Rencontre avec le Ministre des Affaires étrangères d’Algérie, Mr Abdelkadher Messahel
à propos de la question de l’éradication du terrorisme
En conclusion des deux premières journées de sa 204ème session le Conseil exécutif a entendu le discours du ministre algérien des Affaires étrangères d’Algérie sur l’expérience de son pays en matière de lutte contre le terrorisme islamique. Il répondait ainsi à une invitation de Madame Azoulay à traiter d’un thème sensible, intéressant pour l’UNESCO qui, dans le cadre de sa mission au service de la Paix et au titre de ses compétences a placé depuis plusieurs années la prévention de l’extrémisme violent parmi ses priorités.
Le Président du Conseil exécutif a dit la volonté du Conseil de donner plus d’importance à un sujet très sensible où les États sont essentiels à leur propre niveau mais aussi internationalement. On doit, a-t-il souligné, trouver des réponses politiques face aux phénomènes de radicalisation et on apprécie d’avoir l’occasion d’entendre, venant d’Algérie, le témoignage d’un acteur engagé sur les conditions d’un « mieux vivre ensemble » après la traversée d’épreuves tragiques.
Mme Azoulay, en souhaitant la bienvenue au Ministre, l’a remercié d’avoir accepté de livrer ses réflexions et a rappelé l’engagement de l’Unesco face aux excès fanatiques, un engagement qui passe dans une large mesure par l’éducation : éducation des jeunes à la citoyenneté, aux risques des media, et par toute action de prévention de l’extrémisme violent. Sur ce point, elle a rappelé le lancement d’une initiative Net Méditerranée qui associe 9 pays du pourtour méditerranéen.
Le discours du Ministre des Affaires étrangères d’Algérie : comment a-t-on éradiqué le terrorisme ?
L’Algérie a vécu dix années durant une tragédie qui a causé 200 000 victimes, et dont elle s’est sortie en puisant au fond d’elle-même les forces de l’apaisement. Il fallait exorciser les démons de la barbarie qui venaient casser des référents identitaires d’une valeur immémoriale et menacer la nation dans ce qu’elle avait au plus profond d’elle-même.
Pour relever ce défi – faire face à la Bête immonde et mettre fin ainsi à la violence – une stratégie d’envergure a été définie par le gouvernement et mise en œuvre résolument, systématiquement, en exploitant au mieux la volonté du Peuple de restaurer la Paix civile.
Les actions militaires ont évidemment joué leur rôle, mais les succès face à la violence exacerbée pour se confirmer dans la durée ne tiennent jamais à la force des Armes, l’important est ce qui contribue à la résilience et qui traduit ce que les populations ressentent lorsque le mal les touche avec une extrême intensité. C’est en considération de cette idée force que le gouvernement a mis en œuvre un plan de réconciliation conduit clairement et énergiquement :
- D’abord a été passée une « loi pour la concorde civile » visant certaines amnisties, avec pour objectif l’engagement d’un retour à la normale, et à une amorce de reddition des éléments radicalisés
- Pour accentuer le phénomène d’apaisement, a par la suite été adoptée par referendum une charte pour la Paix appelant à renouer avec une Histoire millénaire et à accepter le Pardon, la Tolérance. L’adhésion massive à cet engagement a été accompagnée de mesures s’inscrivant en cohérence avec l’esprit de la charte : association sur le terrain des imams modérés, de la société civile (universitaires, les femmes…), actions de sensibilisation soutenues auprès des jeunes, ouverture à l’enseignement de trois langues (et non plus seulement la langue arabe) .
Forte de la réussite d’une entreprise aussi importante pour obtenir la réconciliation de tout un peuple, l’Algérie a proposé et obtenu auprès de l’ONU qu’une « journée internationale du vouloir vivre en Paix » soit désormais célébrée le 13 mai de chaque année.
Échanges de vue avec les délégués
Une quinzaine de membres du Conseil se sont exprimés.
De ces propos et des réponses données par le Ministre, on aura relevé les points suivants :
- l’expérience algérienne est éclairante et montre la voie à ceux qui s’attachent à lutter contre le terrorisme et les radicalisations extrémistes ;
- il n’y a pas de doute à avoir, c’est par l’éducation et l’école, mais aussi au travers du levier culturel utilisé à bon escient au sein de la société, qu’on peut réellement endiguer le mal ;
- la violence et la haine ne sont pas des éléments constitutifs de l’Homme à l’origine, il faut lutter contre tout ce qui les font émerger par le biais de l’éducation.
Sur l’ensemble de ces observations, le Ministre ajoute :
- Il faut compter avec un « optimisme de la volonté » :
- Si l’on est amené à faire la guerre face aux terroristes, il faut se persuader que ce n’est pas une fin en soi, le but est d’obtenir la Paix, et, finalement, la vraie victoire est celle qu’on finit par atteindre en touchant les cœurs.
- De l’importance aussi du combat idéologique, et des actions à conduire contre les discours radicaux y compris dans les mosquées
- Mais c’est certainement dans les écoles qu’il faut intervenir pour propager un esprit de paix et de tolérance car « qui sème les écoles récolte des Hommes ».
Deux dernières idées sont soulignées par le Ministre :
- Il faut véritablement voir les choses de l’intérieur : on peut alors découvrir ce que les gens veulent au plus profond d’eux-mêmes, et là, c’est très largement un souhait d’harmonie, d’amour et d’apaisement
- Le rôle des femmes est déterminant pour la justice et la réconciliation, parce que dans tous les drames du terrorisme radical ce sont le plus souvent elles qui sont à la fois victimes ( comme veuves, comme mères) et porteuses des germes du pardon et de la réconciliation.