Colloque international du 5 et 6 mars


Miser sur une éducation de qualité en faveur de la Petite enfance pour avancer sur des chemins d’harmonie, dans des sociétés plus inclusives, plus justes : un défi à relever, une contribution décisive pour garantir la Paix.


Ce colloque a été organisé par la Délégation de la France auprès de l’UNESCO et la Commission nationale française pour l’UNESCO en partenariat avec le Secteur Éducation de l’UNESCO (dans le cadre des Objectifs du développement durable), l’UNICEF, la Caisse d’Allocations familiales, les éditions Nathan.


La Directrice Générale, introduisant le colloque, a fait remarquer que nous passions d’un luxe pour certains à une nécessité pour tous en traitant de l’Éducation de la petite enfance, car l’ensemble des jeunes enfants était concerné. Éduquer et protéger est un investissement plus économique que devoir réparer les dégâts dus aux manques. Pour les responsables misant sur la cohésion sociale, il s’agit de Bien Commun et de Responsabilité collective. Madame Azoulay a conclu en citant une chilienne : “ Beaucoup de choses peuvent attendre, mais les enfants ne peuvent pas attendre : leur nom est Aujourd’hui ”.


L’éducation et la protection de la petite enfance (EPPE) est la deuxième cible de l’Objectif de Développement Durable (ODD 4) sur l’éducation. Dans le débat sur les questions éducatives et sociales, une place importante est désormais accordée à la petite enfance, car un accès précoce à l’apprentissage et au bien-être sont des garanties pour favoriser un vivre-ensemble harmonieux et une société inclusive. Il faut noter que les organisateurs de ce colloque ont adopté la définition onusienne de la petite enfance: période allant de 0 à 8 ans, qui peut couvrir un champ différent ailleurs dans le monde.

L’objectif de ce colloque tel que déclaré préalablement par les organisateurs a été (i) de justifier le positionnement du domaine de lEPPE comme un élément central de toute stratégie visant à combattre les excessives inégalités et promouvoir ainsi la cohésion sociale ; (ii) d’appeler à investir davantage dans le secteur de l’éducation de la petite enfance (0 à 8 ans) et surtout (iii) de formuler une réflexion qui sera incorporée dans un « manifeste de la petite enfance » soumis à l’appréciation de la prochaine Conférence Générale.

Le colloque a été structuré autour des cinq tables rondes suivantes :

  • Éducation et bien-être physique, moral, social : comment gommer les inégalités ?
  • Qu’apprendre et comment apprendre ?
  • L’encadrement et l’accompagnement : familles, enseignants, personnels d’accueil. Quelle synergie ?
  • Quelles solutions aux défis de l’inclusion ?
  • Les décideurs politiques : quelle place accorder à l’éducation et la protection de la petite enfance dans les systèmes éducatifs et sociaux ?

Ont participé aux échanges internationaux des universitaires, des chercheurs, médecins, fonctionnaires, des décideurs politiques, ministres de l’éducation notamment, un représentant de la CONFEMEN – Conférence des Ministres de l’Éducation des États et Membres de Gouvernement de la Francophonie – venant du Sénégal. La “cheville ouvrière” du Colloque, est Madame Suzy Halimi, présidente honoraire de l’Université Sorbonne – Nouvelle Paris 3, pour la Commission nationale française de l’Unesco.

Certains échanges ont particulièrement retenu l’attention :

Le Professeur Olivier Houdé, (Université Paris Descartes, France) et le Professeur Stanislas Dehaene (Collège de France, Président du tout nouveau Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale) ont fait des interventions très complémentaires basées sur les apprentissages/sciences cognitives en s’appuyant sur les neurosciences et, en particulier sur l’imagerie du cerveau, grâce à l’IRM.

Le Professeur Houdé a développé les thèses de Piaget concernant l’éveil de l’enfant, passant par le constructivisme, stade par stade. Et aussi les approches actuelles, mettant en évidence l’action de réseaux neuronaux dynamiques et non plus linéaires, l’activité du cortex pré frontal, qui permet l’adaptation aux changements dans la mémoire de travail des jeunes enfants et continue de fonctionner chez les adultes.

Grâce au Professeur Dehaene nous avons aussi appris que chaque cerveau était différent : les sillons sont différents et sont en place avant la naissance de l’enfant. Il a expliqué les différentes inter- actions dans le cerveau de personnes pour l’apprentissage de la lecture, en comparant l’imagerie cérébrale de ceux ayant ou n’ayant pas appris à lire. Le coté temporal gauche de nos cerveaux sert à cet apprentissage, alors qu’auparavant il est le lieu de la reconnaissance des visages. Il se livre une compétition dans le cortex, lors de l’apprentissage. Les aires visuelles et auditives sont améliorées par la reconnaissance des graphèmes et des phonèmes, et les connexions sont modifiées. Il est alors important d’automatiser, de « routiniser » la lecture par des essais fréquents, cela permet l’élargissement du vocabulaire. Le Professeur Dehaene a été formel, seule la méthode phonique d’apprentissage permet de lire des mots nouveaux. En effet si le sujet se concentre sur le déchiffrage des mots pour les comprendre, il ne peut en même temps en saisir le sens (par exemple un énoncé de problème arithmétique ) avec un certain humour il a ciblé des publications de l’Unesco ne tenant pas compte de ces découvertes !. Nous avons encore noté que plus une langue est transparente, comme l’Italien où toutes les lettres se prononcent, moins la surface de l’aire du langage est grande. On constate un écart d’environ un an pour l’apprentissage entre l’anglais et l’Italien, le Chinois demande encore plus de temps, à cause de sa complexité .

Le Professeur Houdé, a montré qu’au plan cognitif, deux mécanismes sont à l’œuvre chez l’enfant : celui de l’activation et celui de l’inhibition, ce dernier étant important pour permettre un bon développement des facultés cognitives (exemple : l’attention sélective qui doit être vue non comme un facteur restrictif mais comme une manifestation d’intelligence et une source de développement). Des chercheurs ont montré que les capacités d’inhibition cognitive et comportementale sont fortes chez les jeunes enfants d’âge scolaire (école élémentaire), et qu’en conséquence elles gagnent à être cultivées dès la petite enfance pour aider à un bon développement. Ainsi, capable d’acquérir un contrôle de soi dès son jeune âge, la petite enfance peut contribuer à sa mesure à la paix de l’humanité en harmonie avec le monde adulte. Ce que l’intervenant a exprimé par l’expression : « Des neurones pour la paix » ! Cela revient à dire que l’enfant capable de se décentrer du contentement de lui même qu’est l’égocentrisme, devient capable d’aller vers les autres.

Pour ce qui est de l’intégration sociale dès la maternelle par l’éducation, Mme Pascale Garnier (Professeur, Université Paris 13, France) a fait une comparaison entre l’éducation de la petite enfance en France et en Norvège. Ainsi, ce pays dispose d’un système “intégré” d’apprentissage (ce sont des apprentissages spontanés, des découvertes de l’espace environnant, non guidés par les enseignants). Cela offre une approche plus équilibrée des soins et de l’éducation, par rapport au système français dans lequel les apprentissages sont “divisés” en différents groupes (langagiers, cognitifs, corporels). Les enfants sont alors moins réactifs aux propositions des adultes.

Une cause de difficultés tient aussi au fait que le système éducatif français ne coopère pas beaucoup avec les parents.

L’école en France reste élitiste et fortement sélective. L’organisation de son système est fractionnée, la compétition est présente dès la maternelle, la réussite scolaire est un élément primordial d’appréciation. La Norvège dispose d’un système d’éducation moins clivant, avec un meilleur ratio enfants/enseignants dans lequel les enfants coopèrent entre eux, pour être au même niveau de compréhension.

Beaucoup plus qu’en France, l’objectif de la société norvégienne apparaît au travers de son système éducatif comme l’expression d’un choix en faveur d’une grande solidarité.

Une autre approche très novatrice a été celle du Dr Anne Lise Ducanda, sur l’utilisation et l’exposition aux tablettes pour les jeunes enfants ( avant 3 ans)

Il y a exposition passive des enfants, qui côtoient les multiples écrans de leurs parents, et peuvent très jeunes physiquement réagir – pleurs, raidissements , agitation “ à l’écran noir”. Il y a aussi l’exposition active des enfants lorsque les écrans interactifs deviennent leur doudou ou leur nounou.

Entre 0 et 5 ans le cerveau est malléable et des changement d’images trop fréquent peuvent le stimuler de manière excessive. Les médecins alertent sur l’augmentation de troubles du comportement et de la relation induits par une exposition excessive aux tablettes que les enfants manipulent .Cette surexposition empêche une stimulation adaptée et nécessaire du cerveau, comme le toucher à pleine main d’une pomme par exemple, ce qu’une pomme représentée sur une tablette ne permet pas. Le bébé a besoin de bouger, de trier, transporter, regrouper, déplacer . C’est ainsi que son cerveau développe des connexions. Cela permet de passer par les trois acquisitions que sont : l’effort, l’attente et la frustration, nécessaires pour une entrée sereine à l’école. En revanche le même cerveau supprime les connexions non utilisées, il y a donc un danger réel et un risque de problème de santé publique avec la surexposition aux écrans. En revanche si on s’y prends tôt pour régler l’ addiction chez les enfants, les risques sont réversibles.

Conclusion : il nous faut des aides éducatives pour limiter la place des écrans dans nos environnements, tous âges confondus. Il convient d’associer avec mesure les matériels technologiques aux apprentissages concrets, qui demeurent indispensables.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale française a précisé, dans une video, les quatre axes qu’il fixe pour l’école élémentaire (lire, écrire, compter et respecter autrui) Il a indiqué l’attention particulière qu’il fallait accorder dans le milieu scolaire aux élèves en situation de handicap, avec des besoins spécifiques. Son souhait est de créer une école de la confiance.

La cinquième table ronde dédiée aux décideurs politiques et à la place de l’éducation et de la protection de la petite enfance dans les systèmes éducatifs et sociaux a donné lieu à plusieurs présentations d’expériences nationales :

Le ministre de l’éducation des Émirats Arabes Unis, monsieur Hussain Bin Ibrahim Al Hammadi a parlé du numérique et d’autres aspects de l’éducation dans les Émirats Arabes Unis. Ainsi, il a exprimé l’idée que les enfants vivent beaucoup dans le monde virtuel, plus que dans le monde réel et que nous utilisons seulement 10 % des fonctionnalités des appareils que nous utilisons. Il a mis l’accent sur le fait que les Émirats sont attentifs à l’égalité garçons filles dans l’accès au savoir, Éducation comme “nouvel or noir” pourrait on dire ! Aux yeux du ministre, l’éducation est une condition essentielle pour assurer une vie pacifique, et il importe de se préoccuper d’en faire bénéficier le plus grand nombre dès la petite enfance. C’est ainsi qu’il affiche un taux de 80% de scolarisation au niveau de l’école maternelle, les filles bénéficiant de la même éducation que les garçons, ce qui se constate ensuite au niveau des diplômes et des emplois.

Mme Ana Maria Nieto – directeur de l’Éducation et protection de la petite enfance au ministère de l’Éducation de Colombie a parlé de la petite enfance dans le contexte du conflit avec les FARC. Sur les négociations qui ont débouché sur la signature du traité de paix signé en 2016. Elle s’est beaucoup concentrée sur les inégalités sociales. Si on veut en finir avec les violences, il faut traiter correctement la question des inégalités sociales au travers de l’éducation. Les Colombiens se sont donné quinze ans pour un accès généralisé à la scolarisation de la petite enfance. Un plan de développement dans le domaine de l’enfance rurale a été également élaboré pour donner un bon départ dans la vie à tous ces enfants.

Mme Denise Houphouët-Boigny, déléguée permanente de la Côte d’Ivoire auprès de l’UNESCO a présenté une courte description de l’éducation de la petite enfance en Côte d’Ivoire. Ainsi, il n’y a pas de structure publique pour les 0 – 2 ans, 55 % des enfants à 2 ans ne sont pas vaccinés. L’état de nutrition n’est pas assuré correctement dans cette tranche d’âge. Peu de ces enfants sont déclarés à l’état-civil, il est donc difficile d’établir le taux de scolarisation préscolaire (3 – 5 ans) l’école ne devenant obligatoire qu’ à partir du primaire (6 – 8 ans). Devant ce diagnostic sans complaisance, elle identifie 3 énormes défis : investir et s’investir dans le pré scolaire; mettre les acteurs en concertation ; avoir des connaissances sur la petite enfance. Son souhait serait qu’à coté de toute école primaire il y ait une école pré scolaire.

En Indonésie, qui représente la quatrième population mondiale, la situation est difficile car le territoire est constitué de nombreuses îles, les langues parlées sont multiples, les situations sont très diverses. Monsieur Dwi Pryono (directeur par intérim de la SEAMEO – Centre Régional pour la protection et l’éducation de la petite enfance) reconnaissant que la qualité de l’éducation des filles passe par une éducation de la petite enfance, souhaite élargir les partenariats de financement pour la formation des femmes et des jeunes filles.

A une question du représentant sénégalais de la CONFEMEN, portant sur les conditions de réussite des projets concernant l’éducation et la protection de la petite enfance, Monsieur Albert Claude Benhamou (conseiller pour le numérique et la santé auprès du Président de la Commission nationale française pour l’UNESCO) a précisé combien il convenait de respecter les instances nationales dans leurs prises de décisions, sachant aussi combien le facteur temps était incontournable pour faire bouger les habitudes.

En conclusion, il a été a souligné à quel point l’éducation de la petite enfance reste dépendante des conditions économiques du pays, tout en rappelant que la manière dont elle est mise en place conditionne la cohésion sociale. On a aussi insisté sur la nécessaire implication concertée des parents, des professionnels et des décideurs pour parvenir à une sorte d’optimum dans l’organisation de ce volet essentiel des systèmes éducatifs, que ce soit dans un cadre général d’éducation ou dans un cadre post-conflit.

Le traitement convenable de l’éducation et de la protection de la petite enfance est à mettre en rapport avec la défense du principe de « citoyenneté mondiale ». L’ONU ne manque pas de souligner à quel point l’éducation sert à la construction durable d’une culture de la paix.

Les moyens à mettre en œuvre pour l’aboutissement de ce colloque peuvent être résumés par les 3 verbes choisis par madame Suzy Halimi pour sa conclusion :

  • Investir (dans la formation des enseignants)
  • Promouvoir ( la synergie pour éviter la dispersion des moyens)
  • Organiser (la gouvernance : un pilote, des ministres et des municipalités dans la durée)

Avec Madame Halimi nous constatons et regrettons que la formation des mères n’ait pas été évoquée, comme composante avec celle des pères, d’un partenariat réussi au service de l’éducation de leurs jeunes enfants dont ils demeurent conjointement, par nature et par devoir, les premiers responsables.