« De la violence vers la paix : utopie ou espoir ? »

Table ronde organisée par le CCIC au Centre Sèvres, le 17 octobre 2016,
dans le cadre de la préparation de la célébration du 70° anniversaire de la coopération du CCIC avec l’UNESCO

Trois heures d’échanges pour une conférence du CCIC sur un thème qui ne laisse pas insensible…

Aujourd’hui comme hier le Monde est traversé de courants tour à tour violents et plus paisibles, mais n’y a-t-il pas permanence et prédominance de forces destructrices, agressives ? aujourd’hui comme hier ? hier plus qu’aujourd’hui ? Questions de toujours, questions d’actualité. Trois intervenants aux profils très différents, avec pour chacun des expériences vécues du sujet, nous apportent leur regard et leur réponse. Avec lucidité, leurs analyses ancrées dans le réel ne manquent pas d’interpeller. Oui, le Monde est difficile, dur, et pourtant il y a des raisons d’espérer ! La paix peut faire partie de ce Monde entre Hommes de bonne volonté. Des facultés de Paix sommeillent en nous, on doit pouvoir les éveiller.

conference-unesco-violence-ou-paix-1Près de cent cinquante personnes ont ainsi assisté à un débat nourri de trois contributions à la fois incisives, parfois inattendues et toutes trois singulières, et ne manquant pas d’interpeller l’auditoire.

Regard réaliste d’un expert en géostratégie – Pierre SERVENT –  fin observateur des relations internationales et grand connaisseur des questions militaires, présentation d’un court métrage (issu d’une émission donnée sur ARTE) par une écrivaine – productrice TV – Flore VASSEUR – qui donne un coup de projecteur surprenant sur « les médias et la société colombienne en marche vers la paix », enfin, dernier témoignage, celui de Jacques LECOMTE, philosophe et spécialiste de la psychologie positive, qui, tout à la fois par l’observation du monde et sa propre expérience, laisse entrevoir la possibilité de chemins de paix, si l’on touche l’humain en son cœur.

Avant d’inviter les orateurs à s’exprimer, on a rappelé cette contradiction fondamentale qui perdure avec d’une part la réalité des faits – toutes les convulsions et la misère du monde – et d’autre part une aspiration des peuples et des personnes au bonheur, à une vie meilleure, avec la paix comme promesse d’avenir.



Trois réactions, trois angles de vue complémentaires pour enrichir le débat


Un regard réaliste, trois évolutions peu encourageantes (Pierre SERVENT)

I – Inquiétudes grandissantes avec de plus en plus de « surprises stratégiques violentes »

Il suffit d’énoncer tous les conflits violents des dernières années, qui n’ont cessé de surprendre tant par leur forme (de plus en plus diffuse) que par leur ampleur ou leur localisation.
Du FIS en Algérie jusqu’à DAECH, de la Tchétchénie jusqu’au Moyen Orient, le radicalisme du Sahel, les p1060440avévénements du 11 septembre à New York, l’échec des Printemps arabes, des attentats partout : il y a une violence diffuse, mouvante, un chaos où se mêlent technologie et sauvagerie, des situations aléatoires, des conflits difficiles à endiguer car il ne s’agit plus de guerres ouvertes : on est plus face à l’ordre de chocs semblables à ce que peu produire une dissémination désordonnée de métastases susceptibles de produire leurs effets à tous moments, n’importe où, de façon imprévisible .

II – Le dialogue international perd de sa vigueur, montée des Puissances impériales

Les États tendent à se replier sur eux-mêmes, les opinions publiques deviennent inquiètes et nourrissent des courants bellicistes, nationalistes : l’ONU, l’Union Européenne n’ont pas les coudées franches… A l’inverse se développent des courants aux visées impériales (exemple : la Russie et l’annexion de la Crimée, la Chine et ses revendications territoriales ou maritimes).

III – Apparition d’imprécateurs auto-désignés appelant à la cassure, voire à la violence éventuellement barbare

On se désinhibe, on dénonce les sociétés dévoyées, on emprisonne, on censure, on appelle même au meurtre !
Ici l’agressivité avec des degrés d’intensité variable inspire tout aussi bien des responsables de gouvernement que des tribuns de partis populistes ou des prédicateurs propagandistes violents.

Sur cette toile de fond bien sombre, on peut néanmoins discerner quelques signes encourageants. Sans aller jusqu’à suivre Michel Serre qui – un peu provocant – a suggéré qu’on était dans une situation paradisiaque par rapport au(x) siècle(s) dernier(s) marqués par une extrême pauvreté et des génocides ou autres guerres – massacres, il y a des signes d’espoirs : des personnalités porteuses de messages de paix, les sociétés civiles qui souvent portent en elles des antidotes aux positions extrémistes, et aussi le rôle qu’ont pu jouer la diplomatie vaticane (sans même parler des messages du pape), ou le sultanat d’OMAN exemplaire en termes de tolérance. Même là où prévaut encore la dureté des relations internationales, il est parfois de petites avancées, comme par exemple l’accord avec l’Iran sur le nucléaire.


Les médias au service de la Paix : surprenante expérience colombienne (Flore VASSEUR)

Projection d’un documentaire que Flore VASSEUR a tourné en Colombie en 2015 où elle raconte une histoire assez exceptionnelle, originale et porteuse de sens, d’espérance en l’homme.
fvIl nous est montré ici comment un publicitaire colombien de renom a pu mobiliser toutes les ressources du monde de la communication au service d’une cause cette fois-ci non commerciale mais humanitaire, humaine dans son sens le plus fort puis-qu’aussi bien il s’agit d’une contribution au rétablissement de la paix civile dans un pays ravagé par 50 ans de conflits intérieurs qui ont fait plus de 200 000 morts et 4 millions de déplacés.
Avec un engagement fort de son agence, ce célèbre publicitaire a convaincu le gouvernement que l’on pouvait obtenir de bien meilleurs résultats avec des campagnes média sur une grande échelle qu’avec l’aide des armes. Avec tout un ensemble d’opérations médiatiques spectaculaires, originales et menées sur une grande échelle au cœur de la jungle, les résultats ont été au rendez vous, des milliers de rebelles se sont avisés de renoncer au combat violent.
Messages de paix par hélicoptère (pour faire parler le forêt), événements son et lumières au milieu de la jungle – arbres immenses illuminés au moment de Noël – témoignages apaisés de personnes revenues de leur dur passé, émotion suscitée par des images de paix et d’amour, amour d’une mère qui pleure son enfant perdu, envoi de cadeaux… mais aussi changement de comportement des forces de l’ordre, qui devenaient ici des vecteurs de ces messages destinés à ouvrir les cœurs. Tout cet ensemble d’initiatives imaginées par des communicants a porté ses fruits et fait revenir des milliers de jeunes qui, pour avoir sombré dans la délinquance, croyaient trouver dans la guérilla une solution à leurs tourments. Bien entendu, tout dans ces conversions n’a pas tenu seulement à ces actions médiatiques, mais ces dernières ont joué leur rôle et montré qu’avec l’émotion, une émotion saine faite de bienveillance et de compréhension mutuelle, on pouvait accomplir des miracles.


Regard d’un philosophe sensible à la bonté de l’homme (Jacques LECOMTE) : la Paix – un espoir réaliste

A la fois au travers de ses réflexions et recherches historiques et philosophiques mais aussi et surtout d’expériences personnelles, Jacques LECOMTE nous donne une vision réconfortante, convaincante aussi de l’humanité dans son essence. Ce n’est pas de l’angélisme, il ne nie pas les terribles expériences d’un passé qui n’est pas lointain (les génocides, le nazisme), mais il ne veut pas se contenter d’un constat qui conduirait à penser que ces situations ultra violentes sont dans la nature de l’homme. p1060448avRéagissant au témoignage de Flore VASSEUR, il trouve bien dans cette histoire colombienne toute récente la confirmation que l’homme n’est pas intrinsèquement mauvais, et que toutes les dérives violentes sont fondamentalement dues à des phénomènes de psyché sociale, de mimétisme, soumission qui ne sont en rien le produit d’un atavisme : Simon WIESENTHAL disait qu’on ne naît pas nazi, on le devient.
Cela étant précisé, plusieurs autres points sont exprimés comme éléments de nature à apaiser et prévenir la violence:

– il faut lier  « la politique et la morale », et savoir rentrer dans l’esprit de l’homme ;
– «la démocratie » est un régime qui prévient le mieux les situations violentes, dès lors que le citoyen est écouté ;
– au vu des expériences des pays ayant connu de sérieux affrontements (Afrique du Sud, Irlande) on comprend qu’il est important de mettre en place des instances (commissions) permettant de traiter avec justesse le cas des terroristes (voir la question des sanctions, des amodiations sont possibles mais pas au point de tout oublier) ;
– la société civile est essentielle, c’est bien souvent en elle qu’on trouve des ressources qui la rendent résiliente face aux défis d’une violence à éradiquer, et ici deux obstacles sont à éviter, à savoir la manipulation par les médias ou les politiques ;
– les succès face à la violence supposent de pouvoir miser sur la fraternité, de faire confiance en l’homme avec sa part de bonté.


Le débat : réactions des intervenants, questions

– il faut rester vigilant, savoir bien analyser. Le recours aux armes est souvent inévitable face à une violence fondamentale. Il n’est pas sain de trop baisser la garde… Mais assurément, ce n’est jamais le militaire qui a le dernier mot pour résoudre in fine un conflit (P. SERVENT).
– on confirme que le Président SANTOS est conseillé par le publicitaire dont il a été question; on rappelle que si le référendum a échoué de justesse, le gouvernement a bien passé un accord en 7 points avec les FARC (F. VASSEUR). C’est toujours elle qui précise que, au moment du référendum, trois grandes villes de Colombie étaient touchées par l’ouragan et les personnes ne pouvaient pas se rendre aux urnes.
– s’il a été beaucoup question de violence physique (militaire, terrorisme etc.), il ne faut pas omettre de parler des violences économiques ou sociales.
– le Militaire authentique n’est pas intrinsèquement violent, il lutte pour servir, il défend une cause noble (histoire racontée d’un officier qui a dû son engagement dans l’armée à la montée du nazisme) ; (J. LECOMTE rapportant son expérience d’objecteur de conscience sanctionné qui voit venir à sa rencontre son colonel, « à la bienveillance empathique »)
– dans nos sociétés qui peuvent sembler à bout de course, avec de la violence insidieuse (économique notamment), il y a tout de même des raisons d’espérer. Cet espoir est à mettre dans la richesse des jeunes (le partage, l’économie collaborative) (J. LECOMTE)
– intervention d’une personne pour appeler l’attention sur l’histoire : selon cette enseignante, il est dramatique qu’on ne parle plus vraiment des guerres, qu’on ne sache plus donner le sens de l’histoire ou qu’on y introduise des biais idéologiques.

Yves Nachbaur

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Cette table ronde s’inscrit dans le cycle préparatoire à la célébration des 70 années de coopération avec l’UNESCO qui aura lieu le 23 mars prochain, à l’UNESCO.

 « Quel monde voulons-nous construire, ensemble ? » un monde dans lequel toutes les facultés de recherche de la Paix qui sommeillent dans l’Homme pourraient être réveillée ? Habité de la volonté de progresser au-delà des différences dans le respect des convictions de chacun, le message du CCIC se veut source de propositions.

Retrouver la présentation des ouvrages et réalisations des intervenants