Journée internationale de la langue maternelle – 21 février 2018

« Diversité linguistique et multilinguisme : des outils essentiels au développement durable et à la paix »


La Journée internationale de la langue maternelle, célébrée chaque année le 21 février depuis 19 ans, et soutenue cette année par l’Organisation Internationale de la Francophonie, est l’occasion pour l’UNESCO de réitérer son engagement pour la diversité linguistique et de rappeler que la diversité linguistique et le multilinguisme sont essentiels pour le développement durable et la paix. La promotion de l’éducation multilingue fondée sur la langue maternelle pour les premières années de scolarisation de l’enfant en est un des éléments clés. Cette année est aussi celle de la commémoration du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule qu’aucune discrimination ne peut se baser sur la langue (Art 2)

Ouverture de la Journée

Elle a été marquée par plusieurs brèves allocutions : celle de Mme Lydia Ruprecht, Division pour la paix et le développement durable, Secteur de l’éducation, UNESCO, de Mme Soo-Hyang Choi, Directrice, Division de l’éducation pour la paix et le développement durable, UNESCO, de S.E. M. Kazi Imtiaz Hossain, Ambassadeur du Bangladesh en France et Délégué permanent auprès de l’UNESCO, de M. Evgeny Kuzmin, VP du Conseil intergouvernemental du Programme de l’UNESCO sur l’information pour tous (PIPT) et de Mme Véronique Taveau, Directrice de la communication de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Les intervenants ont souligné que les langues sont un élément fondateur de l’identité de toutes personnes. Dans son message à l’occasion de la Journée, Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, déclarait : « Une langue est bien plus qu’un moyen de communication : c’est la condition même de notre humanité. En elles se sédimentent nos valeurs, nos croyances, notre identité. Grâce à elles se transmettent nos expériences, nos traditions nos savoirs. La diversité des langues reflète la richesse irréductible de nos imaginaires et de nos modes de vie.»

Des programmes concrets mis en place par les pays ont été évoqués. Le Bangladesh s’est engagé à fournir un accès à l’éducation à tous les groupes ethniques et linguistiques dans leurs propres langues. Des manuels dans les langues locales sont distribués gratuitement. En Russie, il y a 100 langues autochtones, même si le russe est la langue nationale, chacune de ces langues est représentée dans le système éducatif. La Francophonie soutient l’initiative École et Langues Nationales en Afrique (ELAN) qui vise à la promotion et à l’introduction progressive de l’enseignement bilingue articulant une langue africaine et la langue française au primaire. Elle a également lancé un cours en ligne ouvert et massif (MOOC) « Comprendre et analyser les enjeux du développement durable » que 12 000 participants ont déjà suivi.

Vidéo – UNESCO Green Citizens – Les savoirs locaux au Nicaragua

Promouvoir et transmettre les savoirs autochtones. La réserve de Bosawas est le lieu d’habitation des autochtones Mayangna. Après plusieurs séries d’entretiens, de discussions et de commentaires avec les membres de la communauté, le projet a débouché sur la publication d’un livre de plus de 400 pages sur les connaissances et savoir-faire mayangna. Le livre publié est en deux langues : Mayangna et espagnole. Il capture minutieusement l’étendue et la profondeur des connaissances autochtones sur le monde aquatique. La vidéo témoigne en 10 minutes d’une mise en pratique de ces connaissances avec des jeunes enfants sur le terrain.

Présentation et Débat 

Présentation : M. Billal Fouad Barakat, Rapport mondial de suivi sur l’éducation (GEM Report), UNESCO : Langue d’enseignement et alphabétisation en contexte multilingues.

Comment apprendre quand on ne comprend pas ? Un très grand nombre d’enfants ne reçoivent pas un enseignement dans la langue qu’ils parlent à la maison. Au niveau mondial, 40% des jeunes enfants ne sont pas scolarisés dans une langue qu’ils comprennent. Aujourd’hui dans 21 pays d’Afrique sub-saharienne, l’enseignement est donné dès le primaire dans la langue internationale de la région. Les enquêtes montrent pour ces enfants un retard significatif dans leur niveau d’alphabétisation par rapport aux enfants dont l’enseignement a été donné jusqu’au niveau du secondaire dans leur langue maternelle.

Le travail d’enquête et les conclusions du Rapport mondial de suivi sur l’éducation insistent sur le fait que l’enseignement devrait être donné en langue maternelle pendant 5 ans, qu’il est nécessaire que les professeurs soient formés à enseigner en langues maternelles et que des manuels scolaires en langues maternelles soient mis à leur disposition et à celle des enfants.

Débat : « Nos langues, nos atouts »

Quatre intervenants sont venus apporter leur expérience sur la défense des langues locales.

Mme Capucine Boidin, Anthropologue, Institut des Hautes Études d’Amérique Latine (IHEAL), Sorbonne. Elle a travaillé longuement au Paraguay (et reste en lien avec ce pays) sur la question de la langue guarani dans le contexte d’un pays où l’espagnol était la langue dominante. Les personnes parlaient guarani mais écrivaient en espagnol. En 1992 le guarani a été reconnu comme langue nationale au même titre que l’espagnol. C’est un défi énorme qui a marqué un tournant pour le pays avec un renforcement du sentiment d’identité et d’estime de soi.

M. Patrick Mouguiama-Daouda, Linguiste, Professeur à l’université Omar Bongo, Libreville, Gabon. Quelle place a la langue locale dans le pays ? Il peut y avoir un sentiment de refus, qu’est-ce que représente l’identité ancienne pour des populations qui n’ont plus de territoires et de culture ? Pour que vivent les langues locales il faut un engagement des communautés locales. Les langues du Gabon et du sud Togo sont en danger et il est difficile de trouver un financement pour les promouvoir, mais quel est le nombre de personnes qui les parlent ?

Mlle Victoria Exley, Chargée des politiques et des plaidoyers en matière d’éducation, représentante de « Global book Alliance » (GBA). S’il n’existe pas de livres en langue locale il y a évidemment un problème de fond. L’Alliance mondiale du livre est un partenariat d’agences donatrices, d’institutions multilatérales et d’organisations de la société civile qui se sont engagées à apporter des livres à tous les enfants du monde d’ici 2030, dans la langue que les enfants utilisent et comprennent (y compris le braille et la langue des signes). Pour promouvoir plus largement l’accès aux livres, GBA vient de lancer le projet d’une bibliothèque numérique mondiale (Global Digital Library – GDL) avec un accès en ligne et des licences libres. Un partenariat spécifique est à l’essai au Cambodge, où les besoins sont vastes du fait de la multiplicité des langues. Il s’agirait de fournir des livres et de créer un poste de radio.

M. Sebastian Drude, Linguiste, Centre international Vigdis des langues du monde, Islande. Il y a 7000 langues dans le monde, tous les 15 jours une langue disparaît. Cela est particulièrement vrai aux États-Unis et en Australie. Les langues ne seront utilisées que si les populations sont fières de leurs langues et disposeront de livres dans la langue locale. Pour ce qui est des migrants, quel est le respect de leur langue dans le pays d’accueil, dans quelle langue s’exprimeront leurs enfants ?

Conclusion

Le multilinguisme a été le fondement des sociétés pendant des siècles, ce n’est qu’à l’époque moderne que sont apparus des langues dites « dominantes ». Le phénomène est encore plus marqué aujourd’hui avec la prédominance de l’anglais en particulier dans les sphères du scientifique et du numérique.

La diversité des langues, comme la diversité culturelle, est à protéger. S’il existe des arguments éducatifs forts en faveur de l’enseignement dans la langue maternelle, il est également nécessaire de veiller à ce que l’éducation assure à la fois, et d’une manière équilibrée, la capacité à employer les langues locales et un accès aux langues mondiales de communication.

DG/27-02-18