Adoption des Principes d’Abidjan (Education de qualité pour tous, Liberté de choix des Etablissements d’enseignement, Respect des droits de l’Homme), Expérience d’un réseau international privé d’aide à l’Education au bénéfice des pauvres. De l’importance du secteur éducatif privé dans le Monde : un élève sur quatre le fréquente. Son rôle pour l’atteinte de l’ODD4 – objectif Education de l’agenda 2030 de l’ONU – est capital.

Reconnu comme un droit humain fondamental, le droit à une éducation gratuite, de qualité, pour tous, a été confirmé par les conventions internationales (article 26 de la DUDH – Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en particulier), régionales et nationales. De ces conventions découlent les obligations des Etats. Malgré les progrès accomplis, de nombreux Etats ne sont pas encore en mesure aujourd’hui de garantir ce droit essentiel. En 2018, il y avait 260 millions d’enfants et adolescents non scolarisés, plusieurs centaines de millions sont scolarisés mais n’apprennent pas ou n’acquièrent pas les compétences minimales en lecture et en calcul.

L’article 26 de la DUDH précise aussi que « les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » d’où découle l’intervention d’acteurs privés. L’enseignement proposé par le secteur privé est en croissance forte au détriment possible de l’enseignement public. Il est dans plusieurs cas mis en question comme ne respectant pas les droits de l’Homme. Comment faire pour que le droit à l’éducation soit respecté et garanti dans un monde en pleine mutation, où les urgences migratoires et climatiques se multiplient et où, à côté des acteurs publics, les acteurs privés jouent un rôle grandissant ?

Le débat stratégique de l’IIPE avait pour objectif premier de présenter les : « Principes d’Abidjan sur le droit à l’éducation » (adoptés le 13 février 2019) : « Principes directeurs concernant les obligations des États en matière de droits de l’Homme de fournir un enseignement public et de réglementer la participation du secteur privé à l’éducation», et de souligner les réponses que ces principes apportent aux responsables de l’éducation au niveau national et international. La parole était également donnée au point de vue de l’engagement privé dans le secteur de l’éducation.

Deux des experts, qui ont participé au processus de rédaction et d’approbation des « Principes d’Abidjan » et qui contribuent actuellement à leur mise en œuvre, en ont assuré la présentation : Sylvain Aubry, de l’Initiative globale pour les droits économiques, sociaux et culturels (Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights) et Delphine Dorsi de l’Initiative pour le droit à l’éducation. Peter Colenso, conseiller senior de l’ONG Global Schools Forum, apportait le témoignage d’un réseau d’éducation privée. Hugues Moussy, de l’IIPE-UNESCO, était le modérateur d’un débat parfois vif.

Les Principes d’Abidjan

Les « Principes d’Abidjan » ont été élaborés au cours de trois années de travail, de 2016 à 2018, sur la base des normes juridiques et de la jurisprudence internationale en matière de droits de l’Homme, dans le cadre d’un processus ouvert, largement consultatif, avec la participation de parties prenantes indépendantes d’horizons divers – juristes, spécialistes et praticiens de l’éducation, communautés et ONG concernées et représentant des diverses régions du monde. Des efforts ont été faits pour atteindre les communautés et les détenteurs de droits touchés par des politiques éducatives ne respectant pas les droits de l’Homme et également dans les situations où certaines formes d’engagements privés dans l’éducation – dont la croissance rapide a été constatée au cours des 20 dernières années – ne respectent pas les droits de l’Homme ou entrent en conflit avec l’obligation des Etats d’offrir une l’éducation gratuite, de qualité pour tous. L’ONU et d’autres organismes régionaux des droits de l’Homme, des tribunaux et d’autres institutions des droits de l’homme se sont penchés sur cette situation. Leurs décisions ont conduit à un texte unique pour clarifier les normes juridiques applicables.

C’est ce à quoi vise la déclaration des « Principes d’Abidjan ». Ce texte a été soumis à l’approbation de 55 experts indépendants (dont 60% venant de pays du « Global South », 60% de femmes) lors de la conférence d’Abidjan qui s’est tenue le 12 et 13 février 2019. Il n’appelle pas une approbation formelle des Etats, mais il a reçu une reconnaissance de la communauté internationale lors de l’Assemblée Générale des Nations Unis en juillet 2019 et du Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Hommes, Michelle Bachelet, en octobre 2019. D’autres reconnaissances sont attendues.

Les « Principes d’Abidjan » rassemblent 97 Principes Directeurs (Guiding Principles) couvrant six domaines. Ces Principes généraux sont regroupés autour de 10 Principes d’Application Générale (Overachieving Principles) qui donnent une vue d’ensemble et une synthèse des Principes Directeurs eux-mêmes. Les 6 premiers Principes d’Application Générale ainsi que le dixième, résumés ci-dessous, posent les fondements.

Les Principes d’Application Générale 1 et 2 couvrent l’obligation des Etats de fournir une éducation de qualité pour tous, respectant les principes d’égalité et de non-discrimination, et mise en œuvre efficacement dans les meilleurs délais.

Le Principe d’Application Générale 3 couvre l’obligation des Etats de respecter la liberté des parents (ou tuteurs) de choisir pour leurs enfants une institution éducative autre que l’institution publique, et la liberté des personnes ou de groupes de personnes d’établir et de diriger des établissements éducatifs privés sous réserve de se conformer aux standards établis par l’Etat en ce qui concerne ses obligations au regard des lois internationales et des droits de l’Homme.

Le Principe d’Application Générale 4 couvre l’obligation des Etats d’établir de mesures efficaces pour assurer que les droits liés à l’éducation sont respectés lorsque des acteurs privés sont impliqués dans l’offre d’éducation.

Le Principe d’Application Générale 5 couvre l’obligation des Etats de donner priorité au financement d’une éducation publique, gratuite, et de qualité, et de ne financer directement ou indirectement des institutions éducatives privées que si elles respectent strictement la législation sur les droits de l’Homme, ainsi que les normes et obligations procédurales et opérationnelles qui en découlent. Le Principe d’Application Générale 6 pose les mêmes obligations en ce qui concerne l’aide et la coopération internationale.

Le Principe d’Application Générale 10 couvre l’obligation des Etats de garantir la mise en œuvre effective des Principes Directifs par tous les moyens appropriés, y compris, le cas échéant, en adoptant et en appliquant les réformes juridiques et budgétaires nécessaires.

L’engagement privé dans le secteur de l’éducation – Le Global Schools Forum

Dans une deuxième partie du débat consacrée à l’engagement privé dans le secteur de l’éducation, Peter Colenso intervenant au nom de l’ONG britannique Global Schools Forum en a résumé les objectifs et les activités.

Une conviction : « Tous les enfants devraient avoir accès à une éducation de qualité ». Notre objectif est de renforcer le secteur de l’éducation en travaillant avec des organisations non étatiques dans les pays en développement qui s’occupent d’enfants issus de milieux à faibles revenus.
Le Forum regroupe 48 membres bénéficiaires qui sont répartis dans 33 pays à travers le monde, de l’Inde à l’Ouganda en passant par le Brésil. Ensemble, ils gèrent ou soutiennent 17 000 écoles qui offrent une éducation de qualité à plus de 2,2 millions d’enfants. La participation du secteur non étatique à l’éducation s’accroît grâce à un mélange dynamique d’organisations à but non lucratif, à but lucratif et communautaires. Ces écoles peuvent élargir l’accès à l’éducation et améliorer les résultats d’apprentissage des enfants les plus marginalisés et ceux issus des milieux à faible revenu.

Le Forum a créé un réseau mondial performant de donateurs et conseillers qui aident les membres à offrir une éducation de qualité. Des modèles de scolarisation novateurs pour dispenser une éducation de qualité à bas coût sont également mis en place. Le Forum vise aussi à faciliter l’instauration d’un environnement politique et financier plus favorable pour le secteur non-étatique.

Au regard de l’objectif « d’assurer une éducation inclusive et équitable de qualité et de promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie pour tous » (ODD4), l’importance de l’éducation non-étatique à l’échelle mondiale est tout simplement trop grande pour être ignorée. A l’heure actuelle un quart des enfants des pays à faible revenu fréquente une école non publique. Le secteur non étatique est donc essentiel pour aider à atteindre l’ODD4.

Une citation reprise du site web du Global Schools Forum : « Bien que nous comprenions la nécessité pour les gouvernements des pays en développement de s’engager à assurer une éducation publique de qualité pour tous, nous sommes fermement convaincus que  » l’éducation ne peut attendre « . Nous ne pouvons laisser nos enfants sans éducation pendant que nous continuons de plaider en faveur de la gratuité de l’enseignement public. Il existe des écoles privées pour les pauvres et ces écoles peuvent servir de voie non conventionnelle pour assurer l’éducation pour tous. » Olanrewaju Oniyitan, SEED.

Discussion finale

En débat final et en ce qui concerne les Principes d’Abidjan, Peter Colenso indique qu’il est globalement d’accord avec ce texte mais il émet cependant des réserves dont les deux principales sont que, pour lui, les principes ne donneraient pas une juste représentation de la contribution à l’éducation des acteurs privés, et que, malgré une formulation équilibrée et précise, la façon dont ils seront interprétés et utilisés ouvre un risque pour l’enseignement privé.

Silvain Aubry, rappelle que ces principes ont fait l’objet d’un large consensus d’experts, de juristes, de praticiens de l’éducation et d’ONG. Leur mise en œuvre incombe non seulement aux Etats et organisations internationales, mais au monde académique, à la société civile, aux autres parties prenantes intéressées dont les acteurs privés engagés dans l’éducation.

En forme de conclusion

Les 97 Principes Directeurs (Guiding Principles) et les 10 Principes d’Application Générale (Overachieving Principles) qui constituent les « Principes d’Abidjan » sont un apport précieux dans un domaine sensible et sujet à controverses. Ils réaffirment clairement (Principe d’Application Générale 3) « l’obligation des Etats de respecter la liberté des parents de choisir pour leurs enfants une institution éducative autre que l’institution publique, et la liberté des personnes ou de groupes de personnes d’établir et de diriger des établissements éducatifs privés sous réserve de se conformer aux obligations au regard des droits de l’Homme ». Pour les associations et personnes engagées dans l’enseignement catholique ceci mérite d’être souligné.