Évènement organisé par la Commission Nationale française pour l’UNESCO ; il s’est tenu en mode hybride à la fois sur site (salle I de l’UNESCO) et en ligne.

Discours et allocutions (donnés par l’ambassadeur de France à l’UNESCO, le Président de la Commission nationale française pour l’UNESCO, la Directrice Générale de l’UNESCO et la Maire de Paris, l’Observateur délégué du Saint Siège porteur d’un message du pape), deux tables rondes et, comme point d’orgue conclusif, une intervention de Edgar Morin lui-même ont permis, quatre heures durant, de saisir toute la richesse de la personnalité et de l’œuvre du grand intellectuel qui aura été ainsi célébré de belle manière.

Les deux tables rondes ont porté, la première, sur la carrière d’Edgar Morin et, la seconde, sur sa pensée, la pensée complexe avec comme sous-titre : « Education à l’esprit critique » ; elles ont réuni des experts aux profils variés qui ont tous eu l’occasion de partager avec Edgar Morin des expériences collaboratives enrichissantes dans certains des nombreux domaines qu’il n’a cessé d’explorer pendant plus de soixante années : philosophie et éthique, psychologie sociale, sociologie, sciences de l’information et communication, l’internet, la cybernétique…

A défaut d’une restitution détaillée des propos entendus, on se propose ici d’exprimer ce qui aura le plus retenu notre attention dans des contributions qui ont été à la fois des témoignages vécus et des observations de fond qui auront permis de donner l’image de la personne qu’est Edgar Morin et une bonne idée de ce qu’a été son parcours et son œuvre dans son contenu et son esprit.

Les traits d’une personnalité hors du commun

Tous les intervenants qui l’ont connu ont souligné chez Edgar Morin ce qu’on pourrait appeler une disposition au bonheur, sa convivialité, son enthousiasme, sa joie qu’il peut mettre dans les rencontres qu’il ne cesse de mener avec de nombreuses personnes venant de partout, sa fidélité en amitié.

Le sociologue Wievorka a souligné le talent à multiple facettes d’Edgar Morin à la fois chercheur (au CNRS en particulier), guide et éveilleur de conscience, débatteur, intellectuel courageux et engagé. On a aussi mis en exergue sa curiosité insatiable, sa puissance de travail, sa simplicité, son élégance, sa capacité à formuler des idées complexes en des termes accessibles et convaincants, avec une grande rigueur intellectuelle et le souci de toujours rester concret…

Comme il l’a fait ressortir lors de son discours, Edgar Morin a toujours été ouvert au monde, découvreur des autres, explorateur des domaines les plus divers avec un esprit visionnaire, un goût prononcé pour établir des ponts un parcours diversifié, émaillé de rencontres décisives.

Aussi bien les propos tenus lors des deux tables rondes que le témoignage final de Edgar Morin lui-même ont fait ressortir toute la diversité des champs qu’il a exploré au fil du temps, le plus souvent découverts au hasard de ses rencontres.

Ainsi, peut on mentionner ses réflexions sur la cybernétique, la modélisation, le cinéma, les technologies de l’information et la communication, la latinité, la mondialisation, le monde du vivant, l’Education, l’éthique, le racisme et l’antisémitisme.

Une grande Œuvre

Edgar Morin a écrit une quarantaine d’ouvrage dont certains de première importance ont été cités à plusieurs reprises comme notamment les six tomes de la « Méthode », ou l’une de ses premières contributions : « l’Homme et la Mort » mais aussi son fameux rapport sur l’Education et les sept savoirs produit pour l’UNESCO en 2002, ou à ses réflexions sur l’éthique et l’esprit critique (« Autocritique ») ou encore sur la modernité et l’évolution du monde (« l’esprit du temps »).

Mais son œuvre ne se résume pas à ces grandes publications : Edgar Morin c’est aussi le cofondateur de la revue Arguments, le rédacteur de nombreux articles, rédigés parfois au service d’une cause ou pour prendre part à de grands débats (comme ce fût le cas dans sa critique de la pensée déconstructiviste et notamment celle de M Deridda).

On ne manquera pas de mentionner bien d’autres de ses contributions : ses enseignements et ses conseils notamment aux Ministères de l’Education nationale, une source d’inspiration comme en ont rendu témoignage plusieurs intervenants de cette journée, l’aide à la mise en place de structures éducatives (comme par exemple des chaires UNESCO ou la réorganisation d’un département universitaire dédié aux sciences humaines). Il faut mentionner aussi sa participation à de grands colloques comme à l’UNESCO (2016 : Congrès mondial sur la pensée complexe) ou à Lille en 2002 sur la pensée de Confucius, et l’on a fait remarquer, suite à ce dernier évènement, toutes les retombées positives qu’il aura produites (création d’un Forum France-Chine notamment).

En tout dernier lieu, à propos des apports de Edgar Morin, on pourra souligner son influence dans le monde intellectuel et éducatif au Portugal et en Amérique latine, ce monde lusophone où la pensée d’Edgar Morin est très présente.

Sources d’inspiration au hasard des rencontres et des circonstances

En introduction de son propos, Edgar Morin a tenu à dire que toute sa Pensée n’a cessé d’évoluer au fil du temps comme le fruit d’une démarche influencée par le hasard des rencontres et des circonstances : une pensée en marche, jamais achevée, pour reprendre les termes de l’orateur.

Il y aura eu la lecture et les interpellations de grands penseurs comme Héraclite, Husserl, Hegel et Kant, et bien d’autres expériences intellectuelles comme par exemple celles menées à l’occasion des travaux conduits pour rédiger « l’Homme et le mort » (Edgar Morin ici a pu puiser opportunément aux sources du fait religieux).

Marx doit être plus particulièrement cité, parce que ses écrits ont un moment contribué à un engagement militant de Edgar Morin sur lequel il s’est exprimé et auquel il a renoncé dans les années 50 au vu notamment des dérives du stalinisme et de son constat que tout ne pouvait pas se ramener aux seuls facteurs économiques.

A noter aussi, un évènement qui aura marqué Edgar Morin jeune engagé de l’armée de Lattre : sa découverte d’une Allemagne occupée sinistrée qui l’aura amené à s’interroger sur cette stupéfiante aventure du nazisme et à se demander comment une nation aussi civilisée avait pu sombrer dans la barbarie et le totalitarisme.

Parmi les autres grandes figures intellectuelles qui auront pu compter, on aura entendu cités : Meadows (qui dans son rapport dans les années 70 pointait les deux grandes menaces pour notre humanité : le nucléaire, les attaques contre la biodiversité) et Ashby (la cybernétique), Castoradis, Claude Lefort, Michel Serres, Bachelard, Jérôme Monod.

Il n’est pas sans intérêt aussi d’évoquer les relations qu’il a pu avoir avec le monde lusophone, et notamment avec deux grandes figures politiques rencontrées lors de leur exil à Paris ( le portugais Mario Suarez et le brésilien Cardoso).

En conclusion, la Pensée de Edgar Morin en quelques mots

Ce qui a été dit à propos de la pensée d’Edgar Morin a été très riche… et cela n’aura été qu’un extrait de ses réflexions, on se proposera ici de reprendre seulement ce qui semble le plus avoir été mis en exergue soit par les panelists soit par Edgar Morin lui-même.

On pourra d’abord retenir en termes généraux ce qui caractérise la pensée « morinienne » : son éclectisme, son étendue encyclopédique, sa vision cosmopolite.

Bien entendu, son maître mot est « la complexité », et toute sa subtilité qui l’amène à se garder de réduire les choses à trop de simplicité ou à des opposions binaires, sources possibles d’antagonismes, et qui l’ont conduit à intégrer dans ses analyses l’inattendu et l’incertain.

Selon ces grandes lignes directrices, il est bon alors de raisonner en termes de complémentarité, de ne pas s’enfermer dans un fixisme qui mène nulle part, avec des idées toutes faites, et à cet égard, selon Edgar Morin, pour limiter les risques d’erreurs toujours possibles et dont il faut s’accommoder, il y a lieu de toujours bien se soucier des interactions entre les personnes, les idées, les éléments composants de systèmes. On doit se préoccuper des contextes et des circonstances, ce qui amène à répondre aux questions soumises à réflexion avec nuance, en se disant toujours « ça dépend ». Il faut aussi articuler ses réflexions en combinant les dimensions de l’unité et du multiple, avec les propriétés qui s’en dégagent. Edgar Morin très tôt a alerté sur le danger ou la pauvreté d’une compartimentation de la pensée et de tout travail intellectuel. Il appelle à promouvoir les approches interdisciplinaires.

Avec ce même esprit de sortir des enfermements, une autre grande idée est à mettre en évidence : le bienfait du « transculturel », pour Edgar Morin cette question est essentielle, elle renvoie à tout ce que recouvre la diversité culturelle, avec la reconnaissance mutuelle des cultures, leur mise en relation pour un bien commun, l’Harmonie et la Paix.

Allant de pair avec cette valeur de la diversité culturelle, la défense d’une diversité linguistique est importante, car il y va de l’identité des sociétés. C’est ici ce que la mondialisation peut apporter de mieux. Hélas, et ce sont les derniers mots d’Edgar Morin, on est encore loin d’atteindre l’harmonie que pourrait produire une réelle transculturalité avec des valeurs partagées comme celles qui devraient présider à la protection de notre planète, notre « Terre-Patrie » et à l’avènement d’un monde conçu comme une communauté de destin. On a des replis identitaires ou nationaux préoccupants, des inégalités criantes ; les mentalités ne sont pas au rendez-vous de l’universel dans un monde qui reste tourmenté et exposé à de grandes menaces, avec le risque nucléaire, écologique et transhumaniste. « L’avenir est énigmatique »… nous dit Edgar Morin à sa manière, avec comme un appel à prendre conscience de la gravité de la situation.