Le 24 janvier était célébrée à l’Unesco la septième journée internationale de l’éducation axée cette année sur l’intelligence artificielle.
Après des propos de bienvenue du Directeur général adjoint de l’Unesco, Monsieur Xing Qu, qui a cité les initiatives et publications récentes de l’Unesco en matière d’éthique de l’IA (cités dans le communiqué de presse ) et rappelé qu’en aucun cas l’IA ne pouvait remplacer les enseignants, était invité le ministre français de la francophonie dont nous relevons plusieurs propos :
– Le lancement en 2024 de la stratégie internationale en matière d’éducation de base, appelant à favoriser la transition numérique dans l’éducation, tout en s’efforçant de trouver un équilibre entre les opportunités et une nécessaire régulation
– Les perspectives vertigineuses apportées par la traduction immédiate des langues
– L’engagement pris au Sommet de l’avenir à New York, fin 2024, de mettre l’innovation, la science et la technologie au service de l’éducation, au service des plus vulnérables, de l’égalité de genre, et de contribuer à l’éradication de la pauvreté
– L’engagement de la France à protéger et défendre les droits des enfants en créant fin 2023 le Laboratoire pour la Protection de l’Enfance en Ligne où l’on promeut une éducation critique aux IA, à comprendre comment elles fonctionnent pour les utiliser de manière éclairée, consciente de ses limites et dangers.
Comment les systèmes d’éducation peuvent préserver la capacité d’agir, l’autonomie humaine dans le contexte de l’intelligence artificielle
M. François Taddei, Chief Exploration Officer, Learning Planet Institute, souligne l’effet de l’accélération inédite des technologies. La transmission d’une génération à l’autre était traditionnellement le pilier de l’éducation, c’était possible à l’époque où les évolutions scientifiques et technologiques étaient relativement lentes, alors que de nos jours, chacun, toutes générations confondues, doit se former à ces nouvelles technologies. Il se félicite que soit maintenant intégrée aux réflexions éthiques la prise en compte des générations futures. Par ailleurs, il souligne le fait que les IA génératives soient également capables de poser des questions à la manière de Socrate et sa célèbre maïeutique. L’opportunité apparaît de co-création entre l’humain et l’intelligence artificielle. De plus il doit s’opérer un équilibre dynamique entre une co-évolution de l’éthique et l’intelligence artificielle.
Madame Arora, professeure de cultures d’intelligence artificielle inclusives, éclaire la question d’une IA qui inclut les exclus. Elle y voit un remède à l’exclusion par exemple des filles auxquelles est refusé l’accès à l’école dans certains pays. Internet permet à certains groupes discriminés de s’exprimer, elle évoque les 90 % de filles et femmes vivant dans des mondes « paternalistes et restrictifs ». Internet permet l’accès à des contenus autres que la pensée unique des livres scolaires officiels. L’éducation doit être bien plus que ce qui se passe dans la salle de classe, conclut-elle.
Quelques leçons tirées de trois écoles qui ont intégré l’intelligence artificielle dans l’établissement, alors que 79 pays l’ont banni.
Le directeur de l’Ecole internationale de Paris a commencé par une enquête sur la perception qu’a chacun de l’intelligence artificielle : élèves, enseignants, parents. Puis il a proposé aux enseignants une journée de développement personnel pour se familiariser avec les outils.
À Londres, le David Game College a fait l’expérience de monter une classe sans professeur, entièrement gérée par l’intelligence artificielle toute la matinée. L’après-midi est consacrée à des soft skills, débats, sports, etc. Les bénéficiaires sont d’une part des enfants à potentiel intellectuel élevé qui en veulent toujours plus, ou à l’inverse des enfants en difficulté, tels que détruits par le harcèlement scolaire, ou d’une grande timidité, ou qui ont besoin d’un enseignement adapté. Le résultat est pour chacun un apprentissage plus rapide. Ce procédé s’avère performant pour détecter les lacunes et les combler rapidement. Au cas par cas, elle détecte des troubles comme le déficit d’attention, la dyslexie et accompagne efficacement les élèves qui ne maîtrisent pas la langue de l’école.
Au Rwanda. L’école Kayonza Modern Secondary a mis en place des formations hebdomadaires aux outils d’intelligence artificielle pour les professeurs.
Préserver l’action humaine à l’ère de l’IA : Réponses des parties prenantes
La rapporteure spéciale des Nations Unies sur le droit à l’éducation rappelle que la fracture numérique se trouve amplifiée par les technologies numériques, auxquelles un tiers de la population mondiale n’a pas accès. Elle évoque l’énorme consommation d’eau (12,7 milliards de m3 consommés par Google en 2023) tandis que 29% des écoles n’ont pas accès à l’eau potable. Elle s’inquiète du peu de distinction que font les jeunes entre la vie en ligne et hors ligne, et de leur empêchement de développer les compétences essentielles de lien social, d’où la nécessité d’investir dans l’humain. Elle s’interroge sur la validité des études d’impact, menées par les développeurs eux-mêmes, la neutralité des outils et les biais des créateurs et des données d’entrainement. La mainmise progressive d’entreprises du secteur privé sur les programmes éducatifs est également source d’inquiétude. (marché de 20 milliards de $)
La directrice générale du Réseau Canopé (France), agence de l’Education Nationale en charge de la formation des enseignants, signale le bouleversement qu’opèrent les IA sur les quatre piliers de l’éducation que citait Jacques Delors dans le rapport Unesco sur l’éducation en 1996 : « Apprendre à connaitre, apprendre à faire, apprendre à vivre, apprendre à être ». Les enseignants s’avèrent très intéressés par ces formations, en particulier aux IA génératives, pour préparer leurs cours et évaluer les connaissances. Les apprentissages de base -lecture, écriture, précision et richesse du langage- s’avèrent nécessaires pour utiliser efficacement ces IA génératives, dont les résultats dépendent énormément de la précision des prompts, questions posées à l’outil d’IA Gen. Cette « éducation augmentée » nécessite et met en valeur la collaboration.
En clôture, Madame Giannini, ADG Education de l’UNESCO, rappelle que l’éducation doit rester pilotée par les enseignants , que les IA ne sont pas un domaine réservé aux spécialistes mais doivent inclure les parties prenantes de l’éducation : éducateurs, enseignants, ministres en charge des politiques publiques. Elle insiste sur la dimension de SOLIDARITE quand la moitié de la planète n’a pas accès à ces technologies, et le processus de CO-CREATION enseignants-développeurs. Elle rappelle les initiatives de l’Unesco : orientations pour l’intelligence artificielle générative dans l’éducation et la recherche en septembre 2023, ainsi que les deux référentiels de compétences en IA pour les élèves et les enseignants publiés en 2024, abordant à la fois le potentiel et les risques de l’IA, en vue d’une utilisation sûre, éthique, inclusive et responsable, ainsi que le pacte pour la transformation numérique des Nations Unies, et le rapport Unesco sur les Futurs de l’éducation.