Une nouvelle rencontre autour de l’Intelligence Artificielle a été organisée le 30 septembre sur un mode hybride par les secteurs de l’Education et des Sciences Humaines et Sociales. Un sujet important sur lequel deux heures durant se sont exprimés les représentants d’Etats ou de Centres de Recherche (Namibie, Tunisie, Ghana, Égypte, Émirats arabes unis), de l’Unesco (qui compte maintenant des experts spécifiquement engagés sur les question se rapportant au numérique ou à l’Intelligence artificielle), et de deux grands opérateurs-prestataires industriels (IBM et INTEL) ; sont aussi intervenus des représentants (souvent dirigeants) de deux instituts de l’UNESCO (le BIE -Bureau international pour l’Education- de Genève et l’ITE -Institut pour les Technologie dans l’Education- de Moscou), d’un laboratoire chinois dédié à Intelligence Artificielle (le TAL), de l’Union européenne et de la Commission nationale pour l’UNESCO de Chine.
Les orateurs ont été nombreux, ils se sont principalement exprimés pour présenter leurs réalisations ou leurs propositions avec, comme élément commun de leurs propos, l’idée que l’Intelligence artificielle est appelée à prendre de plus en plus d’importance dans le domaine de l’éducation en tant qu’outil puissant pour aider au développement des systèmes éducatifs. Si le jugement d’ensemble a été très positif, au fil de certaines interventions, quelques observations ont été opportunément formulées pour nuancer quelque peu cette appréciation ou préciser certaines « conditions d’emploi » de ce nouvel outil. Subsistent encore beaucoup d’inconnues autour de la grande transformation que va provoquer le développement de l’IA.
Un assez grand nombre des idées émises rejoignent celle que l’on retrouvera dans le rapport sur l’éthique de l’Intelligence artificielle qui va être soumis à la prochaine Conférence générale.
On se propose ci-après de reprendre quelques-uns des éléments produits au cours des échanges en les assortissant de certains commentaires le cas échéant.
Les références, les perspectives
Mme Giovannini dans son propos introductif a situé l’évènement en rappelant qu’il était en ligne avec toutes les réflexions déjà conduites à l’UNESCO qu’il s’agisse des travaux sur « les futurs de l’Education » – dont le rapport provisoire souligne qu’avec le sujet « climat », le « numérique » va être la grande préoccupation du monde de l’Education pour demain – ou des discussions sur « l’Ethique de l’Intelligence Artificielle ». A signaler aussi les interventions de plusieurs orateurs faisant allusion au document « Consensus de Pékin » qui en 2019 a énoncé toutes une série de Recommandations sur l’IA ; à cet égard on aura noté l’implication chinoise sur ces questions : il a été rappelé ce qu’ils font en termes de Conférence internationale portant sur l’Education et les nouvelles technologies.
Enfin, il a été rappelé à juste titre le lien à opérer entre le sujet en discussion et tout ce que fait l’UNESCO à propos de l’Education ouverte et les Ressources éducatives libres (déclarations, recommandations etc.).
La question des inégalités, le grand retard de l’Afrique
Ce point « Inégalité » a été bien mis en évidence, surtout à propos de l’Afrique qui, en dépit des efforts déployés par les gouvernements, est encore un parent pauvre du numérique et de l’IA ; à cet égard, on aura noté que les observations formulées à ce sujet (retard dans les infrastructures, les équipements, l’organisation des réseaux) concernent plus le sujet du « numérique » que celui de l’Intelligence Artificielle. De même, quand on parle du déficit en matière de ressources ( le nombre et la formation des enseignants), un autre problème avéré en Afrique, on est un peu hors sujet, ou plus exactement ici, ce n’est pas l’Intelligence Artificielle qui est la première priorité, même si – cela a été rappelé – l’outil présente des Qualités qui peuvent être précieuses pour être utilisé dans les pays les plus défavorisés, mais ici c’est plus la question du numérique et de l’accès de l’internet qui importe.
L’IA et son utilisation sur une grande échelle pour l’Education : bienfait, bouleversement ?
On a beaucoup souligné l’intérêt de l’outil, les représentants chinois notamment ont témoigné de son efficacité, surtout lorsqu’on a à traiter d’éducation pour un très grands nombre d’apprenants ; ainsi, ont été citées les puissantes propriétés de l’intelligence artificielle pour évaluer (noter), gérer, juger le comportement des élèves (attitudes, motivations), aider à une autonomisation.
A l’écoute d’un intervenant, le doute ne serait plus permis : « l’enseignement traditionnel, c’est fini », « l’IA va permettre de libérer un extraordinaire potentiel », « on va avoir une nouvelle organisation des salles de classe », « nous assistons à un changement civilisationnel », « nous entrons dans une nouvelle ère » etc.
… autant de formules lapidaires qui, au demeurant n’ont pas été discutées plus avant.
Autre mérite supposé de l’IA : sa capacité de détection des affects (sic), de diagnostic, diagnostic cognitif a précisé un des participants à la discussion sans en dire plus. On aurait aimé, ici comme sur beaucoup d’autres idées émises tout au long de la discussion, avoir plus de détails, par exemple lorsqu’on a parlé de l’aide que peut apporter l’IA pour les autistes ou les dyslexiques.
En invitant à imaginer un nouveau « contrat social pour l’Education » le groupe de travail de l’UNESCO qui est en train de finaliser son rapport sur les Futurs de l’UNESCO évoque aussi mais d’une autre manière le changement assez radical que le numérique et l’IA introduit dans les systèmes éducatifs.
Ce changement induit par le biais du numérique est loin d’être parvenu à son terme, il reste encore beaucoup à faire et à imaginer pour le futur, sur ce point ayant trait à la « futurologie » on a rappelé le travail encours que mène l’Unesco à ce sujet ( « imaginer l’avenir à l’aune du numérique »). Si les jugements portés sur numérique de l’IA introduits dans le domaine de l’Education ont été très positifs, cette appréciation a été, à juste complétée à juste titre par des observations bien senties : les techniques ne sont pas neutres, rappelle Mme Feinholz (responsable de la section Ethique au sein du SHS), il est important de garder la main, elles ne doivent pas gouverner (façonner) notre avenir, il faut savoir les piloter avec des valeurs éthiques et humanistes, de façon responsable.
Les Enseignants, les Apprenants
Clairement, pour promouvoir ces nouveaux outils, et les méthodes à pratiquer pour leur emploi à bon escient, il faut former les utilisateurs, qu’il s’agisse des professeurs ou des apprenants.
L’impression parfois a pu être rendue qu’il fallait surtout former aux aspects purement techniques (« comment ça marche »), mais, un intervenant (du BIE) a très opportunément mis l’accent sur ce qui parait l’essentiel : la Pédagogie, et la considération de l’apprenant (de l’enfant), c’est cela qui compte le plus a-t-il précisé : l’enfant doit être mis au centre. Dans cette optique, on peut légitimement avancer l’idée qu’on ne saurait s’en tenir à former au codage ou à la programmation d’application ou plus simplement à l’utilisation de ces nouveaux outils pour bien enseigner « à l’ère du numérique et de l’IA » qu’on nous annonce.
Un autre intervenant, pour soutenir l’idée que l’IA doit être largement utilisée, a fait valoir comme argument, l’engouement des jeunes pour travailler avec ces nouvelles techniques, et notamment les plateformes de dialogues coopératifs et interactifs. Là encore, il ne s’agit pas forcément que d’IA. Par ailleurs, il est permis de s’interroger sur ce constat : ne risque-t-on pas de verser (un peu trop) dans le domaine du jeu ?
Ces questions touchant les personnes acteurs du monde éducatif sont à juste titre mises en évidence et vont constituer des priorités que l’UNESCO a bien inscrites sur sa feuille de route pour ses travaux à venir : Mme Giovannini l’a rappelé lors de son introduction.
Les Programmes
Il va être indispensable de repenser les Programmes, leur format et leur contenu, pour obtenir des systèmes d’IA dédiés à l’apprentissage conformes aux missions du domaine de l’éducation.
On a peu parlé de l’apprentissage collectif (en dehors des MOOC) mais la question des programmes pour ce type d’enseignement « en mode IA » parait importante. En revanche, plus a été dit sur les « formations autonomes » ce qui est normal, car l’IA a précisément cette caractéristique de permettre la personnalisation des exercices ou des parcours. A ce sujet, on a mentionné la nécessité de formation appropriée pour savoir « naviguer » face à l’abondance des offres et l’utilité des assistances par des tutoriels « intelligents ».
Il est important que les « curriculums » développés en rapport avec l’IA soient promus en ayant le souci de la préservation d’une pensée critique.
Les Valeurs
On pourrait se contenter d’énumérer les valeurs à respecter auxquelles il a été fait souvent référence : l’inclusion, l’égalité, l’éthique, le respect des cultures (voir notamment la question des langues), la confidentialité des données et l’explicabilité des applications – surtout lorsqu’interviennent des algorithmes, le bien commun (l’Education), le bien-être social, l’esprit collaboratif, l’interdisciplinarité, les droits humains etc.
Mais un point semble devoir appeler une plus grande attention : « avoir une approche humaniste ».
L’idée fait l’unanimité, elle a été souvent reprise, elle est même retenue par l’UNESCO comme une sorte de slogan : « pour une approche humaniste de l’IA » ; on aura relevé ainsi, l’affirmation que les systèmes d’IA devaient garder un visage humain, que l’IA devait servir l’humanité et ne pas asservir.
Toutes déclarations bienvenues, mais il a aussi été question d’une large numérisation du monde, avec chacun son identité numérique et la combinaison probablement problématique dans certains cas de trois caractéristiques susceptibles d’aider à apprendre : la standardisation des processus ou des offres, l’autonomisation et la personnalisation. Sans doute beaucoup de questions seraient à poser sur ces perspectives, mais on aurait dépassé l’objet de cette rencontre si on avait voulu les traiter, reste néanmoins à les garder présentes à l’esprit, et à rester vigilant ou prudent avec ces nouvelles technologies, comme cela a été souligné par l’un des intervenants.
D’une manière générale, beaucoup de ce qui a été commenté au titre des valeurs rejoint ce qui est fréquemment observé dans les nombreux évènements qui se tiennent autour de l’Intelligence Artificielle, notamment au Siège de l’UNESCO mais aussi au travers du réseau Hors-siège. On aura aussi retrouvé, appliquées au monde l’apprentissage et de l’éducation, des considérations renvoyant bien aux nombreuses recommandations qui figureront dans le rapport sur l’Ethique de l’Intelligence Artificielle en voie d’être adopté.
La pratique, la signification des systèmes IA
L’accent a été mis sur le côté pratique de l’IA, on a invité à bien s’intéresser aux aspects concrets avec une bonne compréhension des effets de ces systèmes pour en tirer le meilleur parti, mais sans donner d’exemple. On aurait gagné à mieux donner le sens de ces innovations et d’évoquer plus précisément leur répercussion sur les personnes en tant qu’être humains avec leurs singularités et leur fragilité ; préserver l’humain, cela a été dit, reste à savoir de quel humain on parle, au-delà de cet appel bienvenu et de l’appel à respecter les droits humains.
Dans le même registre, une autre idée intéressante émise pour donner du sens aux apprentissages organisés avec recours à l’IA : éviter de s’en remettre complètement aux experts, ces sachants à qui on ferait confiance à raison de leur compétence supposée : l’IA ne doit pas fonctionner comme une boite noire maîtrisée par les seuls techniciens. Elle doit démontrer son efficacité aux yeux des utilisateurs : il faut avoir cet état d’esprit, un esprit ouvert.
Le marché de l’IA
Avec l’IA on peut « libérer tout un potentiel », et aussi sûrement, comme pour toutes les nouvelles technologies ayant recours au numérique, faire face aux grands défis de notre monde et aux crises comme on l’a vu avec la crise Covid.
Il y a là de magnifiques opportunités de développement, tout un marché aussi dont les grands acteurs industriels du numérique se sont emparés au même titre que de nombreuses start-up.
Les deux entreprises (IBM et INTEL) sont venues présenter ce qu’elles font pour former à ces nouvelles technologies appliquées au domaine éducatif avec des programmes de cours très complets.
La régulation
Le sujet n’a pas été longuement traité en tant que tel, mais on l’a bien suggéré : les questions touchant à l’Intelligence Artificielle et, plus généralement le domaine du numérique, doivent être traitées comme il convient ; cela suppose des cadres de gouvernance (des applications, des données etc) et, sous une forme ou une autre, un ensemble de régulations avec des principes directeurs pour sous tendre des politiques publiques nationales qui gagneront à être adoptées en rapport avec des normes unanimement acceptées dans le cadre de stratégies clairement définies.