16 novembre 2016 :
Journée Internationale de la Tolérance
Attribution du Prix Madanjeet Singh
pour la promotion de la tolérance et de la non-violence

Siège de l’UNESCO

La cérémonie pour l’attribution de l’édition 2016 du prix Madanjeet Singh pour la promotion de la tolérance et de la non-violence a eu lieu au siège de l’UNESCO le 16 novembre, Journée internationale de la tolérance.

Le Prix UNESCO-Madanjeet Singh pour la promotion de la tolérance et de la non-violence a été décerné pour la première fois en 1996. Il a été créé en 1995 pour marquer l’Année des Nations Unies pour la Tolérance et le 125ème anniversaire de la naissance de Mahatma Gandhi. Il porte le nom de Madanjeet Singh, en reconnaissance de cet Ambassadeur de bonne volonté auprès de l’UNESCO, artiste, écrivain et diplomate indien dont on a voulu ainsi saluer le dévouement et l’engagement au service de la paix et de la tolérance. En effet, son engagement contre la violence date depuis la révolte Quit India contre le colonialisme, de 1942, quand il a été emprisonné, puis libéré et expulsé. Pendant 30 ans il a été ambassadeur de l’Inde dans différents pays et depuis 1982 il a rejoint l’UNESCO où il a été nommé Directeur du Secteur culturel. En 2000, Madanjeet Singh crée la South Asia Foundation pour la promotion de la coopération régionale entre les huit pays de la SAARC (South Asian Association for Regional Cooperation) : Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan et Sri Lanka. Depuis son décès, en 2013, c’est la South Asia Foundation qui a pour mission de perpétuer son message de dialogue et de tolérance.

Ce prix vise à promouvoir l’esprit de tolérance dans les arts, l’éducation, la culture, la science et la communication. Doté d’un montant de 100 000 dollars, il est décerné tous les deux ans à des personnes ou des institutions pour leurs contributions exceptionnelles en faveur de la cause de la tolérance et de la non-violence.

Pour cette année 2016 le Prix a été décerné au Musée Juif et Centre de recherche et de méthodologie pour la tolérance, la psychologie et l’éducation (Centre de tolérance) de la Fédération de Russie, de Moscou.

Le jury a été formé du Professeur Nadia Bernoussi (Maroc), M. Marek Halter (France), et Dr Kamal Hossain (Bangladesh).

Des allocutions ont été prononcées par Madame Golda El-Khoury, Secrétaire du Prix UNESCO-Madanjeet Singh, Madame Nada Al-Nashif, Sous-Directrice Générale de l’UNESCO pour les sciences sociales et humaines, Madame France Marquet, Administratrice principale de la Fondation Madanjeet Singh, Monsieur Alexander Boroda, Directeur Général du Centre de la Tolérance, Madame la Professeur Nadia Bernoussi, Présidente du Jury International.

Des moments artistiques ont été assurés par le Chœur Philharmonique International, désigné comme « Artiste de l’UNESCO pour la Paix », placé sous la direction d’Olivier Kontogom, et par le pianiste Serguei Markarov, lui aussi distingué comme « Artiste de l’UNESCO pour la Paix ».

Madame Nadia Bernoussi a précisé les critères d’appréciation qui ont amené le jury à choisir le lauréat de cette année parmi une cinquantaine de candidatures :

la qualité du dossier,
des méthodes modernes d’éducation,
lien entre le centre et les valeurs de la non-violence,
multiplicité des méthodes,
ces valeurs promues dans un espace multiethnique.

Monsieur Alexander Boroda, directeur du Musée Juif et Centre de la Tolérance qui est aussi le président de la fédération des communautés juives de Russie a souligné la nécessité de préserver dans toute société la tolérance sociale et religieuse. Il a mis tout particulièrement l’accent sur l’idée que la tolérance doit viser une plus grande harmonie. Cet objectif d’harmonie est, selon lui, la seule voie pour avancer vers un monde meilleur, en misant sur l’entente entre les personnes et le soutien mutuel. Pour cela, des techniques modernes de communication doivent être mises en place et le Centre de la Tolérance le fait. L’éducation des jeunes générations est essentielle pour l’harmonie du monde futur. Dans ses quatre ans d’existence, le Centre de la Tolérance a œuvré en ce sens par le biais de plus de 60 programmes portant sur la tolérance face à la xénophobie ou au racisme, et sur le dialogue interculturel.

A noter que Le musée juif et centre de tolérance est le plus grand musée juif du monde (17 000 m2) et la plus grande surface d’exposition en Europe (4 500 m2 réservés aux expositions).

L’ensemble « Musée Juif et Centre de la Tolérance » se distingue par des programmes pédagogiques et de recherche qui assurent la promotion du dialogue entre les religions et les autres visions du monde avec un accent particulier sur la jeunesse. Des programmes d’éducation civique et de tolérance sociale sont mis en place à l’adresse des enfants et des jeunes, en partenariat avec les écoles de Russie.

A titre d’illustration, nous pouvons citer une action conduite en septembre 2014 dédiée à la prise d’otages de Beslan, qui, en 2004, avait fait 187 victimes ; 100 enfants des écoles de Moscou ont ainsi participé à cette initiative de sensibilisation et de prévention sur la base d’une idée-force « Nous pouvons vaincre le terrorisme », expression retenue comme intitulé de ce programme. Les enfants ont parlé de ce que le terrorisme signifie pour eux, comment il faut agir dans de telles situations de crise, qu’est-ce que chacun d’eux peut faire à son niveau pour prévenir ces actes, transformer la haine et l’exclusion dans des actes d’amour et d’acceptation, de tolérance. Ils ont emporté les affiches qu’ils ont faites pendant cette séance pour les exposer dans leurs écoles.

Un autre programme intitulé « 5 pas vers la Tolérance » a réuni, toujours en 2014, des spécialistes de l’éducation. Parmi les sujets traités, on aura noté particulièrement : conciliation et respect des cultures et des traditions ethniques, consolidation de la responsabilité sociale et de l’attitude civique chez les les enfants, les moyens de populariser les valeurs de la tolérance dans les institutions éducatives, les moyens de créer dans les écoles une atmosphère psychologique propice à la prévention du mépris mutuel et de l’agressivité.

Plus d’informations sur les activités du Musée Juif et Centre de la Tolérance peuvent être trouvées sur leur site internet (en anglais et en russe).

Il est à noter que c’est pour la première fois depuis la création de ce prix, que le récipiendaire est un organisme dédié à la culture juive (les autres lauréats proviennent des pays comme Rwanda, Pakistan, Égypte, Bangladesh, Sri Lanka, Palestine, Chili, Mali).
Voir la liste des lauréats passés

17 novembre 2016 : Table ronde sur la tolérance avec pour thème « Parler haut et fort, ensemble pour la tolérance » organisée au siège de l’UNESCO.

Plus de tolérance, mieux la comprendre, plus la pratiquer, tous concernés, les risques de l’intolérance, conflits, endoctrinement, quel avenir ? un espoir à cultiver : la formation des jeunes.

Table ronde modérée par John Crowley, chef de section dans le Secteur des sciences sociales et humaines, avec les intervenants :

Madame Catherine Audrain, Chaire UNESCO d’étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, Université du Québec à Montréal

Monsieur Tom Rockmore, Distinguished Professor, University of Beijing

Madame Dandan Jiang, Associate Professor, Shanghai Jiao Tong University

Monsieur Lionel Veer, Ambassador of the Kingdom of the Netherlands to UNESCO

Madame Catherine Audrain est l’initiatrice du programme « PhiloJeunes » à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), programme centré sur l’éducation aux valeurs démocratiques et civiques à travers le dialogue philosophique pour les jeunes de 5 à 16 ans.

Ce programme vise à développer l’esprit critique pour rendre les enfants moins exposés aux manipulations intégristes. Cela développe l’estime de soi des enfants et le raisonnement moral. Ils deviennent plus aptes à détecter les germes de la violence et à s’en éloigner. Ils acquièrent une identité plus solide, qui leur permet de se réaliser et s’intégrer dans les sociétés actuelles. Ce sont les jeunes de 11 à 16 ans qui sont les plus ciblés, parce que c’est cette classe d’ âge qui est le mieux à même de recevoir ces « enseignements » sur la violence et qui, partant, est celle qui peut le plus bénéficier d’un « discours » de prévention de la radicalisation et de l’intégrisme. Des équipes de philosophes, des pédagogues interviennent. Les jeunes sont invités à écrire des textes, en faisant jouer leur esprit critique sur les sujets abordés (la religion, la radicalisation, l’intégrisme, etc.), ces textes sont discutés dans les écoles.

La philosophie pour les enfants consiste finalement à revenir au dialogue socratique. Par ce truchement, les jeunes sont amenés à réfléchir sur des questions importantes avec leurs mots. On parvient par exemple alors à leur faire entrevoir la différence entre foi et connaissance. On les amène à chercher comment ils peuvent soutenir un énoncé par un raisonnement, comment argumenter pour défendre un avis, et aussi, toujours pour apprendre à mieux échanger, faire découvrir comment nuancer éventuellement une première opinion, réfléchir avec les autres, se mettre à la place de l’autre, en empathie, comment développer une éthique collective.

Catherine Audrain est également à l’origine du programme éducatif Prévention de la violence et philosophie pour enfants, implanté aujourd’hui dans 20 écoles à Montréal, de la maternelle à la sixième année. Lancé en 2005, le programme Prévention de la violence et philosophie pour enfants s’inspire des travaux du philosophe américain Matthew Lippman, menés il y a 40 ans. La méthode consiste à susciter des discussions avec les enfants à partir de courts romans abordant les thèmes de la violence, du conflit et de la justice. «En amenant l’enfant à porter un jugement moral et critique sur le monde qui l’entoure, le programme participe à la construction de son identité, en tant que sujet de droit et pensant. C’est ce qui fait sa beauté», souligne Catherine Audrain.

Tom Rockmore a parlé de l’interaction entre la religion et la tolérance. En principe les religions devraient être tolérantes. Dans la pratique, ce n’est pas toujours le cas. Le conflit israelo-palestinien en est un exemple illustratif avec, in situ, deux religions qui ne donnent pas toujours vraiment de signes de tolérance l’une avec l’autre. Ce conflit en fait est souvent exploité par les parties concernées, des deux côtés, avec comme expression de cette réalité l’opposition entre les occidentaux et Pays arabes qui poursuivent d’autres buts que la défense d’intérêts purement religieux, et là émergent le plus souvent les considérations politiques. Le développement sans entrave du capitalisme libéral a aussi sa part de responsabilité dans les tensions que l’on observe avec notamment les effets négatifs qu’il a pu produire sur l’islam. Dans ce contexte, l’intervenant juge avec un certain scepticisme la situation actuelle et ne voit pas une issue proche et positive aux conflits persistants qui perdurent.

Dandan Jiang a abordé la question de la mansuétude dans la pensée confucéenne – « n’inflige pas à l’autre ce que tu ne voudrais pas qu’on t’inflige » : exigence envers soi-même et mansuétude envers l’autre.

Lionel Veer a particulièrement insisté sur l’ambivalence du terme « tolérance », son aspect contradictoire, avec les deux idées sous-jacentes qu’elle recouvre : permettre quelque chose qu’on désapprouve, et respecter quelque chose qu’on n’accepte pas spontanément. Cet aspect contradictoire est visible aussi dans l’évolution sémantique de ce concept : du terme plus ancien de « tolération », dont le sens a plutôt une connotation négative (l’accent est mis sur le fait qu’on désapprouve, au fond, ce qu’on accepte) vers le terme actuel de « tolérance », qui a plutôt une connotation positive (l’accent est mis sur le fait qu’on accepte ce qu’on désapprouve au fond).

Il a aussi tracé un court historique du phénomène de la tolérance depuis son inexistence pendant les Guerres de religions en Europe, jusqu’à son instauration par l’Édit de Nantes, la Constitution des États-Unis, la Déclaration des droits de l’homme. Il a souligné le caractère caméléonique de la tolérance, le fait que dans la société occidentale la tolérance peut être une forme de domination très subtile, un moyen de s’accrocher au pouvoir. La tolérance peut aussi se transformer en instrument de pouvoir et de domination1.

La tolérance risque de devenir paresseuse (le concept de Nietzsche, qui n’appréciait pas une tolérance passive, réduite à l’acceptation). Le monde est globalisé, mais est-ce que nous nous rapprochons vraiment les uns des autres ?

De tout ce qui a été développé au cours de ces manifestations de l’UNESCO à propos de la tolérance, on retiendra tout particulièrement ce qui a été dit des programmes à l’attention des jeunes : ils sont l’avenir et on comprend tout le potentiel qu’il y a à leur faire découvrir comme de vraies valeurs et avec des méthodes éducatives appropriées ce qu’est et ce qu’apporte la tolérance. Les ouvrir à la tolérance est sans aucun doute un excellent moyen pour les détourner des endoctrinements et des méfaits qui en découlent.

O.B.

Lire le message de Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO

1 Ce qui est vrai surtout pour les États-nations, d’où l’importance de la consolidation des institutions internationales (N.d.A.)