ARISTOTE ET ÉDUCATION

Rencontre avec la Modernité, aide à l’enseignement
UNESCO le vendredi 18 novembre 2016

Trois heures d’échanges sur un thème original – « Enseigner Aristote » – qui pouvait sembler limité dans son objet et un peu daté … Or, il n’en est rien et, à vrai dire, à l’écoute de six experts issus du monde académique européen, les écrits de ce grand penseur de l’antiquité ne sont pas frappés d’un risque d’obsolescence et leur intégration sous des formes appropriées dans nos méthodes éducatives n’ est pas une idée incongrue : 2000 ans après la mort d’Aristote, cet auteur extraordinairement fécond aura apporté un corpus d’idées tout à fait intéressantes qui, singulièrement de nos jours, en un temps si « tourmenté » par les mutations en cours, peuvent aider à la formation des élèves ou des étudiants : il y a bel et bien place pour exploiter les richesses de cet apport pour peu qu’on sache les adapter aux spécificités de notre époque.

Certes, les expériences qui ont été rapportées ne peuvent témoigner que d’une présence limitée des enseignements et de l’étude d’Aristote, avec même parfois un certain déclin qui est regretté, mais il y a toujours un grand intérêt à découvrir ce legs incomparable que constituent les œuvres considérables et extraordinairement variées de cette grande figure intellectuelle et humaniste de l’antiquité. Aristote a quasiment abordé tous les domaines de la connaissance de l’époque et, sur certains points il a même été un précurseur… Ce fut un philosophe, un homme de lettres, mais il aura aussi réfléchi à la politique, l’esthétique, l’éthique, la physique, la biologie etc.

A partir des présentations données par des experts en provenance de Belgique, de Grèce, du Royaume Uni, d’Allemagne, d’Italie, on pourra retenir un certain nombre d’idées forces qui tendent à mettre en évidence la modernité et l’applicabilité pour ainsi dire universelle des enseignements aristotéliciens :

  • une rigueur d’analyse, avec l’exploration de concepts ou l’explicitation d’idées qui aident à structurer la pensée, et même à « penser la pensée » : Aristote fournit ainsi des cadres, des matrices mais aussi des méthodes (par exemple pour organiser les questionnements, favoriser les débats, développer le jugement critique, savoir construire logiquement etc) qui servent à mieux ou bien réfléchir.
  • si on considère le purement réflexif, et pour être plus précis, on relèvera ce qu’il propose comme modes de pensée avec par exemple 1/la distinction entre le un et le multiple ou l’analyse du  « tout et de ses composantes » 2/l’analyse du  « bien » qui ne se circonscrit pas au seul aspect moral, ce qui l’amène à considérer la dimension du lieu (l’habitat) et le conduit jusqu’à évoquer l’ordre du divin 3/les dimensions du continu et du discontinu 4/la question des spécificités ou du genre.
  • Mais les messages d’Aristote ne se réduisent pas au purement abstrait ou au métaphysique : il y a aussi chez lui une démarche et un état d’esprit qui peuvent très bien faire écho aux interrogations et aux préoccupations éducatives actuelles comme par exemple l’idée de promouvoir des approches interdisciplinaires, développer les qualités et les propriétés propices à l’harmonie dans la Cité, l’ouverture d’esprit et corrélativement le refus de s’enfermer dans un domaine.

L’accent a été mis sur quelques autres idées très caractéristiques de la pensée d’Aristote et tout à fait pertinentes vues sous un angle éducatif :

D’abord, le souci constant de rester ancré dans la vraie vie, celle de l’homme ordinaire ou des choses de la vie, avec la vertu de l’exemplarité ou de l’expérimentation, et partant, une réflexion sur la nature humaine et la nature dans leurs vulnérabilités et sans leur grandeur (la beauté, le génie créatif de l’homme etc)

Ensuite, lorsqu’il s’agit des sciences, ne pas omettre d’y réfléchir en termes éthique, savoir garder une certaine distance par rapport à des vérités qui seraient purement calculatoires ou virtuelles.

Dans le même esprit, ne pas réduire la vision du monde au seul domaine rationnel, et laisser la place à l’émotion, au sentiment pour pouvoir trouver du sens, à répondre à d’évidentes aspirations en mobilisant les sens positivement, c’est-à-dire avec une quête du Beau (on retrouve l’importance de l’art, de la poésie).

Finalement, Aristote apporte des clefs pour envisager un monde meilleur. Il le fait au travers d’une multiplicité d’approches qui donnent toute sa valeur à une œuvre qu’il est bon de continuer de cultiver, notamment auprès des jeunes. Ce patrimoine spirituel et intellectuel fait partie de ces « humanités » que l’on gagnera à préserver, en surmontant tous les obstacles (difficulté de la traduction –les textes de Aristote ne sont pas toujours faciles à traduire ou/et interpréter-, concurrence d’idées à la mode et faciles à assimiler, et aussi, hélas, restrictions budgétaires).

Dernier point que l’on aura noté, l’observation sous forme de question de J Crowley, directeur de la division « culture et éducation » de l’UNESCO, faisant référence à l’acronyme « TVET » qui pourrait sembler caractériser les orientations de l’UNESCO (« Technical, Vocational Education, Training ») : n’est on pas un peu trop « instrumental » ? ne devrait-t-on pas mettre plus en évidence certaines des dimensions promues par Aristote ?
Y.N

Lire/relire Aristote par Charles Hummel