Webinaire tenu le 3 mars 2021, c’est un troisième évènement sur le thème de la bioéthique. Il a été organisé par le secteur des Sciences Humaines et Sociales (SHS) avec le soutien du Gouvernement du Japon et de sa Commission nationale pour l’UNESCO.

Les échanges ont porté sur l’association des populations aux réflexions et plus généralement à l’ensemble des questions que peuvent soulever les recherches fondamentales ou appliquées relatives au génome, son édition ou, pour reprendre un terme employé lors de la discussion, son « forçage » ce qu’on pourrait sans doute traduire, au risque d’une approximation, par le mot « manipulation ».

Pour l’UNESCO, sont intervenues Dafna Feinholz, Responsable de la section Ethique et Bioéthiquedes Sciences au sein du SHS et Gabriela RamosDirectrice Générale Adjointe en charge de l’ensemble du domaine SHS.

A raison de leurs profils très différents, les trois participants du panel ont traité le thème soumis à discussion sous trois angles bien distincts : présentation d’une initiative lancée par une réalisatrice de films documentaires, restitution d’expériences de dialogues avec des non-initiés par un chercheur du MIT et témoignage sur les travaux du Conseil de l’Europe pour aider à l’organisation de débats sur le sujet sensible de « l’éthique et l’édition du génome », un sujet fondamental qui reste encore mystérieux pour beaucoup.

On restitue ici le résumé des développements qui ont le plus retenu notre attention.

Propos introductif : pour un dialogue de qualité entre les scientifiques et la société civile

Gabriella Ramos a rappelé tous les progrès de la science et de ses applications dans le domaine de la biologie et de la médecine avec les avancées spectaculaires de la « technologie des gènes » qu’auront permis les travaux fondateurs des deux prix Nobel de Chimie de Emmanuelle Charpentier et Jennifer Douchna. Ces innovations – nouvelles thérapeutiques, amélioration des productions agricoles ou animales – sont sources de grands bienfaits pour notre santé et notre bien-être mais elles ne sont pas exemptes de risques ; de l’importance alors de définir un cadre et des règles, d’appeler à la vigilance comme s’emploie à le faire l’UNESCO au travers de ses recommandations et déclarations ou en s’associant à des appels à la prudence comme par exemple en 2019 avec une initiative concernant les travaux touchant à la reproduction de la lignée humaine. Il est de la plus grande importance que ces sujets touchant aux « techniques germinales » soient connus, discutés et traités dans le cadre de codes.

Hervé Chneiweiss, Président du Comité International de la Bioéthique de l’UNESCO a rappelé toutes les initiatives prises au fil du temps par les Institutions internationales au cours des trente dernières années sur les questions délicates que soulèvent les progrès de la Biologie et de la Médecine et fait référence aux dernières déclarations se rapportant au Covid (déclaration dès mars 2020 du CIB et de la COMEST) et, très récemment, aux vaccins avec un appel de l’OMS et de l’UNESCO à les considérer comme un Bien Public. Sur tous ces sujets touchant à la Vie et au monde du vivant, il a particulièrement insisté sur la nécessité de débattre au-delà du cercle des scientifiques ou des ONG, avec le grand public, et d’assurer la qualité de ces indispensables dialogues à trois conditions qui sont aussi trois étapes pour les bien conduire :

  • Éduquer le Public à la base, simplement et rigoureusement

Cela suppose de bien préciser les termes employés sur des sujets qui peuvent dépasser l’entendement commun, poser clairement les enjeux et parler du réel, pour éviter toutes les fausses nouvelles, les interprétations erronées. Il importe aussi de distinguer le connu et l’incertain pour éviter les peurs injustifiées, les méprises et les fausses analyses.

  • Engagement du Public

Il faut trouver les moyens d’organiser un dialogue qui mobilise vraiment les parties-prenantes avec des interactions réciproques entre le Public et les Scientifiques.

  • Autonomisation du Public

Le Public doit être pleinement partie prenante dans ce qui peut être décidé (recommandé, convenu) quant à l’utilisation des outils (dispositifs) techniques avec un cadre clairement défini, et des principes directeurs à respecter impérativement : transparence, responsabilité, objectivité, honnêteté.

Sur les sujets sensibles comme ce qui touche au génome, les débats doivent être largement ouverts, menés sans tabou et attentifs à toutes les préoccupations, et certainement n’ont pas s’en tenir aux seules questions que se posent les experts.

Le Panel : Témoignages à propos du Génome, le besoin de débats

Les présentations des trois panelists sont venues illustrer ce que peuvent représenter concrètement les voix de la société dans sa possible implication au moins au niveau de la sensibilisation quant aux thématiques de la génomique.

Lancement d’un grand projet : « délibération citoyenne au niveau mondial » – Sonya Pemberton (Australie)

Cette réalisatrice de films documentaires qui a déjà produit de nombreuses contributions sur des questions scientifiques sensibles (Le Climat, le Nucléaire ou les Vaccins) s’est engagée dans un projet de très grande envergure touchant précisément au sujet encore si largement ignoré de « l’édition du génome ».

La genèse du projet aura été pour l’intervenante la présentation spectaculaire à Hong Kong de ce que l’on pourrait appeler les bébés Crispr : un évènement médiatisé dont l’écho mondial s’est vite estompé… Cette séquence « forte et courte première impression » et « retombée presque immédiate de l’intérêt » a amené la réalisatrice de films documentaires à se dire qu’il y avait comme un vide ou une négligence ; d’où son idée d’organiser une grande entreprise de sensibilisation et de discussion sur ces questions génétiques en croisant les supports de la vidéo (produire des documentaires spécialisés à destination d’un large public) et organiser des débats dans de nombreux pays en filmant (les débats, des témoignages de participants à ces débats issus d’une grande diversité de sociétés).

L’objectif est d’interpeler une grande variété de publics sur leur conception du vivant, les faire réagir sur les orientations de la recherche dans le domaine de la génétique, obtenir leur retour sur ce que pourrait être l’avenir, leur degré d’acceptabilité de certaines évolutions, les lignes rouges à ne pas franchir etc.

Bien entendu, de lourds travaux préalables sont à conduire avant d’engager l’opération, avec l’aide d’experts, et l’organisation de premières expériences tests. Se pose aussi la question des financements.

Mais dores et déjà beaucoup de soutiens ont été obtenus, notamment de la part de deux universités australiennes et de grands média au Royaume Uni, en Allemagne et en France notamment (BBC, ARTE etc.).

L’objectif de cette grande délibération citoyenne à dimension mondiale est d’avoir à l’issue de vrais débats publics, bien éclairés et équilibrés (il s’agit de « conversations » au sens noble du terme, et non « de plaidoyer pour une cause ») des recommandations et des suggestions de décisions à prendre.

L’Écoute des Gens : « le scientifique à la rencontre » – Kevin Esvel, Chercheur du MIT (Etats-Unis)

Deux récits nous ont été présentés par un chercheur qui a rapporté le fruit d’expériences qu’il a conduites auprès de populations qui étaient concernées par des expérimentations génétiques touchant donc un élément vivant de leur environnement immédiat. En l’occurrence, l’objectif était d’organiser des échanges sur des projets visant des interventions sur des rongeurs pour neutraliser ainsi leurs rôles nocifs dans la transmission de maladies (ex : maladie de Lyme).

Plus précisément, ces discussions préalables ont eu pour objet de présenter les objectifs des deux expériences et d’obtenir en retour les avis ou même les conseils des participants. « Les publics » étaient bien différents puisqu’il s’agissait dans un cas d’une opération à mener sur un campus américain et dans l’autre en Nouvelle Zélande sur un territoire occupé par une population de Maoris.

En synthèse, on retiendra de ce qui nous a été rapporté toute l’utilité de telles discussions, et même leurs bienfaits : il y va du respect des populations concernées, mais on peut aussi, au-delà de la prise en compte des valeurs auxquelles tiennent les communautés concernées (notamment du côté maori), il est tout à fait possible que les scientifiques peuvent bénéficier d’observations judicieuses susceptibles d’aider à la réalisation de l’opération (toujours dans le cas néo-zélandais, on a fait allusion à des considérations touchant aux spécificités de la nature pour les zones visées, ou aux risques d’éventuels dommages collatéraux).

Quels que soient les publics concernés, et ici, ils étaient très différents, il apparaît que de telles réflexions préalables entre scientifiques et communautés peuvent être très fructueuses et amener à obtenir l’acceptation d’expériences dans de bonnes conditions.

L’organisation des dialogues : « les initiatives du Conseil de l’Europe » – Tesi Aschan, Conseil de l’Europe (Suède)

La dernière présentation a été donnée par une Haute Fonctionnaire du Ministère de la Santé suédois sur les initiatives prises par le Conseil de l’Europe (CE) en vue de favoriser les débats publics se rapportant aux questions bioéthiques et médicales, et tout particulièrement aux sujets en lien avec « l’édition du génome ».

L’objectif de l’institution européenne est d’aider les États à l’élaboration de politiques publiques et de principes directeurs au travers de débats sur la bioéthique et les nouvelles technologies médicales.

Ces travaux qui s’inscrivent dans le prolongement des recommandations du texte fondamental de la Convention d’Oviedo (1997) visant à avancer des orientations communes en retenant comme autres références les Droits de l’Homme et la Dignité des Êtres humains avec les grandes Valeurs qui la fondent : la Liberté, l’Intégrité mais aussi la recherche et le respect d’une Éthique de la Responsabilité.

D’un large débat tenu au sein du CE autour des problématiques visées par l’article 13 de la Convention d’Oviedo qui traite des exigences éthiques en matière d’interventions sur le génome et l’article 28 qui stipule une exigence de débats, l’institution européenne a adopté un guide destiné à développer des consultations et des concertations approfondies et éclairées sur les questions biologiques et médicales, en respectant des exigences essentielles.

Parmi ces « Éléments essentiels » on retiendra : nécessité de larges débats avant l’adoption de textes de lois, au travers par exemple de Comités nationaux d’éthiques mais aussi, sur une plus grande échelle, en assurant des discussions aussi inclusives que possibles, effectives en ce qu’elles puissent donner un sens largement reconnu avec une bonne appréciation des implications pour la société.

En conclusion de son intervention, Madame Tesi Ashan a énoncé quelques autres idées importantes mises en évidence au travers des débats européens ou dans d’autres instances sur les questions bioéthiques ou médicales, ou reprises dans le guide (qui existe en mode numérique et qui est traduit en 9 langues :

  • Nécessité absolue de réglementations.
  • Besoin d’approfondir systématiquement les conséquences à long terme des innovations (ceci vise surtout la question des risques de transmissions intergénérationnels).
  • Dans l’appréciation des innovations des techniques génétiques ou génomiques qu’il faut soumettre à des examens rigoureux deux critères sont à retenir : leur bien fondé et l’ampleur des impacts qu’elles peuvent avoir avec, bien entendu, une pleine considération pour le rapport que ces techniques peuvent avoir pour la dignité de l’Être humain.
  • Ces questions sensibles justifient qu’on prenne le temps de les examiner avec TOUS les acteurs, mais cela ne doit pas être un prétexte pour prendre trop de temps, car avec la rapidité des innovations scientifiques il est urgent d’investir le champ des travaux en matière génétique pour assurer que sur ce terrain délicat, vrai patrimoine commun de notre humanité, on ait la plus large possible assurance d’une protection de qualité.

Et pour conclure un propos très complet, trois autres exigences ont été mises en exergue pour une bonne intégration des nouvelles technologies de l’humain dans les sociétés :

  • S’assurer de la Confiance du public dans les Sciences (pour éviter la propagation d’idées fausses et anxiogènes) ;
  • Adopter des Conduites responsables ce qui implique que pour tout projet soient anticipées d’entrée les considérations éthiques ;
  • Toujours en revenir aux Faits, ce qui garantit l’objectivité de tout débat démocratique.

Questions-Réponses

Quels financements pour votre « consultation des populations maories » ?
Pas de financement public, des donateurs.

Que dit-on expressément dans le « guide pour encourager les débats publics » dans le guide du CE ?
On n’entre pas dans tous les détails, les États sont surtout invités à promouvoir des débats ; s’agissant de la façon de les organiser les formes sont variées.

Pour l’organisation du débat citoyen mondial au sujet du Génome, peut on avoir plus de précision sur le degré d’avancement ?
La moitié du financement est déjà obtenue ; la partie préparation pour les tournages est en place ; cinq diffuseurs sont associés (en Australie, Allemagne, France et au Brésil ainsi qu’au Royaume-Uni) ; 7 évènements déjà prévus ; tout n’est pas finalisé ni parfait, mais l’important est l’engagement, et là il est avéré.

Votre projet de consultation mondiale vise à toucher de nombreux pays dans leurs langues : cela ne risque t-il pas de devenir une sorte de tour de Babel ingérable ?
C’est un défi mais il est essentiel de pouvoir toucher les gens dans leur langue et leurs cultures avec leur tradition. C’est l’une des grandes valeurs du projet.

Exercice final : en quelques mots chaque panelist est appelé à exprimer ce qu’il considère comme l’idée essentielle à retenir de son intervention 

« Des délibérations allant au-delà d’une simple conversation, à mener sans perdre de temps, sur une très grande échelle. »

La réalisatrice de films porteuse de son projet de Consultation citoyenne, Sonya Pemberton

« Aller vers les communautés, leur parler clairement de ce qu’on veut et de la façon de le faire et, idée nouvelle introduite à l’occasion de cet exercice : ouvrir un registre des recherches menées partout dans le monde sur les technologies traitant du génome (idée d’une transparence qui aiderait à la mobilisation des financements). »

Le Scientifique américain, Kevin Esvel

« Débattre, délibérer pour construire avec une vision, des recommandations ; importance de la Convention d’Oviedo. »

La représentante du Ministère de la santé suédois, Madame Tesi Ashan

Elément de commentaire du CCIC en conclusion

Ces deux heures d’échange ont apporté d’intéressants éclairages sur la nécessité de mieux faire s’entendre les scientifiques et le public, avec ici l’accent mis sur la génétique et ce qu’on appelle l’édition du génome.

Au-delà des débats dont la table ronde nous aura montré toute la nécessité de les conduire avec des exigences de qualité, reste ouverte la question de la traduction effective des avis donnés et des recommandations émises (passer des recommandations aux actes). Et là, à s’en tenir au seul constat de certaines réticences de certains Etats à ratifier des textes importants et sensibles, on ne peut que reconnaître la difficulté et la sensibilité d’un sujet qui touche quelque chose d’essentiel et parfois très problématique pour notre Humanité.