UNESCO – Journée internationale de la langue maternelle 2017

« Vers des avenirs durables grâce à l’éducation multilingue»

Mardi 21 février 2017


Trois temps marquaient cette 17ème Journée internationale de la langue maternelle :
un premier temps d’allocutions, dont celle de Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO,
un deuxième temps sur la contribution des langues au développement durable et un troisième temps sur l’incompréhension entre les langues créoles.1


Allocutions
Modérateur :
M. Qian Tang, Sous-Directeur général pour l’éducation, UNESCO

Allocution d’ouverture : Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO

« A l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, l’UNESCO réaffirme son engagement total pour la diversité linguistique et le multilinguisme. Il ne peut y avoir de dialogue authentique, ni de coopération internationale efficace, sans le respect de la diversité linguistique, qui ouvre à la compréhension véritable de chaque culture. C’est pourquoi l’apprentissage des langues est à la fois une promesse de paix d’innovation et de créativité… L’éducation et l’information dans la langue maternelle est primordial pour améliorer les apprentissages, développer la confiance et l’estime de soi, qui sont parmi les plus puissants moteurs de développement  A l’occasion de cette Journée je lance un appel pour que le potentiel de l’éducation multilingue soit reconnu partout, dans les systèmes éducatifs et administratifs, dans les expressions culturelles et dans les médias, le cyberespace. »


Allocution : Mme Youma Fall, Directrice Langue Française, culture et diversité,
Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

Bâtir un espace de solidarité francophone fondé sur les principes d’humanisme, de démocratie et de respect de la diversité des cultures et des langues tel est le but poursuivi par la Francophonie. La conviction que la richesse vient de la diversité est au cœur de son engagement pour la diversité culturelle et linguistique.

L’OIF, en particulier, est maître d’œuvre de l’Initiative ELAN-Afrique (École et langues nationales en Afrique) lancée en 2012 et qui émane de huit pays d’Afrique subsaharienne francophone2. Elle vise la promotion et l’introduction progressive de l’enseignement bilingue articulant une langue africaine et la langue française au primaire, en particulier dans les écoles des zones rurales, pour remédier à l’échec scolaire dû à la difficulté d’acquisition de la langue française.


Allocution : S. Exc. M. Sergio Caceres Garcia,
Ambassadeur, Délégué permanent de la Bolivie auprès de l’UNESCO

Les défis d’une société  multiethnique et multilingue : la Bolivie est un pays multilingue où la population autochtone est majoritaire et où cohabitent une quarantaine de langues presque toutes amérindiennes. La question des langues et des droits des populations autochtones s’est posée depuis longtemps. Elle a été spécifiquement adressée dans la nouvelle constitution de janvier 2009.

La constitution de 2009 reconnaît les nations autochtones (ou indigènes) et précise le renouvellement des institutions de l’État au sein d’un pluralisme juridique, politique, culturel et linguistique. Elle reconnaît 36 langues officielles. Elle prévoit des programmes éducatifs régionaux. Dans le domaine de l’éducation, la Loi sur l’éducation de 2010 établit que l’éducation doit commencer dans la langue maternelle, et son emploi est une nécessité pédagogique dans tous les aspects de la formation. Dans les communautés unilingues et majoritairement de langue indigène, la langue maternelle doit être dispensée comme première langue; le castillan, comme langue seconde. Dans les communautés majoritairement unilingues castillanes, le castillan est dispensé comme langue maternelle; la langue indigène, comme langue seconde. La Loi couvre également la situation des communautés multilingues et des langues en voie d’extinction qui doivent être protégées. La Bolivie dispose enfin d’universités autochtones, situation unique en Amérique Latine.


Allocution : S. Exc. M. Shahidul Islam,
Ambassadeur du Bangladesh en France et Délégué permanent auprès de l’UNESCO

Pour le Bangladesh, le « Mouvement pour la langue bengali» de 1952 est l’événement fondateur. A la suite de la déclaration en janvier 1952 par le gouvernement central du Pakistan que l’ourdou serait la seule langue officielle pour les deux entités, occidentale et orientale, le « Mouvement pour la langue bengali » proclama le 21 février 1952 comme le « Jour de la langue officielle ». Les étudiants de l’Université de Dacca défiant lors les interdictions du gouvernement central tinrent des réunions de protestation qui dégénérèrent en manifestations massives. Les réactions des forces de l’ordre furent violentes, plusieurs étudiants furent tués, des centaines furent blessés et arrêtés. Depuis lors, le « Ekushe February », c’est-à-dire le «21 février3» devint jour de commémoration pour les Bengalis et source d’inspiration pour l’émergence du Bangladesh indépendant.

Plus récemment, en janvier 2016 à l’UNESCO, s’est tenue la cérémonie de signature marquant la création de l’Institut international de la langue maternelle à Dhaka. La création de cet Institut sous l’égide de l’UNESCO vise à promouvoir le droit à l’éducation, à la diversité linguistique, le pluralisme culturel et la compréhension interculturelle.


2ème temps : La contribution des langues au développement durable.

Modérateur : Mme Noro Andriamiseza, Division de l’éducation, UNESCO

Éducation multilingue et accès à l’éducation en langue première : droits humains et discriminations. Perspectives pour la diversité linguistique dans l’espace francophone : M. Philippe Blanchet, Université de Rennes, Expert auprès de l’OIF

Philippe Blanchet rappelle que l’utilisation de la langue maternelle, notamment dans l’éducation est un droit fondamental garanti par de nombreux textes internationaux (ONU 1966 et 1976, UNESCO 1989, 1992, 2008, droits de l’enfance ONU 1989). L’empêcher constitue une discrimination répréhensible sur le plan éthique et sur le plan pénal dans de nombreux pays. Malheureusement, dans de nombreux pays aussi ce droit n’est pas respecté, il existe toujours une discrimination au prétexte de la langue.

Il souligne que de nombreux travaux ont montré tous les bénéfices que l’on retire d’une éducation plurilingue inclusive, incluant la langue dite maternelle, en termes d’alphabétisation plus large et plus rapide, d’apprentissage plus accessible et mieux réussis dans tous les domaines, y compris celui d’autre langues .

Au-delà, une éducation par la diversité linguistique et culturelle est une éducation au respect de la diversité humaine qui favorise les relations respectueuses, solidaires et pacifiques.

Des expériences et des résultats positifs d’inclusion des langues premières des élèves ont été proposés par divers pays francophones (voir initiative ELAN-Afrique) dont le Mali est un très bon exemple (progrès vers un plurilinguisme touchant les 35 langues du Mali, 2004 charte sur les langues maternelles, 2016 projet de loi).

Trois points en conclusion : Le défi actuel est la non application des instruments internationaux, la perte de la langue maternelle qui conduit à une « haine de soi », l’unité n’est possible qu’en reconnaissant la diversité.

Éducation multilingue et alphabétisation : 50 ans de célébration de la Journée de l’alphabétisation, son impact sur l’enseignement dans la langue maternelle : Mme Mari Yasunaga, UNESCO et Mme Barbara Trudell, SIL International Kenya

Au cours des 50 dernières années, des progrès dans l’alphabétisation ont été accomplis mais des défis demeurent. Le taux de l’alphabétisation des adultes au niveau mondial a progressé de 56% en 1950 à 86% en 2015 mais le rythme de progression s’est ralenti au cours des dernières années. Du fait de la croissance rapide de la population le nombre de personnes illettrées est aujourd’hui plus élevé qu’en 1950, passant de 700 millions à 745 millions. Le mouvement a favorisé l’alphabétisation des femmes mais deux tiers des personnes illettrées sont encore des femmes.

La vision de l’alphabétisation a elle aussi évolué passant de l’apprentissage de techniques de base pour inclure aujourd’hui la notion de fonctionnalité et d’autonomisation. Cette vision va continuer de changer. Trois facteurs : l’influence de ce qu’implique en matière d’éducation la réalisation des objectifs de l’agenda 2030 du développent durable (ODD4), l’apprentissage tout au long de la vie et le développement de la société numérique.

Les membres des communautés linguistiques « non dominantes » sont fréquemment marginalisés sur les plans social, politique, économique et éducatif. Les locuteurs de langues « non dominantes » ne représentent que 8 % de la population mondiale, mais plus de 40% pour cent de ceux qui ne sont pas alphabétisés. Les institutions nationales sont aujourd’hui encouragées à établir des programmes d’alphabétisation et d’éducation pour les enfants, les jeunes et les adultes, basés sur la langue maternelle et à visée multilingue4 qui permet aux communautés minoritaires ethnolinguistiques de participer à des cercles linguistiques plus larges tout en progressant pleinement dans la vitalité de leur propre langue.

Cette pédagogie présente cependant de nombreux défis : il peut y avoir 3 ou plus langues locales, quelle méthode adopter pour les transitions de langue « non dominante » à langue à rayonnement plus vaste, trouver des enseignants qui ont l’expertise, disponibilité des supports pédagogiques, élaboration d’un système d’écriture pour les langues « non dominantes », disponibilité de programmes multilingues.

Biodiversité et linguadiversité pour des avenirs durables : Mme Elisabeth Djukic, Mundolingua (Musée des Langues), France

Mundolingua, musée des langues, du langage et de la linguistique est unique au monde. Le musée présente toutes les langues sur un pied d’égalité, sans en favoriser aucune. Ouvert en 2013, il cherche à démocratiser la linguistique à l’aide d’une présentation ludique. Son centre d’intérêt est la diversité des langues/des parlers, « lingua-diversité » comme « bio-diversité », et sa préoccupation est la disparition de ces parlers (50% en 60 ans) tout à fait parallèle à la disparition des espèces. Le risque est celui d’une monoculture.

Le multilinguisme, un atout pour apprendre à mieux vivre ensemble : Mme Anna Stevanato, Association  DULALA  «  D’une Langue A l’Autre Langue », France.

Une constatation : les structures éducatives sont et seront linguistiquement plurielles. Crée en 2009, l’association DULALA est un pôle national de ressources et de formation sur le bilinguisme et l’éducation au plurilinguisme. Destinée aux acteurs du secteur éducatif de la petite enfance et de l’enfance, elle propose des ateliers, des formations et des ressources et outils pédagogiques afin de faire des langues diverses des enfants un levier pour mieux vivre et apprendre ensemble. Elle vise le danger de la stigmatisation des langues et des cultures des « autres », et cherche à promouvoir au contraire les attitudes positives.

Une conclusion 

Les langues constituent les instruments les plus puissants pour préserver et développer notre patrimoine matériel et immatériel. Tout ce qui est fait pour promouvoir la diffusion des langues maternelles sert non seulement à encourager la diversité linguistique mais aussi à sensibiliser davantage aux traditions linguistiques et culturelles du monde entier et à inspirer une solidarité fondée sur le respect, la compréhension, la tolérance et le dialogue.

Voir le poster « L’Éducation multilingue »

DG – 25/02/2017
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1 Ce compte rendu ne porte que sur les deux premiers temps

2 Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, République démocratique du Congo, Mali, Niger, Sénégal

3 Le 21 février a été choisi par l’UNESCO pour la Journée Internationale de la Langue Maternelle en référence à cet événement

4 Références anglaises fréquentes : «  Mother-tongue-first Education in a Multilingual World » et « Mother Tongue Based – Multilingual Education» (MTB-MLE)