Entretien avec Mgr Tony Anatrella
Monseigneur Tony Anatrella, psychanalyste et spécialiste en psychiatrie sociale, consulteur du Conseil pontifical pour la famille et du Conseil pontifical pour la santé, analyse pour Zenit les enjeux de ces Journées Mondiales de la Jeunesse.


Zenit – Quelles sont vos premières impressions des JMJ 2016 ?
Mgr Tony Anatrella – C’est la détermination et la vitalité spirituelle de ces jeunes venus des quatre coins du monde pour affirmer, dans leur singularité nationale et culturelle, leur attachement au Christ et leur besoin de célébrer et d’approfondir leur foi en Église. L’enthousiasme, la joie, le recueillement et la prière qui sont la marque habituelle des JMJ. Il est impressionnant de constater que d’un instant à l’autre cette foule de millions de jeunes, peut passer d’une explosion de joie au silence recueilli le plus absolu. Un fait qui ne s’observe nulle part ailleurs.
La multitude des drapeaux qui flottaient dans la foule des pèlerins était impressionnante et manifestait l’universalité de l’Église et l’une de ses réalités sociales. Elle est Une et Catholique dans le sens où cette égalité voulue par Dieu dès l’acte créateur (« il fit l’homme et la femme à son image »), se déploie dans la diversité et la richesse des cultures qui ne sont pas abolies. Bien au contraire, elles sont enrichies par le message de l’Évangile qui les anoblit pour mettre en valeur leur créativité culturelle qui rejoint ce que Dieu a donné dans le cœur de l’homme libre. Le moteur de l’unité est bien le Christ. En ce sens la foi chrétienne rassemble et favorise le lien social et la paix. Elle donne une confiance dans la vie malgré les aléas de l’existence.
Ces jeunes sont venus de loin au prix d’un effort financier important pour lequel ils ont su travailler à travers divers petits emplois comme certains ont été aidés par leur paroisse. Il faut noter que les délégations françaises et italiennes comptaient parmi les plus nombreuses. La plupart des pays étaient représentés. Le témoignage des jeunes syriens était frappant de gravité et de sérénité. Tous ces jeunes ne formaient pas un peuple de guerriers sanguinaires, mais de témoins de l’espérance de Dieu qu’ils ont, certes, encore à mieux connaître pour en témoigner.
Enfin, les JMJ représentent souvent un moment de refondation de la foi chrétienne de ces jeunes qui s’enracine dans une vie ecclésiale renouvelée. Ils renouent un fil parfois distendu ou cassé de la transmission chrétienne. Les générations précédentes pensaient que l’initiation chrétienne et l’enseignement du Christ étaient dépassés, ce qui était une façon de se couper de son histoire, de la succession des générations et de la vie sacramentelle. Les prêtres présents à Cracovie peuvent en témoigner : ces jeunes ont faim et soif de Dieu. Ils le cherchent et le trouvent dans la prière et les sacrements. Les prêtres ont souvent passé plusieurs heures à confesser ces jeunes dont la démarche était loin d’être superficielle et convenue.
Bref, tout ceci manifeste la dimension sociale de la religion qui ne peut en aucun cas être réduite à la sphère privée. En effet, l’Église voulue par le Christ est une institution afin de transmettre la parole de Dieu dans l’histoire. La présence des jeunes à Cracovie souligne cette nécessité sociale de la transmission.

Que retenir du message du Saint Père ?
Mgr T. Anatrella –
Le Pape François a été très réaliste. Il ne promet ni la lune ni une espérance naïve à ces jeunes.

Dès le premier jour, le Saint-Père a souligné que la joie inhérente à la foi chrétienne, ne produit pas une excitation. Elle est d’abord le fruit d’une rencontre avec le Christ au sein de son Église. Si on sait l’accueillir dans sa vie, alors on est capable de vivre et de faire de grandes choses. Il est possible de changer le monde et de ne pas se laisser réduire par la fatalité. Il les a également mis en garde contre des vendeurs d’illusion. Célébrer le Christ qui est vivant parmi nous, est une façon de renouveler notre désir de le servir et de le partager avec les autres.
Ainsi la foi chrétienne n’est pas un enthousiasme facile et encore moins face au mal qui touche le monde. Elle nous aide à porter les souffrances de l’existence. Le Christ est mort sur la croix et il est ressuscité. Il porte avec nous et parfois pour nous ce qui est trop lourd pour nous. Il est présent dans nos épreuves de la vie.
Fort de cette relation au Christ, le Pape a invité les jeunes à se lever de leur « divan » de repos et de passivité pour s’engager dans la vie. Le bonheur ne saurait se confondre avec le confort et encore moins en navigant dans le monde virtuel des tablettes, des smartphones et de l’Internet. Si ces outils sont d’une grande utilité et des moyens de communication formidables de notre temps, ils ne sauraient remplacer la relation avec les autres et avec le monde. On confond trop souvent aujourd’hui communiquer et le fait d’être en relation ; ce qui n’est pas la même chose. On peut communiquer sans ne rien dire ou faire en étant simplement un spectateur passif alors que la relation implique une rencontre avec l’autre qui oblige à sortir de soi et à s’adapter à son interlocuteur. De plus, si Internet peut être une source d’informations, cela n’est pas systématique surtout quand on observe que n’importe qui peut y dire n’importe quoi. Parler de « réseaux sociaux » est un abus de langage alors que chacun reste seul, que le mensonge et la manipulation des idées et des individus dominent parfois dans ces réseaux qui évitent justement une saine socialisation de la personne. Internet ou les échanges narcissiques, voire les selfies où l’on se met en scène, révèlent le risque de se prendre soi-même pour l’objet et la fin de tout. Voire encore de s’enfermer dans des idées subjectives ou des interprétations projectives en attribuant aux autres ce qui se passe en réalité en soi-même. Dans le face à face en miroir et aliénant avec son smartphone et autres écrans, voire avec des jeux vidéo, le risque est de s’isoler dans un monde imaginaire avec des personnages qui n’existent pas. La chasse quasi mondiale au Pokémon Go, est révélatrice de la réduction de la vie au ressenti, à l’imaginaire et aux mondes parallèles qui nous sortent de la réalité. Nous sommes surtout dans un monde de l’impulsion sans réflexion. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour faire exister une situation, un objet ou encore un être imaginaires, ou pour tuer. Cela prépare déjà des personnalités incapables d’être autocritiques à leur égard et qui chercheront souvent à l’extérieur d’elles-mêmes les causes de leurs tourments alors qu’ils sont intrinsèques à leur fonctionnement personnel.
C’est pourquoi, le Pape a eu raison de dire qu’il faut se lever du « divan », avoir le courage de mettre une bonne paire de chaussures et de sortir dans le plein vent de la vie. Trop de jeunes s’affaiblissent et se brident avec leurs illusions et dans des reproches adressés aux autres au lieu de prendre leur vie en main et de l’assumer. François a ainsi conclu ses appels en affirmant que la vie ne nous a pas été donnée pour « végéter », mais pour laisser une empreinte dans le monde en vivant de l’espérance de Dieu.
Autrement dit, il n’y a pas de vie spirituelle sans engagement social et politique. Mais cette jeunesse chrétienne qui a manifesté une belle énergie reste malgré tout « assoiffée de spiritualité » à trouver et à vivre dans la vie quotidienne. Il ne s’agit nullement d’une génération identitaire comme on l’affirme au nom d’une sociologie sommaire. Mais d’une génération qui s’inscrit dans une histoire avec les ressources de l’héritage de la foi chrétienne qui implique une relation personnelle au Christ et à son Église. Il faut souhaiter que l’action pastorale auprès des jeunes saura en tenir compte plutôt que de transformer trop vite ces jeunes en acteurs politiques sur des sujets convenus, mais qui n’apparaissent pas de première nécessité pour les jeunes générations. Il faut savoir tenir compte du temps et du moment favorable où ils pourront s’inscrire dans cette dynamique. Ne brûlons pas les étapes. À travers eux et leur attachement au Christ, un monde est à reconsidérer spirituellement et politiquement.

Propos recueillis par Anita Bourdin
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