une conférence – débat au cœur d’une actualité à risque

UNESCO  25 février 2015

Alors que le monde connaît aujourd’hui un regain de tensions communautaires et de persécutions culturelles et religieuses et que les actes racistes et antisémites s’intensifient, quel est le rôle des sociétés civiles en Europe et dans le monde arabe dans la lutte contre la menace que l’extrémisme violent représente pour nos sociétés ? Comment pouvons-nous, ensemble, combattre ce fléau par le biais de la culture, de l’Éducation, du dialogue, des médias ?

Le Projet ALADIN

Lancé sous le parrainage de l’UNESCO en mars 2009, le Projet Aladin vise à promouvoir le rapprochement interculturel, en particulier entre juifs et musulmans, fondé sur la connaissance mutuelle, l’éducation et le respect de l’histoire, le refus des conflits de mémoire, la primauté du dialogue et de la recherche de la paix sur la culture de l’affrontement et de la guerre.

Exposés introductifs

Trois exposés ont ouverts cette réunion.

La Directrice Générale, Madame Irina Bokova a replacé cette réunion sur le « Vivre ensemble », à la fois dans l’actualité des attentats récents en Europe, comme dans celle des pays du Moyen Orient dont certains sont à feu et à sang et dans la lignée du Projet Aladin initié en 2009, suite à certaines idées négationnistes, de mettre en place une structure de dialogue entre Juifs et Musulmans.

Face aux extrémismes qui se manifestent et qui sont, souvent, des manifestations de la peur, il est opportun de se rassembler dans la diversité des religions, le respect des Droits de l’Homme et travailler de concert, à un meilleur « vivre ensemble ».

Elle a souligné en fin, l’intérêt de cette rencontre où deux panels permettront d’entendre les points de vue des Pays du Moyen Orient d’une part et celui des européens.

L’ancien Président de la République de Mauritanie, Ely Ould Mohamed VALL, s’est exprimé, ensuite, en tant que musulman, arabe et africain, dans un vibrant plaidoyer sur le rapprochement nécessaire des civilisations, fondé sur le principe du libre arbitre qui est la caractéristique des trois religions révélées que sont l’Islam, le Judaïsme et la Chrétienté. Observant que le monde arabe était le berceau d’une brillante civilisation, il a condamné toute justification du droit de tuer et surtout de tout acte de violence réalisé au nom de la religion. « Celui qui tue l’homme, c’est comme s’il tuait toute l’Humanité » a-t-il conclu.

Monsieur Philippe Lalliot, Ambassadeur de France auprès de l’UNESCO, a rappelé, ensuite, la position de la France exprimée en quatre points :

  • Condamner et combattre le terrorisme de manière absolue,

  • Veiller à ne pas conduire au rejet de telle ou telle communauté religieuse,

  • Être intransigeant en condamnant des délits et non seulement des opinions,

  • Réaffirmer les principes républicains de laïcité et de liberté d’opinion.

Le point de vue des Pays du Moyens Orient

Sur le fond, le panel a insisté sur l’analyse « théologique » de la violence qui ne se trouve absolument pas dans les textes du Coran et qui sert, à tort et trop souvent de justification, y compris chez les Imams, à susciter des actes de violence.

Les médias, également mis sur la sellette, sont, tout autant attaqués, notamment par piratage, et ne peuvent à eux seuls garantir une claire diffusion de l’information (réseaux sociaux très bien maîtrisés par les djihadistes). Mais les médias du Moyen-Orient sont prêts à participer à une charte d’honneur pour limiter la diffusion d’informations capables de susciter et d’accréditer la violence.

L’Islam s’est politisé depuis 50 ans, perdant sa valeur essentielle de l’humanisme qui l’a caractérisé pendant des siècles, par ses savants et ses philosophes. Le drame est que les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes.

Mohamed Haddad, professeur à Tunis, a terminé en rappelant qu’Emmanuel Kant avait écrit, en 1795, « Vers une paix perpétuelle » et qu’il développait, déjà, les éléments d’une évolution « démocratique » du pouvoir politique, insistant sur la séparation des pouvoirs, des religions et de l’État, la liberté et l’égalité des citoyens.

Le point de vue de l’Europe

Rappelant qu’aucune spiritualité, laïque ou religieuse, ne peut s’épanouir dans le chaos, il a été rappelé qu’en face des exactions sur les juifs et les chrétiens, il y a aussi des musulmans qui meurent, des femmes, des forces de l’ordre…

Armand Abecassis, dans un intéressant parallèle entre les trois religions monothéistes, a souhaité que nos sociétés occidentales osent se critiquer de l’intérieur. « Le monothéisme comporte le risque de violence car il gomme le mode de contradiction », en prenant comme exemple le principe, aujourd’hui dépassé de « En dehors de l’Église, point de salut ». Et citant Levi-Strauss, il considère que la violence vient de la pensée unique alors que la parole est divine, justement parce qu’elle ouvre à l’autre d’autres interprétations.

Alors que faire ? Le panel s’est exprimé sur quelques pistes de réflexion. Tout d’abord, tenir compte que le monde arabe est en train de se transformer : nouvel équilibre familial avec un taux de naissance en régression, pouvoir des hommes remis en cause par l’élévation du niveau d’éducation des femmes plus rapide que celui des hommes… Nos civilisations occidentales doivent trouver des réponses au nihilisme où baignent les jeunes musulmans, pour qu’ils n’aillent pas rechercher de fausses réponses dans le djihadisme.

Conclusion

André Azoulay avait la charge de faire un synthèse rapide. Arguant du fait que les juifs sont depuis 3 000 ans au Maroc, qu’il est à la fois, arabe, berbère et juif, il observe que la coexistence s’y améliore en permanence mais qu’elle reste fragile. Pour lui, les mots de liberté se conjuguent très bien en arabe. Si on avance ensemble dans une dignité partagée des valeurs, on pourra sur la fracture qui s’est ouverte, reconstruire une dynamique d’un véritable vivre et penser ensemble.

Dominique Henri PERRIN

Annexe

Conférenciers et constitutions des panels
Modérateur : Ulysse Gosset, journaliste, éditorialiste international BFM TV

Avec la participation de :

• Turki Al-Dakhil, Directeur général de la chaine Al-Arabiya, Fondateur du Centre Al-Mesbar pour les études et la recherche,
• Mansour Al-Nogaidan, Directeur général du Centre Al-Mesbar pour les études et la recherche,
• Mohamed Al-Hammadi, Rédacteur en chef du journal Al-Ittihad,
• Jameel Al-Theyabi, Rédacteur en chef du journal panarabe Al-Hayat,
• Hakim El-Karoui, Roland Berger Strategy Consultants, Administrateur du Projet Aladin,
• Professeur Mohamed Haddad, Titulaire de la Chaire UNESCO pour l’étude comparée des religions à l’université de La Manouba,
• Abdullah Hamidaddin, éditorialiste et chroniqueur,
• Bariza Khiari, Sénatrice de Paris, Administratrice du Projet Aladin,
• Armand Abecassis, philosophe et sociologue,
• Mona Omar, experte en relations interculturelles.

En présence de :

• Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO,
• Ely Ould Mohamed Vall, ancien Président de la République islamique de Mauritanie, membre du comité de parrainage du Projet Aladin,
• André Azoulay, Conseiller du Roi du Maroc, membre fondateur du Projet Aladin,
• Éric de Rothschild, Président du Mémorial de la Shoah,
• Mohamed Moussaoui, Président d’honneur, Conseil français du culte musulman,
• Moché Lewin, Directeur exécutif de la Conférence des rabbins européens.