Les 5 et 6 décembre s’est tenu en mode virtuel le quatrième Forum international portant sur l’IA et l’Education consacré cette année au thème « Orienter l’IA pour favoriser l’action des enseignants et transformer l’enseignement ». L’évènement coorganisé, comme les fois précédentes, par la Commission nationale chinoise pour l’Unesco et par le secrétariat de l’Unesco a cette année traité plus particulièrement des Enseignants dans  le rôle qu’ils sont appelés à tenir comme éléments moteurs de la grande transformation des systèmes éducatifs qu’implique l’adoption maintenant inéluctable des nouvelles technologies, et tout particulièrement celles de l’Intelligence Artificielle.

Ces deux journées d’échanges ont bénéficié du concours de nombreux intervenants de haut niveau provenant d’une vingtaine de pays, des intervenants aux profils variés (responsables politiques – essentiellement des Ministres de l’Education-, philosophes, experts, chercheurs et concepteurs en informatique ou sciences de l’éducation, universitaires spécialisés en éthique des données ou des technologies).

Les discours introductifs ont été prononcés par le Ministre de l’Education de la Chine et par Madame Giannini, Directrice Générale Adjointe en charge du secteur de l’Education de l’Unesco. Monsieur Sobhi Tawill directeur à l’Unesco en charge de la division consacrée aux futurs de l’Education et aux innovations technologiques a animé avec talent une discussion dense et très instructive quant à la situation présente du monde de l’Education dans son rapport à l’IA et aux conditions dans lesquelles peut être envisagé l’avenir à ce sujet, avec les enseignants.

La richesse des contributions ne saurait être pleinement restituée dans un simple compte-rendu, mais, parmi tous les propos entendus, ont émergé un  certain nombre de points très souvent évoqués qui nous semblent devoir mériter une particulière attention. Sans disconvenir de l’intérêt de beaucoup d’autres considérations émises, on propose donc de s’en tenir ici à ces seuls faits saillants.    .

Une dynamique pleinement engagée

Avec peut-être un rôle positif qu’aura pu jouer la conclusion en 2019 du Consensus de Pékin sur l’IA (auquel il a été fait assez souvent allusion) et certainement aussi l’impact favorable des réflexions menées au sein de la famille onusienne (les réflexions sur les futurs de l’Education pilotées par l’Unesco, les échanges et engagements pris lors du Sommet sur la Transformation de l’Education à l’aune du numérique à l’ ONU en septembre dernier ), il apparait maintenant que beaucoup de pays sont pleinement engagés pour développer l’action en faveur du numérique et de l’IA, et pas seulement les pays dits les plus développés. Des témoignages entendus, il ressort ainsi une grande volonté pour favoriser le déploiement des nouvelles technologies dans les écoles, et un intérêt marqué pour l’intelligence artificielle dont certaines des qualités peuvent répondre à des besoins criants notamment en regard d’un déficit considérable d’enseignants, et là où les retards sont importants, ou encore où les élèves à former sont très nombreux et/ou disséminés sur de grandes superficies ( par exemple : Indonésie, Côte d’Ivoire, Inde, Chine Mongolie, etc…)

Pour soutenir ces déploiements, les Etats élaborent des stratégies, bâtissent des plans d’action ; ils s’attachent aussi autant que possible à faire évoluer leurs lois et règlementations pour assurer la protection des utilisateurs face aux risques que peuvent générer les systèmes d’IA.

Le grand potentiel de l’IA : des fonctionnalités remarquables, innovantes

L’accent a souvent été mis sur l’autonomisation et l’apprentissage personnalisé, deux caractéristiques de l’IA jugées positivement dans la mesure où cela permet de tenir compte du niveau de développement et de compétence de l’apprenant ; il y a -suggère-t-on, une souplesse d’utilisation qui serait-bénéfique.

La méthode couramment employée par les systèmes d’IA (réponse à des questions avec des conseils et/ou de recommandations) peut être d’une simplicité attrayante.

L’IA peut être performante pour gérer des problèmes complexes, avec une capacité à traiter des données nombreuses efficacement, ce que ne permettent pas les pratiques traditionnelles ; ainsi les professeurs peuvent-ils disposer d’informations synthétiques, régulièrement mises à jour (parfois en temps réel) sur les élèves de leur classe (tableaux de bord par exemple).

L’IA allège les tâches de l’enseignant pour tout ce qui relève de la gestion administrative.

L’évaluation : ce sujet essentiel a été souvent évoqué, l’IA peut donner l’impression de servir utilement à l’appréciation des résultats, il y a lieu néanmoins de le faire avec une certaine prudence et en tout cas de ne pas s’en remettre sans réserve aucune à ce qui est produit.

L’enseignant : son positionnement, son statut en présence de l’IA

-l’IA peut paraitre menacer les enseignants dès lors qu’elle peut organiser un dialogue de l’élève avec le système sans leur intervention

-là pourrait être le risque, mais cette hypothèse d’une quasi élimination de l’enseignant est à exclure : les intervenants ont insisté sur la place centrale du professeur dans sa classe.

-au demeurant, l’IA peut au contraire être un levier d’action pour l’enseignant qui, pour peu qu’il maitrise bien la matière, peut mieux gérer sa classe et organiser les travaux avec plus de facilité que dans les systèmes classiques (surveillance des résultats, ajustement des exercices, adaptation de son programme)

-la surveillance et le suivi que permettent les systèmes d’IA sont subordonnés à un savoir-faire qui sera fonction des capacités (compétences) de l’enseignant,  lequel doit, évidemment, bénéficier de formations appropriées- formation initiale et tout au long de sa carrière- dans la mesure où l’IA  appelle à modifier la pédagogie pratiquée. Mais cela n’est pas suffisant, il faut aussi de la motivation, et celle-ci n’est pas forcément présente.

-il est aussi jugé utile que l’enseignant partage avec ses pairs les leçons qu’il tire de ses expériences, par exemple au travers de « communautés de bonnes pratiques »

Le déploiement de l’IA

On indique que la diffusion des logiciels d’IA n’est pas exempte de difficultés ; il ne s’agit pas d’applications banales. Avant de les intégrer dans un cursus, il faut avoir un état d’esprit curieux : poser des questions, de bonnes questions ; si cela n’a pas été développé longuement, on peut penser qu’il doit s’agir de s’interroger sur la sécurité des applicatifs, leur fiabilité, la qualité des conseils et recommandations générées par les logiciels, la solidité des itérations produites (l’IA fonctionne largement sur la base de ces processus)

Les interactions

Il est clair que doivent être bien maitrisés les dialogues « homme-machine » qu’introduisent les systèmes d’IA qu’il s’agisse de l’élève auto-apprenant avec l’IA, ou du maitre travaillant avec ses élèves en prenant appui sur l’IA.

De nouveaux paradigmes : la pédagogie, les programmes

L’IA amène à réviser aussi bien les programmes que la façon de les dispenser. En séances plénières, les intervenants s’en sont tenus à des considérations générales, mais le sujet a été traité d’une façon plus approfondie dans des sessions parallèles.

Sur des sujets aussi importants, on a souligné le rôle que devaient pouvoir jouer les centres de recherche, avec deux idées à retenir : ne pas s’enfermer uniquement dans les questions informatiques et bien tester les applications avant de les diffuser. L’expérimentation préalable est ici une bonne pratique.

Les outils

Des propos entendus, on retiendra l’importance de deux outils : les plateformes et les téléphones mobiles.

Plusieurs des réalisations qui ont été présentées reposent sur la mise en œuvre de grandes plateformes centralisées auxquelles ont accès souvent des millions d’utilisateurs ; la Chine parait avoir ici un système particulièrement avancé.

Un intervenant a souligné toute l’importance que peut avoir l’usage des téléphones mobiles, notamment en Afrique.

Dernière idée à propos des outils : il est essentiel d’avoir de bons services d’assistance pour assurer le succès de leur utilisation

La formation

Il va de soi qu’au-delà d’actions de sensibilisation, des formations doivent être introduites avec suffisamment de moyens ; elles doivent s’adresser au personnel du monde éducatif pour qu’à tout le moins il acquière les connaissances de base, mais, comme l’ont dit plusieurs intervenants, il faut aussi investir sur ces sujets dans l’enseignement supérieur, pour susciter des vocations dans ces domaines de l’IA et de l’Education ; il y a encore bien trop souvent une pénurie de talents  qui bride la conception et la diffusion de ces technologies dans les écoles.

L’Ethique

En même temps que l’évocation des risques et, en réalité en lien étroit avec cette mise en évidence des dangers qui peuvent découler d’une mauvaise utilisation de l’IA à des fins éducatives, le thème de l’éthique a très souvent été abordé ; on pourra noter incidemment ici une insistance qui était beaucoup moins perceptible lors du lancement du premier Forum en 2019.

Beaucoup d’observations ont ainsi été formulées, pour que l’éthique soit partout présente à l’esprit de toutes les parties prenantes qu’il s’agisse des concepteurs ou des développeurs de logiciels, ou des enseignants ou responsables-administrateurs des systèmes éducatifs.

Les points sur lesquels retenir l’attention sous l’angle de l’éthique sont nombreux, parmi ceux qui ont été cités, on aura pu noter les sujets suivants : les biais, les discriminations, les informations fallacieuses (le rapport à la vérité), les influences sur les comportements, une excessive standardisation (au regard des spécificités culturelles), des approches purement commerciales.

L’évaluation

Le thème est jugé important, il a été développé dans l’une des sessions parallèles ; clairement cet aspect de systèmes d’IA est appréciée pour sa commodité d’usage, il apparait néanmoins une certaine gêne dès lors que les systèmes deviennent très (trop) directifs : il y a lieu ici d’exercer un esprit critique (voir ce qui est dit à propos de l’enseignant qui doit garder la main et considérer les « notations » de l’IA avec toute le connaissance « réelle » qu’ils doivent avoir de leurs élèves)

Conclusion

Pour s’en tenir à l’essentiel de ce qui a été développé de façon approfondie et avec une grande largeur de vue, quatre ordres de problématiques peuvent être mis en exergue :

– ne pas prendre l’irruption de l’IA dans les systèmes éducatifs à la légère

-ces outils vont immanquablement être de plus en plus utilisés par les enseignants, ce qui ne doit pas inquiéter

-reste qu’ils peuvent toujours susciter de la méfiance. Pour prévenir ce risque qui n’est pas mince, ils devront être introduits avec une grande prudence, en appelant les enseignants à les utiliser raisonnablement, avec beaucoup de discernement.

-si dans l’ensemble les jugements exprimés lors de ces journées ont été positifs, on n’aura pas manqué de relever ce qui a été dit  des difficultés pour déployer cette nouvelle technologie : avec l’IA, s’imposent de nouvelles pratiques pédagogiques qu’il faut savoir bien maitriser, ce qui justifie une bonne préparation de ceux qui en auront la responsabilité : avec la perspective d’un usage plus courant de l’IA, dans ce nouvel environnement, plus que jamais les enseignants doivent pouvoir ainsi rester au cœur de l’enseignement.