L’eau est un enjeu vital pour les mégalopoles – ensembles urbains de plus de 10 millions d’habitants-qui sont confrontées à de multiples risques, des risques que les dérèglements climatiques accentuent. D’ici à 2030, sur à peine plus de 2% de la surface terrestre, 1 milliard de personnes habiteront une centaine de ces gigantesques centres urbains (on en compte une vingtaine aujourd’hui) : un essor jugé inexorable qui va rendre de plus en plus aigu le traitement des questions nombreuses en rapport avec l’eau. Une sorte de course de vitesse est engagée pour, sinon éviter, du moins atténuer les dangers extrêmes qui pourraient déboucher sur des catastrophes en tous genres si devaient prévaloir une douce insouciance (benign neglect) ou si de mauvaises décisions étaient prises. Partout, avec néanmoins des différences d’intensité ou d’efficacité, des actions sont menées pour améliorer l’efficience et la résilience des écosystèmes que recouvre la gestion de l’eau. Sous l’empire de la nécessité de grands changements sont engagés, pour le bien commun, avec l’eau qui va de plus en plus devoir être considérée comme une ressource précieuse, à gérer avec soin, et non plus comme un élément utilisé sans discernement.
Du 1er au 4 décembre plusieurs centaines d’acteurs de « la famille de l’eau » venant de tous les continents se sont réunis dans les murs de l’UNESCO pour partager leurs idées et leurs expériences autour d’un sujet « eau et mégalopole » vital pour des centaines de millions de personnes, complexe et préoccupant à l’aune des dérèglements climatiques : l’eau et les climats sont intimement liés, aussi, avec les tendances à la dégradations qui se dessinent, il serait grave de ne pas prendre la mesure des risques que l’on voit s’amplifier partout, surtout en Asie. Une insouciance en la matière aggraverait des situations déjà problématiques et menacerait au premier chef les populations les plus pauvres, celles qui logent dans les bidonvilles, bidonvilles qui, dans les pays en développement, continuent de se développer, quand bien même ces pays affichent de belles performances économiques .
Partout les mêmes difficultés sont ressenties, et les mêmes défis : faire face à la progression démographique, une explosion de la demande que l’offre a du mal à satisfaire, entretenir et moderniser des installations vieillissantes ou non performantes, traiter les questions du gaspillage, de la destruction de la bio diversité, la fragilisation des sols, le maintien de la ressource au meilleur niveau (quantitatif et qualitatif), assurer une résilience de systèmes appelés à gérer quotidiennement des millions de mètres cubes et à supporter des variations volumétriques de plus en plus amples, gérer de façon optimale les déchets ( stockage, recyclage, transformation) , investir massivement, innover, avec parfois la nécessité de revoir radicalement des dispositifs obsolètes.
Les sujets à traiter sont évidemment techniques et d’abord d’ordre hydrologique stricto sensu, mais ils appellent de plus en plus à mobiliser d’autres spécialités : l’énergie, le numérique, et aussi de plus en plus la biologie, les techniques agronomiques, l’architecture, l’urbanisme et l’aménagement du territoire.
Les questions environnementales se posent de plus en plus avec acuité (exemple Ho-chi-Minh ville : les canaux du centre ville n’abritent plus aucune espèce vivante, les déchets ayant fait disparaître l’oxygène. De plus en plus de nappes phréatiques sont polluées, en particulier avec intrusion de l’eau de mer).
Autre point important : les questions économiques et financières dans un contexte de raréfaction des financements budgétaires. Certains thèmes ici sont très sensibles et font débat : la question du prix de l’eau (gratuité ou prix subventionné), la régulation, la privatisation, qu’il s’agisse de la distribution (exemple : Paris en 2010 a décidé de « re-municipaliser » la fonction) ou des investissements (partenariats public-privé).
De toutes les interventions qui ont été très riches et diverses (contributions de scientifiques, de responsables d’associations, de gestionnaires ou représentants des municipalités etc) on voit à quel point le sujet est complexe tant il appelle à prendre parti sur des choix essentiels, à associer une multitude d’acteurs (y compris les associations et les ONG), à combiner de façon cohérente les intérêts et les contraintes des responsables à des niveaux et avec des préoccupations variées.
Ainsi, c’est avec une particulière acuité qu’au niveau des mégalopoles, doivent se rendre des arbitrages délicats, où le politique a tout son rôle à jouer, et où il ne le joue pas forcément au mieux des intérêts des populations les plus fragiles. Ces décisions à prendre amènent ainsi d’éventuels conflits entre les échelons des organisations (le local face au régional ou au gouvernemental), entre les critères environnementaux ou économiques.
Se posent partout des questions quant à la gouvernance et au modèle économique : rôle de la société civile, part du privé, prise en compte de la dimension sociale ou priorité donnée à la performance économique. Les décisions sont tout à la fois opérationnelles (la gestion au quotidien) et stratégiques, sachant que, de plus en plus, cette dimension est prise en compte pleinement compte tenu des enjeux majeurs que représente l’eau pour ces mégalopoles à la fois en pleine expansion économique (elles représentent toutes une part importante des PIB des pays dans lesquelles elles se trouvent) et vulnérables à cause des dérèglements climatiques : plus de pluies ou de sécheresse(fréquence), des extrêmes qui s’accroissent (températures, niveaux des eaux) avec comme conséquence plus de risques de catastrophes naturelles (tsunami, tempêtes, hausse des niveaux de la mer, dépérissement des sources, réduction des nappes, disparitions de cours d’eau, intrusions salines etc).
Si les organisateurs de la conférence ont regretté que l’eau n’ait pas été plus au centre des discussions de la COP21 (ils l’ont fait savoir officiellement en faisant adopter par les participants et par tous les sponsors de l’événement une déclaration solennelle appelant l’attention des États sur toutes les problématiques autour de l’eau), ils trouvent beaucoup de satisfaction avec l’agenda du millénium de l’ONU qui, dans trois des 17 objectifs, fait figurer comme une préoccupation majeure la question du développement urbain, de la protection des populations fragiles, prioritairement les plus pauvre, et de la résilience.
Savoir maîtriser la complexité : approches intégrées et coopératives
Pour faire face aux défis ,nombreux, multi dimensionnels et à traiter sur de très grandes échelles, les approches à retenir appellent de plus en plus à être intégrées. Il importe qu’il y ait prise en compte de toutes les dimensions des problèmes rencontrés et que, pour ce faire, toutes les parties prenantes soient bien associées, à tous les niveaux et sans effet silo, avec, dans toute la mesure du possible, une unité de commandement, à savoir en général le maire ou le responsable de la métropole… Mais on est encore loin d’avoir partout l’optimum, en Inde notamment, il y a encore beaucoup d’interférences entre les niveaux (métropoles et régions) qui compliquent la gestion sur le terrain. La question de l’implication de la société civile et des ONG est jugée importante.
Les préoccupations de justice sociale, et le respect des personnes mais aussi de la nature
Mme BOKOVA a rappelé tout l’engagement de l’UNESCO avec notamment un Programme de recherche hydrologique international (qui existe depuis plusieurs années et qui contribue au travers des échanges et réflexions à faire émerger de nouveaux concepts susceptibles d’application sur le terrain, comme depuis peu, le souci majeur à avoir pour la « sécurité de l’eau » à apprécier sous tous ses aspects, notamment écologique). Elle a insisté sur des questions sociales souvent prégnantes dans certaines villes, où les accès à l’eau sont discriminants, où subsistent des situations qui pénalisent encore beaucoup trop souvent les femmes (obligées de s’épuiser à chercher l’eau et ainsi se trouver privées d’émancipation), ou les enfants, premières victimes des eaux polluées sources de contamination, de mortalité.
D’une manière générale, à d’assez nombreuses reprises la question de l’inclusion des populations vulnérables a été mentionnée comme très importante, dans un contexte de développement pas toujours bien maîtrisé de ces ensembles urbains.
Une intervenante canadienne, militante du Droit de tous à l’eau et à l’assainissement, s’est félicitée de voir l’ONU s’être engagée dans cette direction, mais en même temps elle a dénoncé la persistance en trop grand nombre de situations d’injustice ou d’atteinte à l’environnement (qui, in fine, touchent toujours les plus défavorisés) : trop d’aides aux entreprises (voire de tolérance quant au non respect de règles environnementales, notamment dans le domaine minier), trop peu de protections des personnes dans leurs situations par rapport à l’eau, accentuation des inégalités à ce sujet, pas assez de préoccupations d’ordre public. Dans certaines métropoles, alors qu’elle devrait maintenant être considérée comme un « don de la nature au service des populations », la dégradation de l’eau – singulièrement à cause des grandes conurbations – doit être combattue, par une urbanisation mieux conçue, plus régulée, au service de « notre belle planète »
La question des populations et zones rurales
le sujet a été peu abordé mais il serait très incomplet de parler des mégalopoles sans évoquer les problèmes ayant trait aux zones rurales : il y a d’abord à souligner l’ampleur des migrations de la population des zones rurales vers les grandes villes qui sont l’une des principales causes des difficultés observées au niveau des métropoles, mais on doit aussi mentionner les troubles que peuvent occasionner les irrigations excessives autour des mégalopoles et qui pèsent sur la ressource.
Les innovations de rupture
Intéressant témoignage du responsable d’un programme de l’Union Européenne qui encourage et soutient des centaines d’initiatives innovantes en particulier en rapport avec la gestion et l’utilisation de l’eau.
Ces innovations, souvent le fait de start-up, sont prometteuses parce qu’elles visent à promouvoir de nouveaux modes d’utilisation de l’eau, pour s’affranchir autant que faire se peut des contraintes fortes en train d’apparaître. Avec le souci d’optimiser les fonctions, elles misent sur la décentralisation (moins de grosses unités couvrant de très larges ensemble), la circularité (recyclage des déchets) et l’optimisation du couple énergie/eau (tant il est vrai que les grands systèmes sont très consommateurs d’électricité) avec trois valeurs privilégiées : circuits courts, valeurs trouvées dans les territoires, souci d’associer eau/plantes/énergie : ce sont des innovations de rupture.
Trois exemples (success stories) : un système permettant de purifier l’eau au sein des immeubles à partir de micro-algues extraites des déchets(France), une plate-forme d’échanges de bonnes pratiques concernant les infrastructures vertes des villes (végétalisation des bâtiments, stockage des eaux des crues, agriculture en milieu urbain)( Royaume Uni), pisciculture écologique dans une grande ville (Berlin).
Contraste entre mégalopoles des pays développés et celles des pays émergents.
Il nous a été présenté tout ce qui peut être fait dans des mégalopoles de pays développés (Tokyo, New York, Ile de France, Londres, Los Angeles, San Francisco), avec une sophistication et une maîtrise technique ou organisationnelle avérées. Cette situation contraste avec ce qui a pu nous être présenté des grandes mégalopoles des pays en développement, en Asie surtout, mais aussi en Afrique (le cas de Lagos nous a été présenté). Il y a dans ces pays comme une course de vitesse à conduire pour relever les défis. Dans certains cas, là où la montée des risques climatiques fait déjà sentir ses effets avec une grande violence (Dacca, Manille, Hô-Chi-Minh ville, Bombay), les experts ne voient pas forcément comment enrayer les détériorations très probables à venir. Pour le moment, toutes les parades sont mobilisées (bassins de décantation, lutte contre les fuites, développement d’espaces végétaux, sensibilisation à un meilleur usage de l’eau, récupération de l’eau de pluie, conception des canaux d’évacuation pour faire face aux risques inondation…) mais certains problèmes demeurent, et/ou sont sans solution : acidification des nappes, abaissement du niveau des sols, montée du niveau de la mer etc . Il y a aussi des questions très lourdes en matière d’habitats. Dans beaucoup de villes ont été construites des maisons (baraquements) fragiles et situées au bord de l’eau sur des berges instables.
On comprend bien, au simple énoncé de tous les problèmes rencontrés, l’ampleur des difficultés, et on comprend aussi que les représentants des pays concernés se soient montrés les plus insistants sur les mesures à prendre dans le cadre de la COP21. Même si le dérèglement climatique n’est pas la cause de tous les maux, ils accentuent singulièrement les menaces qui pèsent sur ces espaces urbains sur-habités (densité de plusieurs milliers d’habitants au km carré), et mal équipés, ou mal gérés au quotidien comme en matière d’investissement faute de compétences, de ressources mais aussi, encore trop souvent, à cause d’un personnel politique nourri par le clientélisme, ou d’administrations par trop bureaucratiques et parfois soumises à des pressions intéressées.
Les coopérations internationales et la géostratégie
Il y a des mécanismes d’entraide et de solidarité actifs, efficaces la fois en termes financiers (comme par exemple le Global green fund – 10 milliards de dollars actuellement apportés par les États – ou les aides de l’Agence française du développement) ou d’assistance (dont les concours de l’UNESCO et d’un certain nombre d’associations internationales comme l’ICLEI).
La gestion des eaux au sein de bassins regroupant plusieurs pays est un élément très important à considérer, d’autant plus important qu’il peut y avoir des pénuries d’approvisionnements. Cette question peut être cruciale. Elle suppose une bonne entente entre ceux de l’amont (qui approvisionnent) et ceux de l’aval qui en général utilisent, mais cette condition n’est pas forcément toujours remplie. Il s’agit de problématiques sensibles qu’il faut compter comme sources de fragilité réelles ou potentielles pour certaines mégalopoles. On a cité les propos entendus dans un colloque récent tenu à Stockholm, propos excessivement pessimistes d’un participant selon lequel les prochaines guerres à l’avenir seront motivées par l’eau (défense ou conquête des bassins versants).
La planification stratégique, les prévisions
Si les soucis en rapport avec l’eau sont nombreux lorsqu’on entend ce qui est rapporté à propos des mégalopoles (et cela vaut certainement pour des villes moins importantes), il faut aussi relever les multiples actions qui vont dans le bon sens. Des expériences encourageantes dénotent partout une prise de conscience et des engagements plus forts que par le passé. La présentation de certaines projets (Téhéran,Bello Horizonte et Lima notamment) témoigne de ce souci de traiter au mieux ces questions de l’eau, par exemple en améliorant la connaissance des aléas météo pour permettre de mieux prévoir dans le temps et dans l’espace les intensités pluviométriques afin notamment de mieux alerter les populations en cas de risques d’inondation. Autre expérience réussie avec le cas de LIMA, mégalopole de près de 9 millions d’habitants et qui est très peu arrosée par les pluies. Les Autorités locales péruviennes ont adopté un plan d’action extrêmement détaillé et exigeant pour suivre la mise en œuvre d’une stratégie d’adaptation à des conditions d’approvisionnement qui pour être déjà difficiles sont appelées à se détériorer dans les années à venir (plan d’action construit avec l’aide d’un laboratoire d’ingénierie allemand, ayant associé toutes les parties prenantes – de l’importance du dialogue avec la société civile- pendant plusieurs années).
La déclaration officielle adressée aux États
M LEPELLETIER, ancien Ministre de l’environnement et actuel président de l’Académie de l’eau, a présidé une session qui portait sur cette déclaration officielle visant :
à demander qu’à l’avenir le thème de « l’eau dans les mégalopoles » soit mieux pris en compte dans les travaux de la Conférence des parties ( COP) parce qu’il y a un lien très étroit entre « l’eau » et « les climats »,
à examiner tous les éléments de la filière eau, avec tous les acteurs de la « water family » en ayant le souci du développement durable et d’une solidarité internationale,
à soutenir l’initiative de l’UNESCO et de l’ICLEI ainsi que plusieurs autres sponsors pour promouvoir d’ici à 2017 une plate-forme de coopération qui aura pour objet l’échange de bonnes pratiques, le partage d’expériences, l’information sur les financements disponibles.
Yves Nachbaur