Edgar Morin et l’éducation innovante
Le 23 novembre, à l’UNESCO, devant une salle comble, avait lieu la projection en avant-première du film-documentaire d’Abraham Ségal « Enseignez à vivre ! Edgar Morin et l’éducation innovante »1 suivie d’une table ronde autour du réalisateur, d’Edgar Morin, de Vincent Defourny (UNESCO, Directeur Relations extérieures et information du public) et de Sobhi Tawil (UNESCO, Chef de Section, Recherche et prospective en éducation)2.
Inspiré par la vision qu’a Edgar Morin de l’éducation3 et qu’il rappelle dans de courtes séquences au long du film – dont une référence au précepteur de l’Émile de Jean-Jacques Rousseau déclarant pour son élève : « Je veux lui enseigner à vivre » – le documentaire « Enseignez à vivre ! » s’interroge sur comment l’école peut être une ouverture sur le monde dans sa complexité et comment elle pourrait permettre aux élèves de mieux vivre avec les autres en société.
Comment faire en sorte que pédagogie rime avec plaisir de transmettre ? Comment des jeunes exclus du système éducatif, des « décrocheurs », peuvent-ils devenir des êtres créatifs désireux d’apprendre ? Quelle est la pertinence de ce qui est enseigné au regard de la complexité du monde actuel ? Comment un lycée ou un collège peut-il constituer un lieu où liberté se conjugue avec responsabilité, où l’acquisition de savoir va de pair avec l’apprentissage de la vie en société et de la solidarité ? (extraits du synopsis du film).
Le film chemine entre les idées qu’exprime Edgar Morin sur une autre éducation possible et les expériences pédagogiques saisies dans des établissements publics tels le Lycée Edgar Morin de Douai, le Lycée Autogéré de Paris, le Pôle Innovant Lycéen de Paris, le Micro-lycée de Vitry et le collège Decroly de Saint-Mandé où des réponses concrètes et vivifiantes ont été élaborées. Les paroles d’Edgar Morin, le vécu et les propos des lycéens tissent la trame du film. Le documentaire se veut le reflet des élèves et de leurs enseignants. Un des intervenants dans la salle a remarqué que ce qui frappe dans le film ce sont les visages.
La table ronde conduite ensuite par Vincent Defourny visait à débattre de la question : « Peut-on parler aujourd’hui d’une « crise de l’éducation » ? »
Pour Edgar Morin, le film ne cherche pas à être une démonstration mais une « monstration » : montrer les contraintes et les inhibitions du système scolaire actuel. Pour lui, il y a deux carences principales dans l’enseignement :
1) Au niveau des contenus qui sont fragmentés en disciplines mais ne permettent ni la compréhension d’autrui ni d’affronter la complexité de la réalité. Il y a également une disjonction entre la culture scientifique et les humanités. « Une réforme radicale de nos modes de connaissance et de pensée est devenue vitale et elle doit entraîner un renouvellement en profondeur des matières enseignées. »
2) Il faut aujourd’hui chercher des pistes pour humaniser l’enseignement. Les relations maîtres-élèves doivent en particulier évoluer au-delà de la simple transmission d’un savoir.
Pour Sobhi Tawil, il y a mondialement une crise de l’éducation. Elle se manifeste par le nombre d’enfants qui ne sont pas scolarisés4, par le fait que nombre de ceux qui sont scolarisés n’apprennent pas, sont « déconnectés » et découragés. Aux États-Unis 2/3 des élèves déclarent s’ennuyer à l’école. Trois des établissements présentés dans le film sont orientés exclusivement vers les « décrocheurs ».
La question qui se pose est celle de la pertinence de l’enseignement donné aujourd’hui. Les réponses qu’offrent les écoles « innovantes » visitées à l’occasion du documentaire pointent vers une approche humaniste avec le respect de chacun des élèves dans sa diversité, le souci de solidarité et d’inclusion, une conception large de l’enseignement, une approche intégrée des apprentissages et une mission confiée aux enseignants qui n’est pas seulement la transmission du savoir mais de redonner aux élèves le goût d’apprendre et de les accompagner.
Il faut se référer à ce que proposent Edgar Morin dans « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur »5, le Rapport Delors6 et le concept des quatre piliers de l’éducation (apprendre à connaître, à faire, à être et à vivre ensemble) et le document « Repenser l’Éducation. Vers un bien commun mondial ? » (UNESCO 2015)
Pour Abraham Ségal, même s’il y a un paradoxe dans l’expression « enseigner à vivre » et non pas « enseigner à apprendre », l’important c’est « vivre », aider les jeunes à mieux vivre, à vivre une vie bonne c’est à vivre une vie où ils s’accomplissent.
En forme de conclusion :
Tout en reflétant certaines des idées d’Edgar Morin, le film « Enseignez à vivre ! » est avant tout un témoignage lumineux sur le vécu de jeunes et de leurs enseignants dans des contextes bien particuliers et non un manifeste abstrait sur l’Éducation. « Pour certains jeunes, une vie qui n’était pas possible devient possible. Enseigner à vivre cela veut dire qu’il y a des possibles 7» sans négliger qu’enseigner c’est assurer des chemins et transmettre des connaissances.
DG – 28/11/17
2 Sobhi Tawil a dirigé à la suite de Georges Haddad la rédaction du document fondamental « Repenser l’éducation. Vers un bien commun mondial ? » UNESCO – 2015
3 En particulier dans « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur» UNESCO 1999 réédité au Seuil en 2015, et « Enseigner à vivre, Manifeste pour changer l’éducation » Actes Sud 2014.
4 Aujourd’hui près de 264 mio d’enfants et de jeunes ne sont pas scolarisés
5 Pour un résumé des « sept savoirs fondamentaux », voir les trois pages d’avant-propos du livre rédigées par Edgar Morin (pages 9 à 11).
6 Rapport Delors : « L’Éducation, un trésor est caché dedans » UNESCO 1996
7 Citation d’un enseignant du Micro-lycée de Vitry