60 ème Congrès de l’Union Nationale
des Directeurs de Conservatoire de Musique


Maison de l’UNESCO le 27 janvier 2017

Table ronde :  «  Enseignement individuel et collectif, faut il les opposer ? »


Le thème choisi pour l’ouverture de ce Congrès a donné lieu à des échanges très riches avec des contributions d’acteurs intéressés par les questions éducatives, sans être des professionnels de l’enseignement artistique ou musical : un ancien professionnel du football réputé devenu acteur et metteur en scène – Frank LEBOEUF – une élue du Conseil de Paris (Mme BOULAY-ESPERONNIER) , un professeur de neurosciences cognitives. (M E BIGAND). La discussion introduite par Mme ANDRE présidente de l’Union Nationale des directeurs de Conservatoire)ne s’est pas limitée à répondre à la question posée, ou plus exactement le thème soulevé a permis d’énoncer un certain nombre d’idées fortes sur la musique dans son rapport à l’éducation en général mais aussi de faire apparaître certaines spécificités françaises qui révèlent des anomalies.


La complémentarité des enseignements individuels et collectifs

Une première idée fait consensus à propos de l’enseignement de la musique mais elle est généralisable, et s’applique tout aussi bien à l’exercice d’un sport aussi collectif que le football si on veut le pratiquer sérieusement : il y a toujours besoin d’une base fondée sur la Personne qui doit travailler sur soi, apprendre individuellement, avec nécessairement une discipline personnelle que l’on ne doit pas voir comme une peine mais comme une base sur laquelle on peut construire une trajectoire pour progresser, et bien s’insérer dans des parcours plus collectifs : au lieu de raisonner en termes d’oppositions « individuel-collectif », on doit miser sur la complémentarité des approches, s’agissant des conservatoires de musique, il ne faut pas éliminer les cours individuels ( et là il y a danger lorsque les choses sont vues sous un angle purement budgétaire ou même idéologique : cela coûte cher, l’enseignement individualisé favoriserait l’élitisme).


Les exigences : nécessité de l’effort, viser la qualité, l’excellence

La Musique s’apprend, s’enseigne comme une discipline dont il faut maîtriser les règles, et là il a été bien rappelé qu’on ne peut pas confondre l’éducation musicale avec le jeu : les conservatoires ne sont pas des centres de loisir, ce qui au demeurant ne doit pas amener comme conclusion que les uns doivent ignorer les autres.

Une partie de l’échange a traité de la question de l’excellence, du risque de discrimination au travers de visées supposées élitistes qui seraient défavorables aux populations défavorisées. De façon convaincante, il a été avancé qu’on ne doit pas opposer culture de masse et recherche de l’excellence, les jeunes doivent se voir tous offerts la possibilité pour eux d’aller le plus loin possible, sans qu’aucun préjugé ne freine les trajectoires qui vont dépendre de la personne, de l’enfant dont on va découvrir le potentiel au cours de son apprentissage, un apprentissage qu’il faut savoir présenter ( à l’enfant, aux parents) positivement, simplement.


Les pressions qui pèsent sur les jeunes : fatigue, dispersion, trop peu d’attention pour les matières artistiques


Les difficultés n’ont pas été ignorées, et tout particulièrement, il a été fait allusion à certains des méfaits de notre temps : d’abord précisément, on a rappelé cette question (pression) du temps qui manque, qui est consacré à trop d’activités, qui ne permet plus assez de sérénité ; les élèves arrivent fatigués à leurs cours de musique.

Autre difficulté soulignée, et qui semble particulièrement aiguë en France : l’état d’esprit dominant à propos des parcours éducatifs ou scolaires dans un monde où on ne parle que de chômage ; les parents vont se concentrer sur ce qui leur parait essentiel pour réussir, et qui ne va pas privilégier les matières artistiques loin s’en faut, ce qui est regrettable : les enfants peuvent être mis sous pression se trouver éventuellement privés d’accès au domaine de la musique, et forcés de se concentrer sur des matières jugées comme les seules valables pour leur avenir.


Les responsabilités du système : trop de complexité, pas assez d’écoute

Le système au demeurant ne fait rien pour atténuer les choses, comme en témoigne la réduction au fil du temps, du nombre d’heures allouées aux activités artistiques. De ce point de vue, sans que cela ait été dit aussi explicitement, la situation en France contraste avec celle d’autres pays européens, plus ouverts semble-t-il, à l’enseignement de l’art.

De certains échanges, il ressort une critique implicite de l’organisation ministérielle dans son approche ou traitement des questions artistiques : outre un déficit de considération sur ce sujet pourtant important pour aider à l’épanouissement de’ l’enfant, il y a ici comme ailleurs une difficulté qui tient à la complexité : qu’il s’agisse des statuts, des termes employés, des priorités, des institutions on comprend de ce qui est dit qu’il y a des silos hermétiques l’un à l’autre, une absence de dialogue, une diversité, toutes choses qui nuisent à une approche satisfaisante des choses : les secteurs artistiques, notamment dans la partie Musique , gagneraient à ce qu’il y ait plus de clarté et d’unité, et là, sans doute, des progrès pourraient être réalisés si du côté de l’Éducation nationale et du Ministère de la culture on savait plus et mieux organiser des dialogues avec toutes les parties prenantes en les mettant en réseau de façon appropriée.


La musique et ses facultés de transformation cognitive avec des effets positifs

Une contribution tout à fait intéressante a été donnée par l’expert en sciences cognitive à propos des effets de la musique sur les personnes.

De façon succincte on retiendra les idées suivantes :
Sans disconvenir de l’importance de la pratique individuelle ( technique) pour vraiment maîtriser la matière musicale, M BIGAND, à partir des résultats d’analyses des fonctions cérébrales testées sur des groupes de personnes, a mis en évidence tout l’impact qu’ont l’apprentissage et la maîtrise de la musique sur les fonctions cognitives. Les analyses menées ( analyse des circuits et connexions neurologiques, avec effet de substances biochimiques au niveau du cerveau comme la dopamine) montrent qu’il ne s’agit pas d’incidences banales, la musique apparaît comme capable d’activer les parties du cerveau dédiées au langage, et l’examen systématiques des fonctions de réaction montre clairement un effet sur ce qu’on pourrait qualifier l’intériorité, ce qui finalement renvoie à l’essence de l’humain.
Ces interactions ne sont pas réduites à un rapport solitaire entre « la personne et la musique », et là émerge la principale idée mise en évidence par les travaux scientifiques, celle du rapport à l’autre tout à fait essentiel dans tout exercice musical, et marqueur avéré de l’essence de l’humain .

Deux exemples nous ont été donnés issus de travaux scientifiques :
le premier montre que l’incidence positive de la musique ou du chant peut commencer dès le plus jeune âge, comme l’a attesté un test des relations de la mère avec son bébé au travers du chant : on a fait ressortir ainsi l’effet rassurant des sons harmonieux ( berceuses), l’enfant au travers du son musical perçoit une parole apaisante avant même la maîtrise du langage parlé.(analyse des fonctions cérébrales).
L’autre restitution qui nous a été donnée concerne les concertistes, et fait ressortir à quel point la musique parvient à activer les fonctions cérébrales de façon synchronisées lorsqu’on analyse les profils des liaisons neurologiques : il y a une similitude, une harmonie du profil des concertistes, qui fonctionnent chacun en résonance avec les autres .


Conclusion retenue par l’intervenant : la musique a une incidence forte sur les personnes, cette incidence est positive elle renvoie fondamentalement aux notions de communication, de relation à l’autre ; elle est un langage, langage d’harmonie, d’empathie que l’on discerne partout ( des expériences ont montré qu’il n’y a pas de différences selon les origines). Autre constat révélateur d’un impact positif : on tend à vérifier que les personnes immergées dans la matière musicale sont souvent plus à même de maîtriser les problèmes complexes. Ces découvertes permises par les progrès de la science ( IRM) confirment les intuitions selon lesquelles la musique, langage universel, est tout à fait importante en termes civilisationnels en ce qu’elle génère et cultive dans l’esprit humain des vertus d’empathie et de synchronie favorisant le « vivre ensemble »  pour l’enfant et sa mère, les musiciens ensemble, mais aussi, cela a été dit, le musicien et le public.

Voir le site internet de l’UNDC