24
ème Session du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO
(CIB, 12 et 13 septembre 2017)

Projet de rapport sur les méga données et la santé.


Le numérique va profondément bouleverser les pratiques en matière de santé. On peut en espérer beaucoup de bien, à condition d’observer des règles et une éthique exigeantes pour ne jamais perdre de vue l’humain.


Le Professeur Woopen (université de Cologne) a présenté le projet de rapport du CIB en soulignant  successivement :

  • Les perspectives favorables pour la santé, permises par l’utilisation des TIC (technologies de l’information et de la communication) et des méga données dans le domaine des applications médicales (soins et recherche, cyber-santé).

Les soins de santé et la recherche médicale s’appuient sur des applications informatiques et des techniques de numérisation d’énormes quantités de données provenant de sources multiples (soin des patients, santé publique, compagnies d’assurance, chercheurs, réseaux sociaux…) et concernant un grand nombre de personnes.
Avec ces techniques à base d’algorithmes, ils évoluent vers de nouvelles pratiques telles que la santé mobile et la cyber-santé (plus de 300 000 applications liées à la prise en charge, la prévision et la prévention, en matière de traitements et recherche médicale).
Les applications mobiles de santé (télé expertise, télédiagnostic, télémédecine), grâce à la collecte de données à distance, et l’émission de recommandations instantanées, désenclavent les régions isolées (déserts médicaux et pays en voie de développement) et contribuent significativement au développement de la lutte contre la pauvreté dans le monde (objectif du millénaire pour le développement : OMD des Nations Unies).
L’utilisation des méga-données et les technologies de très haut débit permettent une compréhension plus fine des maladies (personnalisation des diagnostics), ainsi que la prise en compte de données globales sur l’environnement et le mode de vie.
Au total, des réorientations majeures dans le domaine de la santé sont à prévoir : médecine axée sur la santé et la prévention, et non plus la maladie et le traitement ; soins portant sur le mode de vie, plus que sur la santé ; politiques de santé publique axées sur des stratégies de prévention en faveur de groupes à risque ciblés.

  • Les défis d’ordre éthique, social et juridique, liés à l’opacité des nouveaux environnements applicatifs de santé.

L’utilisation des données personnelles est devenue impossible à contrôler en raison de la complexité des moyens à la disposition des équipes médicales et de recherche.
Il est de plus en plus difficile d’obtenir un consentement autonome à la collecte et à l’utilisation des mégadonnées ; les modèles de consentement proposés (spécifique ou présumé, général ou global, dynamique) restent imparfaits.
La protection de la vie privée et de la confidentialité des données (risques de dés-anonymisation et de ré-identification, risques de profilages différenciés sur des groupes ciblés) est mise en cause.
Le domaine de la vie privée se réduit du fait de l’intrusion d’informations (publicité, offres) liées au profil des utilisateurs, élaborées à partir d’algorithmes traitant d’aspects personnels (communications, participation à des groupes et associations). La liberté de comportement et d’action est mise en cause.

Les restrictions aux droits individuels liés à la propriété de données personnelles se précisent du fait des possibilités d’accès des tiers (laboratoires pharmaceutiques, industries de recherche…) aux bases de données des bio-banques et aux résultats opérationnels permis par ces accès (médicaments et algorithmes).
La protection du contenu de ces bases (risques de transferts massifs des données en provenance des
pays en voie de développement, piratage des bio-banques) n’est plus assurée, entraînant des risques d’exclusion d’accès aux soins, notamment en cas de système privé d’assurance santé (personnes ne souhaitant pas communiquer leurs données personnelles, ou n’adhérant pas aux notions de vie saine « 10 000 cas par jour »).

  • Les mesures à mettre en œuvre pour surmonter les défis rencontrés et optimiser les avantages attendus dans les soins de santé et la recherche.

Les principales actions à engager portent sur les domaines de la gouvernance, de l’éducation, à l’égard de ces nouvelles technologies.

Dans chaque pays, la mise en place de structures de gouvernance adaptées permettra une utilisation responsable des données (transparence algorithmique ; acceptabilité morale et juridique de l’utilisation des données) :
Reconnaissance du droit individuel sur le respect de la vie privée ainsi que de la responsabilité des utilisateurs de données et normes éthiques dans toutes les étapes de la boucle cybernétique (collecte, accès, publications, recoupement, analyse…)
Organisation des relations entre les parties prenantes (comités d’éthique de la recherche, comités d’accès aux données et de protection des données, comités de représentants des patients et de gouvernance des bio-banques, procédures de suivi permettant aux patients d’être impliqués à long terme dans les travaux de recherche et de prévenir les utilisations inacceptables de leurs données).
Dans chaque pays, et dans le cadre d’une coopération internationale, mise en place de plans d’actions en matière d’éducation pour faire prendre conscience aux acteurs de la santé (patients, entreprises, chercheurs, bio-banques…) des enjeux liés à la maîtrise technologique.

Au total, au travers d’échanges complexes sur les bienfaits attendus pour la santé de l’utilisation des nouvelles technologies et des garde-fous à mettre en œuvre, il est rappelé que la science doit rester au service de l’humanité. Le consentement de la personne reste le seul moyen garantissant ses droits fondamentaux.


Lire le projet de rapport du CIB, mis en ligne sur le site de l’Unesco