurs ou commentaires de nouvelles, sans aucune garantie de fiabilité. Ce sont les réseaux sociaux qui sont visés ici, mais aussi les chaînes d’information en continu si elles ne mettent pas en place des protections, ou des règles de conduites. Le cas de France 24 est tout à fait intéressant dans la mesure où cette chaîne est très internationale avec trois langues et une large couverture de diffusion. Cela lui impose de veiller particulièrement aux données diffusées, à travers l’analyse critique des informations tant il est vrai que les « fake news » ou les manipulations ne sont pas une vue de l’esprit, (des filtres sont mis en place). Autre préoccupation signalée, l’immédiateté qui peut être un piège.

Finalement, en dehors de la référence aux droits de l’homme tout à fait appropriée pour justifier et protéger l’exercice de la fonction de journaliste, Fabrice Arfi a très opportunément rappelé ce qu’étaient pour M. Hubert Beuve-Méry les deux qualités essentielles d’un bon journaliste: « le contact » et la « distance »… Cela avait été dit bien avant la révolution numérique, mais ce qui était vrai à l’époque l’est certainement encore plus de nos jours quand l’utilisation déviante des technologies de l’information amène à fausser les contacts (trop rapides, trop superficiels etc) et à ne plus savoir garder une distance critique (l’immédiateté, le présentéisme, la sur-réactivité, l’impatience).

Y.N