Approuvée à la Conférence générale de l’UNESCO de 1999, suite à une initiative du Bangladesh, la Journée internationale de la langue maternelle est célébrée dans le monde entier chaque année le 21 février. A cette occasion, l’UNESCO réaffirme l’importance de préserver les diversités culturelles et linguistiques qui favorisent la tolérance et le respect des autres et rappelle que la diversité linguistique et le multilinguisme sont essentiels pour le développement durable.

C’est dans cet esprit que l’UNESCO a retenu « Langues sans frontières » comme thème de la journée 2020 et choisi de « Célébrer les langues transfrontalières pour un dialogue pacifique ».

Dans son message Mme Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, soulignait :

« En cette 22ème Journée internationale de la langue maternelle – qui est la journée de toute les langues – l’UNESCO voudrait aussi rappeler la capacité des langues maternelles à nous unir. En rapprochant ses locuteurs, en leur permettant de s’épanouir dans des horizons communs, les langues maternelles sont en effet une source d’inclusion sociale, d’innovation et d’imagination ; elles sont aussi une respiration pour la diversité culturelle et un instrument de paix ».

Allocutions d’ouverture

Mme Stefania Giannini, Sous-Directrice générale pour l’éducation, UNESCO

Citant Octavio Paz, Prix Nobel de Littérature, lors de son discours d’acceptation : « Les langues sont de vastes réalités qui transcendent ces entités politiques et historiques que l’on nomme nations », les langues sont sans frontières. Le pouvoir des langues est de nous réunir. Les diversités linguistiques sont une richesse menacée, aujourd’hui 3000 langues sont en danger d’extinction alors qu’elles représentent un vaste système de savoirs et de valeurs. L’année 2019 a été déclarée « Année internationale des langues autochtones » : leur protection a donné lieu à travers le monde à près de 800 évènements. Profitant des temps forts de l’année 2019, l’Assemblée Générale des Nations unies a proclamé 2022-2032, «Décennie internationale des langues autochtones » qui permettra de renforcer les efforts internationaux visant à préserver cette « composante en danger de la vie culturelle et sociale des peuples autochtone ».

De nombreuses « langues transfrontalières » existent à travers le monde. Le swahili en est un des principaux exemples. Cette langue d’Afrique subsaharienne compte entre 120 à 150 millions de locuteurs et locutrices. Le quechua en est un autre exemple. La langue de l’ancien empire inca a évolué et constitue maintenant une famille de langues autochtones apparentées parlée par environ 8 à 10 millions de personnes en Amérique Latine.

Le respect et la promotion de la langue maternelle et d’un enseignement en langue maternelle garantissent de meilleures chances pour les enfants. Mais, dans le monde aujourd’hui, 40% des enfants n’ont pas accès à un enseignement dans une langue qu’ils comprennent (d’où le terme de : langage poverty).

M. Alexandre Wolff, Directeur p.i. Langue française, culture et diversités, Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

Il faut d’abord rendre hommage au Bangladesh et aux étudiants bengalis dont les combats pour leur langue ont été la source du mouvement mondial pour la défense des langues. L’OIF est engagé dans la promotion de la diversité et le dialogue entre les langues et les cultures. Avec le programme « Tempo traduction », l’OIF soutient les éditeurs francophones et les structures à vocation culturelle, publiques ou privées, dans la traduction et la publication en français d’œuvres littéraires contemporaines, écrites et publiées dans les différentes langues partenaires de l’espace francophone. Un appel à candidature est lancé pour 2020. L’OIF soutient également les initiatives de multilinguisme et d’écoles introduisant la langue maternelle plus le français.

S.E.M. Imtiaz, Ambassadeur plénipotentiaire de la République populaire du Bangladesh en France et Délégué permanent auprès de l’UNESCO

Les langues ont une valeur inappréciable. Il souligne ce qui se fait au Bangladesh où existent 15 communautés et 15 langues et où, aujourd’hui, 5 de ces langues sont introduites dans l’éducation primaire.

Débat : « Perspectives régionales sur la capacité des langues transfrontalières à promouvoir le rapprochement des cultures, l’éducation et le développement »

Mme Tarcila Rivera Zea, Directrice Centre des cultures autochtones CHIRAPAQ, Pérou ; experte de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones. Membre du projet UNESCO « Futurs de l’éducation »

Il faut célébrer ceux/celles qui à travers le monde défendent les langues autochtones. Il y a un lien direct entre langue et culture, en particulier en Amérique Latine. Pour l’Amérique Latine, la langue quechua est la langue « transfrontalière » parlée par 8 à 10 millions de personnes, en Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Equateur et Pérou. C’est une langue bien vivante, celle de personnes qui « jouissent pleinement de leurs droits ». Le quechua : intègre la diversité : ce n’est pas seulement une langue mais une famille de langues, de cultures et de rapports au monde. La culture quechua est fondée sur les valeurs de la « relation terre-mère ». Nous devons nous affirmer dans une société où nous avons souffert de nous voir imposé une langue et une culture qui n’étaient pas les nôtres. Outre le quechua, 50 millions de personnes en Amérique Latine parlent une langue autochtone. Dans le monde il y a 370 millions de personnes autochtones. Il ne faut pas permette qu’une personne meure sans avoir transmis sa langue et sa culture ! La colonisation a « jeté à la poubelle » langues et cultures autochtones. Les jeunes générations ont une nouvelle vision, « ne perdons plus une seule langue ! ».

M. Lang Fafa Dampha, Secrétaire exécutif, Académie africaine des langues (ACALAN)

ACALAN, est un institut de l’Union Africaine créée à Kartoum en 2006 avec comme charte la renaissance de la culture africaine et l’encouragement des langues africaines et en particulier la promotion des langues transfrontalières dans le but d’unir les personnes. La charte insiste sur l’utilisation des langues africaines en tant que facteurs d’intégration, de solidarité, de respect des valeurs afin de promouvoir la paix et de prévenir les conflits. Depuis 2001 la mission principale de l’ACALAN est la promotion des langues transfrontalières d’Afrique. 41 langues transfrontalières ont été sélectionnées, il s’agit d’un premier groupe choisi en fonction du nombre de pays qu’elles couvrent, du nombre de locuteurs et du degré d’enseignement à l’école de ces langues.

A l’ONU, le Forum permanent sur les droits des peuples autochtones a émis 84 recommandations sur les langues autochtones, l’article 16 stipule « le droit de communiquer dans nos propres langues ».

Mme Sophie-Rose Nyot Nyot, Fondatrice du site web bilingue interactif « Je parle l’Afrique 2.0 » et du « Je parle le bassa 2.0 »

De famille originaire du Cameroun, vivant en France, elle souhaitait retrouver sa langue maternelle et sa culture de façon concrète et contemporaine. Ses parents lui ont ouvert la voie et contribué au projet « 2.0 ». Aujourd’hui le site compte 13 000 abonnés.

M. Jude Joseph, auteur, conteur et comédien haïtien et M. Reynold Henrys, traducteur et professeur de créole haïtien

Un conte créole évoque la confiance, il faut que la confiance règne pour que les langues maternelles demeurent. Le créole est reconnu comme langue officielle en Haïti, les hommes politiques doivent parler créole. Mais la langue créole est déformée par les influences de la diaspora. Il y a un combat à mener pour protéger la langue.

Table ronde sur le swahili : « Opportunité et défis pour la reconnaissance du swahili comme langue du continent africain et pour l’intégration africaine »

ALLOCUTIONS D’OUVERTURE :

S.E. Phyllis Kandie, Ambassadrice, Déléguée permanente de la République du Kenya auprès de l’UNESCO, Présidente du Groupe Afrique à l’UNESCO

Il existe en Afrique plus de 2000 langues. Le Swahili est prédominant et compte à lui seul 120 à 150 millions de locuteurs. C’est la langue de l’est africain, parlée dans plusieurs autres pays africains et enseignée dans de nombreuses universités dans le monde. C’est la première langue officielle de l’Union Africaine. A preuve de son rayonnement, il existe une version en swahili de Google depuis 2009, des festivals d’art, des films, des chansons en swahili (voir site web : swahili.com). Le financement de son développement reste critique. L’UNESCO en est clairement promoteur et soutien.

S.E.M. Samwel W. Shelukindo, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République-Unie de Tanzanie en France, Délégué permanent auprès de l’UNESCO

Souligne que l’Union Africaine a adopté en 2004 le swahili comme langue officielle. Il est en particulier la langue officielle de 4 pays de l’Afrique de l’Est. En mai 2019, un accord de libre-échange entre les pays africain marque une nouvelle étape dans la mise en place d’un « ensemble africain ». L’Afrique du Sud et la Namibie ont récemment proposé un enseignement en swahili.

M. Firmin Edouard Matoko, Sous-Directeur général pour la priorité Afrique et les relations extérieures, culier UNESCO

Insiste sur la question critique de l’enseignement des langues maternelles en Afrique et rappelle le soutien du swahili par l’UNESCO.

TABLE RONDE – INTERVENTIONS :

M. Aldin Mutembei, Professeur de swahili,Université de Dar es Salaam, République-Unie de Tanzanie

« Approches linguistiques et pédagogiques du swahili ». En Afrique de l’Est, sur une population de 324 millions, 192 millions parlent swahili. Il est enseigné à l’Université de Dar-es-Salam, en Tanzanie, le plus vieil institut en Afrique à l’enseigner. L’origine de cette langue est le bantou. C’est une langue hybride, composée d’éléments linguistiques d’Afrique australe, de pays arabes, d’Europe et d’Inde. Il est la langue unificatrice en Tanzanie depuis 1930. Le swahili soutien la diversité culturelle, c’est une langue riche et subtile. On en trouve des indications avant même les scripts arabiques.

Mme. Odile Racine, Professeur de swahili, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), Paris

« L’apprentissage du swahili en ligne ». Il y a plus de 500 langues bantoues, une grande famille où le swahili trouve son origine. C’est une langue des plus simples qui s’écrit en caractères latins. Elle est amplement décrite et présente dans la littérature. Elle est déjà enseignée dans le primaire dans les pays où elle est parlée et également dans de nombreux instituts dans le monde. Elle est présente dans des émissions de radio internationales. A l’INACO, elle est enseignée en présentiel. 100 étudiants sont inscrits en 2020 et leur nombre augmente d’année en année, un programme de cours à distance en ligne se confirme.

Il y a une nécessité de renouveler la pédagogie des langues et cultures africaines. Elles ne doivent pas être un sujet de honte. Il faut à présent s’appuyer sur le numérique et sur des documents africains authentiques (des jeux africains, des textes authentiques de jeunes africains, des dessins animés en langues africaine).

M. Lang Fafa Dampha

« Le rôle de l’ACALAN dans l’autonomisation des langues frontalières véhiculaires et le swahili en tant que langue de communication plus large de l’Afrique ». Il s’agit de promouvoir le swahili comme langue de communication du continent africain, mais cela ne veut pas dire « tuer » toutes les autres langues africaines. Le swahili est stipulé dans la Charte de l’Union Africaine. En juin 2019 a eu lieu un Forum africain pour mettre en avant le swahili avec un plan d’action pour qu’il soit promu par tous les pays africains. Du 3 au 5 mars, à la réunion parlementaire de l’Union Européenne, un plaidoyer pour le swahili est à l’ordre du jour. La question posée par M. Lang à tous les responsables africains : «  Quand allons-nous utiliser nos langues pour nos réunions et non l’anglais, le français ou l’arabe ? »

Conclusion

Le dynamisme des langues transfrontalières témoigne qu’elles peuvent servir à l’épanouissement de la culture et des traditions autochtones. Elles représentent également un puissant outil de promotion de la paix entre pays et peuples voisins, et de développement de leur solidarité malgré la complexité de leurs identités multiples.