Trois discours majeurs qui d’entrée ont donné les grands thèmes qui constitueront la substance essentielle des travaux de cette 40ème session de la Conférence générale de l’UNESCO.
Allocution introductive du Secrétaire général de l’ONU – M Antonio Guterres
Au lendemain de sa participation au Forum Mondial pour la Paix, le Secrétaire général de l’ONU a introduit son propos en disant combien l’UNESCO lui tenait « à cœur » et l’immensité des défis qu’il lui fallait relever avec la force du Multilatéralisme.
Cinq dangers menacent
- Les tensions géostratégiques et la guerre commerciale : deux grandes puissances qui s’affrontent, le protectionnisme, le multilatéralisme à l’épreuve.
- Un Contrat social qui se délite : les inégalités, le chômage, la défiance vis-à-vis des institutions à tous les niveaux.
- Les Conflits entre les Peuples : les désordres qui s’installent, les discours haineux, les solidarités moins présentes, la violence.
- La rupture du lien entre l’Homme et la Nature : le dérèglement climatique, les déchets qui s’accumulent, la biodiversité qui s’érodent, les catastrophent naturelles qui s’intensifient.
- Les risques que génèrent les Sciences et Technologies : des avancées vertigineuses qui deviennent problématiques.
L’UNESCO en première ligne pour aider à relever ces 5 défis
Face à toutes ces difficultés, avec toutes les missions qui relèvent de sa compétence, l’UNESCO est particulièrement bien placée pour contribuer à rendre le monde meilleur, qu’il s’agisse de normes éthiques dans le domaine de l’Intelligence Artificielle, de la Protection du Patrimoine matériel et immatériel, culturel et naturel et de tous les sujets ayant trait à l’information, et surtout de l’Éducation.
L’Éducation est essentielle, nous dit le Secrétaire général de l’ONU, elle doit figurer au tout premier rang des préoccupations de l’ONU : « Je veux que soit organisée une Conférence sur l’Éducation » . Il rappelle le rôle de chef de file que joue l’UNESCO pour le suivi de l’objectif « Éducation » (ODD4) de l’agenda 2030 et se félicite aussi qu’elle prenne en main l’organisation d’une réflexion mondiale sur « l’avenir de l’Éducation ».
S’il faut des réflexions, on ne doit pas en rester là, on doit aussi agir, et agir efficacement, ce qui, compte tenu de l’ampleur et l’étendue des problèmes à régler suppose d’agir multilatéralement et en réseau en étant inclusif, en associant tous les acteurs concernés : États, secteur privé, ONG. Une attention toute particulière est à porter aux Jeunes qui sont beaucoup trop nombreux à être rejetés ou à décrocher de l’école ou du marché de l’emploi, ou être victimes (ou fauteurs) de violence, de harcèlements : il faut les impliquer, les associer, leur offrir des cadres qui leurs permettent d’être associés à la résolution de leurs problèmes.
Discours de la Présidente de la Conférence générale sortante – Mme Alaoui
Pour son dernier discours devant ses pairs, sur le point de quitter l’UNESCO pour prendre ses fonctions comme ambassadrice du Maroc en Allemagne, Mme Alaoui, plutôt que de tirer un bilan de ses deux années de présidence, a souhaité adresser un message fort à son auditoire et teinté d’une grande sincérité comme elle l’a toujours fait lors de ses interventions au cours des deux années de sa présidence.
Elle a évoqué d’abord trois thèmes importants en opérant un retour sur la situation d’il y a deux ans pour souligner en quels termes ils se posent aujourd’hui, et avec quelle acuité :
La Crise Financière : une situation stabilisée, mais deux points d’attention
La Crise était patente, la situation semble maintenant stabilisée. Il faut s’en féliciter, mais on doit rester attentifs à deux sujets :
- Il y a une amélioration largement due à l’envolée des contributions extra budgétaires : il faut se garder de trop compter sur ces ressources, et de recourir à des financements excessivement « fléchés » (conditionnels) qu’ils soient publics ou privés.
- L’allocation des fonds doit être cohérente : il est impératif que l’utilisation et la fixation des enveloppes budgétaires reflètent bien les priorités de l’UNESCO et qu’elles produisent des effets conformes à ce qui est attendu.
Le Management, l’Organisation et la Stratégie : Passage de témoin, Engagement bienvenu d’une grande Réforme
Un très grand changement est engagé avec la Transformation Stratégique. Cette Réforme va permettre la modernisation et la visibilité de l’UNESCO qui sera plus efficace.
Les États y ont été beaucoup associés au travers des consultations et des échanges, dans le cadre du groupe de travail sur la gouvernance mais dans d’autres instances de consultation, il est important qu’ils prennent toute leur part à au grand projet de Transformation Stratégique qui donne déjà des résultats au niveau de l’organisation et du fonctionnement en attendant la question essentielle de la définition des orientations à moyen et long terme.
Le Multilatéralisme et la Paix : deux questions majeures auxquelles il faut répondre clairement
Ici, comme en 2017, on reste interpellé. Des doutes subsistent, la confiance dans les mécanismes reposant sur le multilatéralisme donne des signes de faiblesses, les signes de paix ou d’apaisement ne sont pas toujours au rendez-vous, on doit (voit N.D.L.R.) se poser la question de la pertinence de ce mécanisme (le multilatéralisme) et de l’objectif de la Paix qui constitue la valeur essentielle de l’UNESCO.
Face aux doutes et à la défiance qui pourraient s’emparer des esprits, Mme Alaoui propose d’explorer trois pistes de réflexion pour assurer dans la durée l’assise de l’UNESCO :
La Paix à préserver
On doit avoir foi en cet objectif majeur de la Paix qui ne doit pas être considéré comme une Utopie : la recherche de la Paix est l’âme de l’UNESCO.
Mais qu’est-ce donc au juste ? L’absence de guerre ou l’impossibilité de la guerre dit un philosophe… Plus prosaïquement, ramené à ce que doit viser l’objectif de Paix, on pourra proposer la formulation suivante : trouver des réponses qui contribuent à établir dans la durée un État de la Paix.
Pour réussir à le faire, la condition sine qua non est d’avoir des vues partagées, des approches concertées, coopératives, tout le contraire de réponses fragmentées, des optiques étroits, des positions conflictuelles.
C’est cet esprit qu’il faut instiller dans les Programmes, et cela doit se faire avec la préoccupation d’y veiller constamment. Quelles que soient la diversité et la complexité les domaines couverts, les valeurs de respect, de compréhension mutuelle sont des qualités qu’il faut savoir cultiver. A ces deux conditions pourra émerger partout un sens de la Paix, et c’est ainsi qu’on pourra voir l’UNESCO comme une Évidence au service de la Paix et non, comme pourraient le suggérer certains esprits cyniques, une institution à la recherche d’un objectif utopique.
Mieux faire pour Protéger les Patrimoines
Les Missions concernant le Patrimoine sont la marque de l’UNESCO : les protections du Patrimoine matériel et immatériel sont des Trésors pour l’Humanité, il faut s’attacher à les préserver.
Ce sont aussi des Richesses qui reflètent les Identités. Elles doivent être défendues pour pouvoir être transmises car il s’agit d’Héritages précieux qu’il s’agisse de monuments, d’édifices religieux, de traditions ou de savoir-faire artisanaux ou d’œuvres artistiques.
De l’importance des sites à restaurer ou à protéger, des mécanismes ou programmes mis en œuvre pour conserver la Mémoire du passé comme le mécanisme Mémoire du Monde, de la défense des Biens culturels.
Ces activités doivent absolument continuer en prenant appui sur les Conventions culturelles, en mobilisant les Sciences et les Technologies.
Donner toute leur place aux Valeurs et Missions de l’UNESCO
Face aux défis à affronter, il faut conforter les valeurs que l’UNESCO est dans bien des cas seule à porter au sein de la famille onusienne, comme par exemple : la promotion des Humanités, ou la Transmission (des connaissances, des savoirs, l’Histoire).
Ici l’UNESCO a toute sa pertinence pour mener le combat contre la mondialisation de l’ignorance, aider à savoir communiquer, contribuer partout à mieux vivre ensemble, et permettre de dessiner des avenirs meilleurs, non subis.
Par ailleurs dans toutes les initiatives susceptibles d’être prises, il est indispensable de valoriser tout le potentiel qu’apporte les Jeunes.
Enfin, il faut mesurer à leur juste valeur les exigences de bonne gestion auxquelles l’UNESCO doit répondre. Cela signifie bien définir les priorités, être cohérent, rigoureux, capable de s’adapter à des contextes variés et changeants, être innovants, créatifs et aussi savoir se projeter dans l’avenir.
En Conclusion, faire les bons choix, rester unis
Au-delà de ce qu’on aurait à dire sur les Programmes avec d’éventuelles critiques, Mme Alaoui invite à une réflexion en profondeur à porter sur les choix essentiels que l’UNESCO voudra opérer face aux grands Défis de notre temps : il y a de vrais questionnements sur des Valeurs fondamentales qui pourraient être moins défendues, moins partagées : un délitement serait-il engagé ? Qu’en est-il de la solidarité ? De nos convictions éthiques ? S’interroge-t-on assez sur nos actions, leur efficacité, leurs limites ?
Les réponses à toutes ces questions dépendent et reflètent, il faut bien le comprendre, rien d’autre que nos ambitions ou leur absence… Et là, elle invite l’auditoire à faire preuve de réalisme et de lucidité : si l’on veut le succès de l’UNESCO, il faut placer haut les ambitions de chacun pour l’ambition de l’UNESCO, et s’efforcer de le faire en restant unis autour de positions consensuelles. C’est ainsi et seulement ainsi que l’on pourra parler du succès des actions menées ensemble pour relever les défis de plus en plus globaux de notre Monde.
Reprenant une formule qu’elle n’a cessé d’adresser à ses collègues au cours des deux années de sa présidence, un peu comme une exhortation, Mme Alaoui a conclu ainsi : « Restez unis, je vous le demande…(pour assurer) la Victoire de l’UNESCO. »
Sur une note beaucoup plus personnelle, elle a remercié le Roi du Maroc convaincu du rôle éminent que joue l’UNESCO, et sa Famille pour son soutien. Enfin elle a dit sa fierté d’avoir eu l’insigne honneur d’être désignée comme Présidente de la Conférence générale et comme telle d’avoir été la première Femme Africaine, Arabe et Musulmane à occuper cette éminente fonction.
Discours du nouveau Président de la Conférence général – M Altay Cengizer
Après avoir dit combien il mesurait l’honneur qui lui était fait d’avoir été désigné comme Président de la 40ème session de la Conférence générale de l’UNESCO et toute la Responsabilité qui lui incombait dans cette fonction, Mr Cengizer a introduit son propos en assurant les délégués de sa volonté d’être un facilitateur, d’aider tout le monde en restant ouvert. Avant de livrer une réflexion plus en détail sur les activités que conduit l’UNESCO, il a d’entrée porté un jugement d’ensemble positif sur l’institution : elle travaille bien, le secrétariat est à l’écoute et est activement engagé sur une réforme importante. Grâce à sa Direction générale et notamment à tout ce qu’elle a fait lors de la dernière Assemblée générale de l’ONU à New York, l’UNESCO est mieux comprise, plus visible.
Les activités de l’UNESCO au service de l’humanité
Ont ensuite été listés les grands chantiers engagés avec en première ligne tout ce qui est fait au titre de l’Éducation, dans le cadre de l’agenda 2030 qui, selon les termes utilisés est bien plus qu’un simple Accord mais une « Mission sacrée » où l’UNESCO est pour qu’on puisse se l’approprier.
Sans reprendre l’énoncé de tous les sujets traités, on retiendra certains des commentaires dont il a été assorti :
- Il est encourageant que l’on accorde la plus grande attention à l’éducation des Femmes et des jeunes filles.
- De l’importance aussi du souhait que les jeunes bénéficient d’une éducation à la citoyenneté qui les rendent pleinement conscient des valeurs qui la sous-tendent.
- On ne peut que partager le souci de beaucoup, notamment en Afrique pour que l’on voit pleinement pris en compte les besoins de renforcement des capacités et des moyens dans les domaines essentiels pour le développement que sont : les sciences, le numérique, l’enseignement du développement durable.
- Si l’Éducation a toute son importance, il faut aussi soigner le sujet de la Culture, sujet avec lequel l’Éducation à des liens évidents.
- Il faut amplifier les efforts pour que soit encore mieux intégrée la connaissance et la conscience des problèmes climatiques.
D’une manière générale, l’UNESCO a toujours été à la hauteur des Missions qui sont les siennes, même si des fléaux comme celui de la drogue, des violences et des destructions de tous ordres subsistent. A cet égard sur quelques sujets sensibles et délicats à traiter, il faut apprécier positivement ce qui est fait et qui est de mieux en mieux perçu : la question de la diversité et des identités culturelles, la liberté d’expression et la protection des journalistes, les initiatives pour lutter contre l’analphabétisme, les actions conduites pour prévenir l’extrémisme violent. Ce dernier point est d’une grande importance. Il faut le considérer comme une grande priorité car il touche fondamentalement des jeunes à qui on doit pouvoir offrir l’espoir d’une vie meilleure. Dans le même esprit – pouvoir rendre aux personnes une dignité de citoyen éclairé – la question des immigrés et des populations déplacées est elle aussi à traiter avec attention.
Deux thèmes essentiels appellent à ne pas être perdus de vue parce qu’ils peuvent soulever de graves problèmes pour la société et même l’Humanité :
– les avancées des sciences et technologies dont on doit apprécier les succès mais sans jamais oublier d’apprécier les incidences dans leur dimension éthique ;
– les Réseaux sociaux et les risques qu’ils peuvent faire courir notamment pour la démocratie.
L’Afrique doit rester avec le Genre la principale priorité des Actions conduites, au Siège comme au travers du Réseau, un Réseau hors-siège dont il faut garantir la pérennité.
Les Principes, les Valeurs de l’UNESCO
Second volet de cette première intervention du nouveau Président, quelques idées générales pour donner une vision de l’UNESCO crédible.
L’UNESCO doit garder son Autorité, au sens d’une Institution pleinement reconnue pour la valeur de ses contributions.
Face aux très importants problèmes qui se posent, comme par exemple le dérèglement climatique avec ses effets dévastateurs, il faut démontrer une réelle solidarité (voir les appels des Petits États Insulaires).
Les Actions conduites doivent être pensées profondément (exemple : la philosophie, l’anthropologie), sérieusement. De l’importance de réflexions préalables qui ne soient pas superficielles ou incantatoires.
L’UNESCO doit être éclairée dans les décisions qu’elle prend et sans doute elle peut le faire mieux que d’autres en misant sur ses réseaux et sur la possibilité d’actions transversales. Il faut ainsi pouvoir nouer des liens pour coopérer, repérer les interdépendances pour réussir ensemble à faire ressortir les intérêts communs au travers d’exercices où doivent prévaloir les idées de consensus et de solidarité. Comme Mme Alaoui, Mr Cengizer dit à son auditoire : « Soyons unis ! »
Poursuivant sa réflexion sur la vision qu’il a des démarches à mener dans le cadre UNESCO, il ajoute les considérations suivantes :
D’abord avant tout préserver un esprit de liberté, ce doit être l’essence de tout projet qui doit voir le jour.
Ensuite, contribuer aux changements qui ne manqueront pas d’intervenir et qui doivent viser un monde plus sûr avec plus de bien-être.
L’Unesco gagnera à miser sur une bonne méthode, celle qui repose sur la médiation, la discussion avec un impératif : ne pas verser dans les extrêmes, à savoir les affres d’un repli frileux ou le danger d’un maximalisme, ce qui en d’autres termes signifie d’être guidé par la sagesse, sagesse de conversations bien conduites et sagesse d’actions bien pensées, toutes choses menées avec le souci d’une convergence des uns et des autres voire du consensus.
Avec cette ambition de la juste mesure et de la sagesse, les monologues croisés n’ont plus lieu d’être, et de vrais dialogues non conflictuels doivent s’instaurer.
En conclusion, Mr Cengizer rappelle le propos tenu par le général de Gaulle qui s’était rendu à l’invitation du président turc de la Conférence générale de l’époque (il y a 53 ans) : « J’ai une exceptionnelle sympathie pour votre Institution parce que l’Unité Humaine est la vocation de l’UNESCO. »
« L’Unité Humaine » c’est plus de lumière selon Goethe, nous dit le Président de la 40ème session de la Conférence générale qui ajoute : « Tel est le Mandat éternel de l’UNESCO. »