Villes accueillantes pour les réfugiés : Promotion de l’inclusion et protection des droits, un autre regard….

Une table ronde organisée le 9 mai 2016 à l’UNESCO sous l’égide de la Fondation Vardinoyannis et de la Coalition européenne des cités contre le racisme.

Un discours assez différent de ce que l’on entend venant du monde médiatique ou politique, plus concret, plus positif. Les migrations sont un fait, les villes sont mobilisées, il y a des difficultés logistiques ou budgétaires à surmonter, mais, plus encore, il faut vaincre les peurs, réussir l’intégration des arrivants. Ici beaucoup passe par l’organisation de dialogues, par le culturel, l’apprentissage des valeurs des pays d’accueil, singulièrement leurs langues. L’accent est mis sur le respect des personnes dans leur dignité, l’importance de l’éducation, et aussi singulièrement au Liban et en Grèce sur l’attention à porter aux populations les plus fragiles, notamment la petite enfance. Autre idée mise en exergue : l’apport avéré des migrants, en termes économiques mais aussi de créativité.

I Les interventions

UNESCO (Irina BOKOVA, directrice): relever un défi

Les migrants ne sont pas un fardeau, ni une menace. C’est un phénomène mondial qui touche à l’un des fondements de notre Humanité et qui appelle à la solidarité. Ici, on doit assumer des responsabilités. Il y a 20 millions de réfugiés dans le monde. En 2015 plus d’un million d’entre eux sont venus en Europe , plus de 3000 sont morts, et déjà sur les premiers mois de 2016 on compte plus de 1200 victimes des traversées de la Méditerranée.

Les villes qui reçoivent ces populations doivent ainsi répondre à d’importants besoins.

L’UNESCO a créé en 2004 La coalition internationale des villes contre le racisme  (International Coalition of Cities against Racism, ICCAR) dont La coalition européenne des villes contre le racisme (European Coalition of Cities against Racism ECCAR) fait partie. ICCAR constitue un réseau de plus de 500 villes dans le monde qui s’efforcent de promouvoir l’inclusion et le respect des droits et cherchent à développer des politiques efficaces et soutenables pour lutter contre le racisme, la discrimination et la xénophobie. Aux manifestations de racisme et de xénophobie que peut engendrer l’arrivée de migrants, il faut répondre avec de la tolérance, du dialogue, de bonnes pratiques, et des partenariats. Il y a des défis que l’on doit relever résolument, en parole et en actes, en se conformant ainsi aux objectifs d’inclusion que s’est fixée l’ONU.

L’UNESCO a organisé cette table ronde dans le cadre de son « Initiative sur la Culture et le développement urbain durable » une action qui s’inscrit dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement durable.

Les actions de la FONDATION grecque Vardinoyannis (Mme Vardinoyannis, présidente) : La protection des plus démunis

Cette fondation intervient sur le terrain, essentiellement en Grèce, avec des valeurs qui font partie de celles que défend l’UNESCO, à savoir une vraie protection des droits des réfugiés en tant que personnes.

La Grèce a accueilli 800 000 réfugiés en 2015 et en est déjà à 500 000 sur les cinq premiers mois de 2016.

Le véritable problème face à un tel afflux est de pouvoir préserver la dignité humaine de ces arrivants, de répondre à leurs besoins essentiels et en tout premier lieu de maintenir leur santé. A cet effet, la fondation a mis en place le programme « We care » qui assure un suivi médical pour les enfants (vaccination, soins, inscrits dans un carnet de santé) et couvre leurs besoins de première nécessité.

L’organisation bénéficie de la collaboration des municipalités de la côte grecque. Elle a créé des centres d’accueil qui privilégient l’aide aux enfants non-accompagnés et aux mères seules avec enfant mais Marina Vardinoyannis insiste pour que l’on aille au-delà d’une gestion des urgences, elle a parlé d’une culture d’inclusion des réfugiés et des efforts à produire pour leur assurer une nouvelle normalité.

ECCAR (Benedetto Zacchirolli, président) :

Il est très important de développer une culture d’accueil et d’hospitalité au sein des sociétés civiles. Il faut sensibiliser les populations, et tout particulièrement les personnels d’assistance sociale. C’est en effet par l’intermédiaire de ces derniers que les migrants entrent en contact dans l’immédiat et non pas avec des hommes politiques jusqu’aux chefs d’états qui voient les choses de très loin. L’attitude et le comportement des personnes et plus généralement des sociétés civiles sont importants à considérer aussi parce que les politiciens sont à l’écoute de leurs électeurs…. Deux exemples récents montrent à quel point ces phénomènes peuvent jouer : suite à la diffusion de la photo du petit Aylan trouvé mort sur une plage, des positions jusque là on ne peut plus réservée ont changé radicalement avec Munich qui s’est soudainement montrée plus ouverte aux réfugiés. Mais à l’inverse, après les graves incidents de Cologne, un retournement des opinions à l’égard des réfugiés a paru s’opérer.

Cela étant rappelé, il faut reconnaître qu’en dépit de cette malheureuse affaire, les municipalités avec leurs services spécialisés n’ont pas modifié leur façon d’agir : elles continuent avec constance leur travail d’accueil. Il importe que cette situation perdure, notamment en Europe qui ne doit pas se refermer, mais bien plus généralement c’est au niveau mondial qu’il faut préserver cette attitude positive, inclusive, et là l’UNESCO doit pouvoir pleinement jouer son rôle.

Global Migration Policy Associates, association internationale spécialisée dans la migration, Patrick Taran, président :

La façon de traiter les questions touchant aux migrations dépend beaucoup des perceptions que l’on en a et des valeurs que l’on entend promouvoir. Cela étant observé, il faut rappeler que « le phénomène migratoire » n’est pas nouveau, il a en fait toujours existé. Dans toute l’histoire, les villes ont dû faire face à des migrations. Pour s’en tenir à la période actuelle, on relève qu’un quart des populations des villes européennes sont des personnes nées d’immigrés. Ce sont des gens qui travaillent et qui apportent avec eux des compétences. Il faut briser le mythe du migrant qui profite de la sécurité sociale. L’immigration est la clé de la survie des économies occidentales. Les populations actives occidentales diminuent. Pour monsieur Taran les immigrés sont ainsi un moyen de mieux couvrir les besoins de main d’œuvre, au sein de société dont la démographie est déclinante.

Des stratégies d’intégration sont nécessaires dans les villes, qui sont des villes cosmopolites mais ces orientations peuvent buter sur deux obstacles souvent présents: l’austérité budgétaires qui ne facilite pas l’adoption de politiques sociales à l’adresse des migrants suffisamment ambitieuses et les préjugés voire la xénophobie à leur égard de la part de la population.

Mais des efforts sont déployés pour contrer ces tendances : Les 8 et 9 octobre 2015 a eu lieu à Karlsruhe en Allemagne la conférence générale ECCAR qui a eu comme titre « Des villes accueillantes – des clés pour une culture antiraciste dans les villes ». Parmi les conclusions en forme de soutien aux initiatives pro-actives en faveur d’un meilleur accueil des migrants, on signale un appel à concevoir des outils légaux aidant l’intégration des migrants et une déclaration de soutien à tout ce que font les autorités locales en matière d’accueil et d’intégration.

Au demeurant, les besoins à couvrir sont multiples, les situations sont parfois compliquées à gérer, il est alors très important de veiller à une bonne coordination des services appelés à intervenir (au niveau santé, logement, emploi, loisir, nutrition), de mobiliser des outils pertinents, d’adopter les meilleures pratiques en tirant parti des échanges d’information que l’on tend à développer.

Si l’immigration est un défi, elle offre aussi des opportunités.

Pour l’intervenant, l’avenir des villes européennes est pour une bonne part à voir se dessiner positivement avec la migration. Il faut voir ce facteur comme un plus et raisonner avec l’idée qu’ en s’intégrant ces nouveaux arrivants pourront favoriser le développement.

II Le débat – « questions – réponse des panelists »

Modérateur Georges Papagiannis (chef des relations avec les médias, UNESCO).

Question : Qui sont ces personnes, ces immigrés ?

Ralf Gruenert, le représentant en France de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés :

A partir d’une expérience personnelle en Croatie, s’agissant de réfugiés qui venaient de Syrie : ils avaient perdu tout espoir qu’une solution aux conflits pourrait être trouvée dans leur pays. Les réfugiés n’ont pas de choix, ils doivent quitter le pays à cause de la guerre. Les immigrés ont le choix. Il faut bien distinguer les deux cas.

Question : Quel est le rôle des identités culturelles ?

Parvati Naïr, United Nations University, Institute of Globalization, Culture and Mobility:

Les gens dans le monde ont beaucoup plus en commun de par leur qualité d’être humain que par l’identité culturelle. L’identité est quelque chose de fluide et qui évolue toujours. Le déplacement transforme notre identité. La ville a un rôle important : c’est le lieu où l’altérité se construit, le migrant forcément va devoir se construire un nouvel univers, et là doit être pris en compte l’effet des rencontres, il faut compter sur des phénomènes de ‘fertilisation croisée »

Question : est-ce que vraiment les villes sont des lieux d’intégration des personnes issues de migration ? quelles expériences ?

Susanne Asche, directrice du département des affaires culturelles, ville de Karlsruhe :

Dans cette ville des stratégies sont mises en place pour accueillir les migrants et leur permettre une indispensable insertion : des cours d’intégration payés par l’état sont organisés, cours de langue notamment mais aussi cours d’histoire. Par ailleurs les migrants sont invités dans les musées pour se familiariser avec l’art, la culture allemande. On leur facilite l’accès aux bibliothèques, musées, aux universités. On organise des festivals, des rencontres entre la population de Karlsruhe et les migrants. On fait dialoguer les cultures dans les lieux publics. Dialogue transculturel. La culture est jugée essentielle pour favoriser l’intégration, et cela ne peut avoir lieu qu’avec la rencontre de l’autre, « l’autochtone », avec un esprit de tolérance, et sans avoir peur d’entrer en dialogue. Une insistance toute particulière est mise sur l’apprentissage de la langue du pays d’accueil. C’est une condition essentielle pour favoriser l’intégration en général, mais encore plus, pour favoriser l’obtention d’un emploi.

Question : Les médias mettent des étiquettes faciles, ont un langage alarmiste, qui favorise les attitudes xénophobes. Est-ce que le UNHCR fait de l’éducation des médias ?

Ralf Gruenert, UNHCR (l’agence UN pour les réfugiés) : oui, récemment l’Agence a fait une campagne avec des photos des réfugiés sur lesquelles on donnait plus d’explications : un grand père dont le nom est précisé et qui a un tel métier, etc, pour que le réfugié ne soit pas considéré comme une menace.

Il faut que les Medias s’efforcent de moins colporter des images ou des discours biaisés, souvent excessivement négatifs, où le sensationnel et l’émotionnel l’emportent sur le regard objectif.

Interventions du public :

Prise de parole : L’ambassadeur de la Turquie auprès de l’UNESCO : les migrants peuvent amener des changements de paradigme. La Turquie est un pays de transit qui fait beaucoup au travers de ses municipalités en faveur de ces populations. L’accord avec l’UE va permettre des progrès. Une presse de ré-information serait plus utile qu’une presse de désinformation. Il faut établir un juste dialogue entre ceux qui demandent et ceux qui accueillent. On doit saluer le rôle des municipalités qui font au mieux. Mais on doit se préoccuper avant tout des causes à l’origine de tous les flux migratoire, pour les tarir à la source.

Prise de parole : L’ambassadeur de la Grèce auprès de l’UNESCO : le problème de la sûreté – une collaboration est à mettre en place avec les pays qui représentent des routes de transit pour les terroristes.

Question : qu’en est-il des échanges d’information entre les villes sur les bonnes pratiques ?

réponse : c’est un thème jugé essentiel. On compte les développer, mais ces partages doivent se démultiplier au sein de la société civile, et avec les élus locaux et nationaux.

Observation d’une personne libanaise : au Liban il y a 1 500 000 réfugiés, c’est un tiers de la population, ce qui va changer la donne sur le plan culturel. Dans 5 ans, dans les écoles au Liban il y aura plus d’enfants de réfugiés que des natifs.

Réaction : c’est l’intérêt des villes que d’assurer la meilleure cohésion sociale possible, notamment par l’école. Il faut bien prendre la mesure de l’ampleur du phénomène au Liban, un pays qui a certes une tradition d’hospitalité mais qui doit supporter un choc à la limite du soutenable ( le représentant du HCR)

Parvati Naïr : souvent dans le passé le problème de la souveraineté de l’état prévalait sur le critère de l’humanité. On voit se dessiner une vision plus équilibrée.

Question : Une personne irakienne : depuis « l’invasion américaine en 2003 » beaucoup d’irakiens sont tentés d’émigrer; mais ils ne sont pas heureux de le faire car ils laissent dans le pays leur maison, leur famille. Pourquoi ne regarde-t-on pas plus attentivement les causes qui déterminent ces gens à partir ? La vraie question à régler n’est-elle pas celle des « facteurs des migration » ?

Réponse : Patrick Taran : oui, il faut s’interroger sur les raisons déclenchant les flux migratoire. Un des éléments explicatifs peut être trouvé dans les exportations d’armes vers le Moyen Orient qui favorisent le maintien des conflits. Les interventions militaires (exemple les bombardements touchant les populations civiles) génèrent forcément le départ des populations civiles.

A propos des migrations qui produisent leurs effets négatifs, il faut aussi mentionner le terrorisme, ce dommage fait aux sociétés qui peut trouver son origine dans des politiques insuffisamment inclusives. Les échecs de l’intégration nourrissent des comportements antisociaux violents.

Prise de parole journaliste / anthropologue : L’homme n’est pas que homo economicus, il est aussi homo sapiens et a, comme tel, une vocation a constamment migrer : l’histoire de l’Europe n’est elle pas finalement une histoire de migrant ? Toutes les identités culturelles sont marquées par les effets de facteurs migratoires.

Parvati Nair : dans l’esprit de la précédente intervention, et à la lumière de travaux conduits sur la migration, on peut dire qu’en effet, d’une certaine manière, la mobilité est l’essence de l’homme, même si l’imaginaire collectif appelle à définir des limites ou des frontières. En réalité, tout se combine, et plutôt que de penser en des catégories qui se distinguent nettement pour voir la migration comme un élément « en dehors », mieux vaut raisonner en termes de combinatoire ou d’inclusion.

Prise de parole du représentant du Qatar : retenir une chose simple et qui perdure, le lien que l’on ne peut que déplorer entre les Guerres et les migration,

Benedetto Zacchirolli conclut les échanges en centrant son propos sur l’Europe tout en donnant une vue plus générale.

D’abord, pour compléter ce qui a été dit, il voit la multiplicité des initiatives partout dans le monde (un court métrage présenté illustre ce point) et, pour s’en tenir à l’Europe, il mentionne les engagements de Bologne (accueil d’étudiants-migrants par l’université), Liège, et Berlin.

Avec réalisme, il reconnaît que l’intégration totale n’existe pas ou requiert beaucoup de temps pour s’opérer, que l’apprentissage de la langue importe mais que c’est loin de suffire. L’enjeu et la condition du succès c’est la culture, mais pour y parvenir il faut à la fois des ressources et de la sérénité, et venant à l’appui de ce point de vue on nous cite l’approche de Matteo Renzi, le premier ministre italien, qui a mis en place une politique simple en Italie : 1 euro dépensé pour la sécurité – 1 euro dépensé pour la culture. Parce que la culture assure la sécurité.

Pour l’intégration,il faut le répéter, la société civile, les ONG, les réseaux d’associations sont très importants.

Enfin, toujours pour en rester au niveau européen, mais c’est généralisable, s’agissant des migrations, ce n’est pas une crise des réfugiés que nous subissons mais une crise de la gouvernance. Il faut savoir raison garder – surtout si on se remémore les chiffres de migrants au Liban – les nombres d’arrivants, même s’ils dépassent le million, ne représentent qu’un petit pourcentage par rapport à la population de l’Europe.

Quelques observations en forme de conclusion :

On relèvera l’importance des moyens mis en œuvre par beaucoup de grandes villes pour accueillir les migrants, et leur souci de favoriser des logiques d’inclusion, avec une implication de la société civile. Reste tout de même d’évidentes difficultés pour maîtriser pleinement un phénomène compliqué qu’il faut savoir appréhender dans toutes ses dimensions et ses spécificités, notamment lorsqu’il s’agit de distinguer les réfugiés des autres migrants. Mais de ces échanges très riches, nourris par des témoignages concrets, on retiendra comme une note d’espoir l’insistance mise sur des valeurs essentielles : le respect de la dignité des personnes, la nécessité du dialogue, l’ouverture à l’autre, l’importance de l’humain et du facteur culturel et là, on ne peut manquer de faire le lien avec les messages du pape François (voir notamment son récent discours du 6 mai 2016 donné à l’occasion de la remise du prix Charlemagne à Rome).