Un atelier – débat organisé le 12 décembre
par le « Groupe des amis de la sécurité des journalistes »
en lien avec la Division « Communication-Information » de l’UNESCO


Thème d’actualité, sujet d’une grande acuité, la Violence faite à cette profession reste présente et tend même à s’intensifier : la Liberté d’expression menacée ? Quelles réponses face aux menaces partout observées ? L’UNESCO est pleinement engagée au service d’une cause qui fait partie des Droits de l’Homme. Déclarations de ses hauts responsables (La Directrice Générale Mme AZOULAY et la Présidente de la Conférence Générale-Mme ALAOUI), Témoignages de professionnels, ou de représentants des États ou d’ONG.


Mme AZOULAY a dit sa détermination à voir l’UNESCO contribuer à protéger les journalistes et tous ceux avec lesquels ils collaborent. Le journalisme remplit une fonction indispensable pour le Monde et pour chacun d’entre nous, nous qui , conformément à l’article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, devons avoir droit à chercher et recevoir l’information, librement et sans contrainte. Il faut, nous dit-elle, combattre tous ceux qui veulent « tuer la circulation de la vérité », « étouffer la parole ». Cela vise les attaques physiques, les meurtres encore nombreux mais aussi d’autres formes de violence plus insidieuses, et souvent propagées par les réseaux sociaux qui harcèlent, menacent, manipulent, terrorisent. Il faut dénoncer toutes ces pratiques odieuses, poursuivre les auteurs de ces exactions devant les tribunaux, agir contre les impunités, sensibiliser les populations mais aussi les magistrats, ce à quoi s’emploie résolument l’UNESCO . Dans ce combat à mener inlassablement, il faut une forte implication des gouvernements, mais pas seulement : toute la société civile, les experts, les professionnels doivent être associés à toutes les nombreuses actions à engager pour sécuriser une profession encore trop souvent en risque alors qu’elle tient un rôle essentiel au service de la société et de la liberté qu’il faut préserver. La DG rappelle opportunément la citation d’ Albert CAMUS « La liberté de la Presse est le Visage de la Liberté ».

Mme ALAOUI mentionne le constat alarmant dont fait état le dernier rapport de l’UNESCO sur la sécurité des journalistes : la violence ne régresse pas, le nombre des journalistes tués dans l’exercice de leurs missions reste à un niveau record, avec beaucoup de journalistes locaux victimes dans des zones de conflits armés ; elle fait aussi allusion à la situation des femmes journalistes qui sont encore nombreuses à subir des agressions en tous genres. La Conférence Générale confirme son engagement à soutenir l’UNESCO dans toutes les initiatives qu’elle doit mener en vue de protéger la profession : c’est le sens de la résolution qu’elle vient de voter à l’issue de la 39ème Conférence Générale, elle condamne toutes les attaques perpétrées contre les journalistes, appelle à coordonner les efforts de l’UNESCO en les inscrivant dans le cadre du Plan d’Action de l’ONU qui en est à sa cinquième année d’existence. Oui, il faut que cessent ces actes inqualifiables commis à l’encontre des journalistes, ajoute-t-elle en conclusion en visant tout particulièrement les impunités qui alimentent la violence. Il faut combattre toutes ces atteintes à la liberté d’expression, ce principe fondamental dont le respect doit pouvoir être assuré pour garantir l’existence d’un journalisme authentique, porteur d’informations vraies qui peut contribuer à rendre le monde plus pacifique. « Si la Vérité n’est pas libre » disait Jacques Prévert « La Liberté n’est pas vraie ». Cette note finale ne renvoie-t-elle pas à l’essentiel ?

L’ambassadrice déléguée d’Autriche , pays à l’origine de la création récente du « Groupe des amis de la sécurité des journalistes à l’UNESCO » (troisième groupe issu du système onusien avec les deux autres qui fonctionnent à Genève et New York), rappelle qu’il s’agit d’une structure dont sont membres une trentaine de pays soucieux d’aider à la permanence et à la cohérence des initiatives prises à la fois dans le cadre onusien (voir le plan d’action) et au niveau des gouvernements en faveur des journalistes. Avec ses membres, et notamment les pays fondateurs du groupe (Canada, USA, Suède, Pays Bas), cette instance informelle entend aider à la propagation des bonnes pratiques, à jouer sur « la pression par les pairs » pour faire progresser une juste cause (adoption de lois, mise en place de mécanismes appropriés, renforcement de la sensibilisation et des capacités…)

Le panel qui a suivi ces déclarations a permis d’entendre des témoignages concrets sur ce qui a pu être fait dans des pays où le métier de journaliste peut se trouver confronté à de sérieuses difficultés (Afghanistan, Afrique, Serbie, Colombie), mais, préalablement, le représentant d’une ONG dédiée à l’aide aux journalistes, surtout dans les environnements difficiles, a présenté les conclusions d’un rapport produit par une équipe universitaire qui a travaillé sur le cas de sept pays exposés aux « risques violents ». Même si les contextes sont très différents d’un pays à l’autre et si les difficultés subsistent, un certain nombre d’idées émises sont susceptibles de guider l’action pour soutenir les professionnels de l’information là où leur situation laisse encore à désirer :

 – avoir de bonnes pratiques : faire participer activement les multiples acteurs concernés, s’entendre sur un socle commun d’objectifs avec un pilotage solide, couvrir tout le pays et non s’en tenir à des zones étroitement circonscrites comme le centre des grandes villes, avoir une approche globale « holistique » et locale « ancrage terrain » sachant que chaque pays doit trouver son propre modèle.

 – bien identifier et mobiliser les acteurs susceptibles le mieux d’élaborer et faire fonctionner les mécanismes de prévention ou de protection des journalistes ; ce sont d’abord et avant tout les États, mais aussi les partenaires de la Société Civile, ainsi que des initiatives groupées susceptibles d’apporter spécifiquement un soutien avec une bonne coordination.

 – respecter des Principes bien précis : avoir une démarche stratégique claire, disposer d’une méthode et d’outils bien maîtrisés, être transparent, viser les bons décideurs, les Pouvoirs politiques qu’il faut sensibiliser et convaincre, être assuré de la viabilité de ce qu’on souhaite réaliser (financement, soutien au niveau local…)

En Afghanistan, la situation a changé du tout au tout depuis le départ des talibans, la liberté de la presse a été instaurée, de nombreux media ont été créés, mais la violence sévit toujours. La société s’est organisée pour en assurer la défense avec une forte implication des pouvoirs publics sous l’impulsion du Président. Des actions sont engagées contre les coupables d’assassinats de journaliste. Reste un sérieux problème avec Daech et le terrorisme.

La Serbie, là encore avec une forte implication du politique, a sérieusement attaqué la question de la sécurité des journalistes. Un court métrage a restitué la chronique des menaces et la façon dont elles ont été traitées au fil du temps , puis un témoin qui a payé un lourd tribut (prison) dans les années 2010 comme animateur d’une Radio libre, a commenté la situation actuelle. Elle marque une très nette amélioration obtenue au prix d’efforts conduits par tout un ensemble d’acteurs avec une mise en œuvre d’actions menées conjointement par le gouvernement et la société civile pour prévenir les risques et lutter contre les impunités. La coopération entre les médias et la police, passé un moment de méfiance réciproque, est maintenant bien établie.

En Colombie, une Commission d’investigation suit les affaires mettant en cause la sécurité des journalistes. Les poursuites judiciaires doivent être menées sans concession et l’impunité a laissé la place à un régime où les sanctions exemplaires finissent par porter leurs fruits. Les pouvoirs publics investissent tout aussi bien dans la prévention (formation des journalistes) que dans la protection de la profession (aide à l’analyse du risque, gardes du corps, fourniture de moyens de communication…)

En Afrique, on signale des initiatives prises par des organisations supranationales, comme par exemple des recommandations émises mais on déplore que les principes ainsi énoncés n’aient pas de valeur contraignante. Tout en reconnaissant que les problèmes ne peuvent être correctement traités qu’au niveau de chaque pays, il est jugé que les actions à entreprendre gagneraient à être mieux coordonnées.

Une dizaine de délégations se sont exprimées pour rendre compte des efforts produits dans leurs pays, avec, au-delà des spécificités nationales, des éléments communs notables : rôle essentiel joué par les gouvernements, mise en place de mécanismes associant toutes les parties prenantes, sensibilisation des populations à l’utilité des médias libres et, pour cette raison, au bien fondé de leur protection, formation des magistrats. Quelques autres idées intéressantes ont été évoquées : la nécessité de prendre en compte de nouvelles formes de violence (avec tout ce qui passe par l’internet), la question du champs à couvrir ( qu’appelle t on un journaliste ?) et de la responsabilité des journalistes (quid lorsqu’ils deviennent plus promoteurs d’opinions parfois tranchées susceptibles de provoquer des tensions extrêmes? ) En s’inspirant d’un fait précis, (un meurtre à l’encontre d’un journaliste victime d’un fanatique religieux), un délégué a jugé qu’il serait opportun de réfléchir à cette question du traitement des faits religieux et des excès que cela peut provoquer (question délicate dont il a été pris bonne note mais qui parait soulever d’autres questions que celle des risques pour la sécurité des journalistes).L’Union européenne a rappelé l’existence d’un institut européen de suivi des média (en Allemagne) et tout ce qu’elle fait notamment au niveau diplomatique pour aider le journalisme à faire face aux menaces qui pèsent sur lui.

Courte intervention du représentant du PIDC (Programme « Information et Communication » de l’UNESCO) qui mentionne parmi ses réalisations la publication de documents (conseils à l’attention des journalistes notamment), des actions pour lutter contre l’impunité, et le financement de projets.

L’intervention du représentant de la Suède a été particulièrement remarquée avec l’annonce de la mise en place récente d’un plan d’action visant à endiguer les nouvelles formes de violence à l’encontre des journalistes mais aussi des artistes (harcèlement sexuel, intimidations au travers des réseaux sociaux), un plan articulé autour de trois axes : la connaissance du phénomène (intensification de la collecte de données sur les actes malveillants), le soutien effectif à la profession, et, dernier point important, la poursuite devant les Tribunaux, tout particulièrement la poursuite des auteurs de harcèlements (physiques ou virtuels via les réseaux sociaux), avec, en préparation un projet pour renforcer le droit pénal en la matière.

L’Adjoint du Directeur Général en charge du département « Communication et Information » a conclu l’échange en reprenant trois des idées fortes ressorties de ces trois heures de riche discussion :

– La sécurité des journalistes reste un vrai sujet, d’une grande gravité : la violence à leur encontre s’est intensifiée, il ne faut pas relâcher les efforts pour la combattre

– Il ne faut pas se contenter de Recommandations ou de Résolutions qui resteraient lettres mortes, il faut agir concrètement notamment sur le terrain de l’éducation, de la formation et du droit.

– Les réponses à donner doivent mobiliser de nombreux acteurs qui doivent agir de concert : coordination, coopérations, partenariat en associant les Pouvoirs publics et la Société civile dans toutes ses composantes.

Lire le discours de Mme Audrey Azoulay Directrice générale de l’UNESCO
Lire le document « Guide pratique de sécurité des journalistes »
Lire le document (anglais) « Conflict-sensitive reporting »