UNESCO –Journée internationale de l’alphabétisation 2017
« L’alphabétisation dans un monde numérique »


Le 8 septembre 2017, date anniversaire de la 1ère Journée internationale de l’alphabétisation organisée par l’UNESCO en 1967, s’est tenue à son siège parisien la 51ème Journée internationale de l’alphabétisation consacrée au thème de « l’alphabétisation dans un monde numérique ». Sous la responsabilité de la Division pour les politiques et les systèmes d’apprentissage tout au long de la vie de l’UNESCO et de M. David Atchoarena son Directeur, l’événement a rassemblé plus de 200 participants dont les représentants de plus de cinquante pays ainsi que ceux de nombreuses ONG internationales et locales et d’institutions publiques et privées engagées sur le terrain.

En ouverture de la conférence, Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, dans un discours éloquent, a insisté sur le fait que les développements du numérique sont sources de progrès incontestables mais posent des défis particulièrement grands dans le domaine de l’éducation : « les fondements d’un authentique développement humain ne sont pas techniques – ils reposent sur les droits de l’homme et la dignité de chaque femme et de chaque homme, chacun avec ses propres compétences… Pour être réellement bénéfiques, les nouvelles technologies doivent se fonder sur deux piliers : elles doivent être inclusives, réduire les fractures et non les augmenter, elles doivent aussi être sous-tendues par le respect de l’homme et de sa dignité »1.

Prenant ensuite la parole, S.A.R. la Princesse Laurentien des Pays-Bas, Envoyée spéciale de l’UNESCO pour l’Alphabétisation pour le Développement, devait insister sur l’importance de la parole depuis la petite enfance et se référer au livre de Sherry Turkle, professeur à MIT : « Remettre en valeur la conversation, la puissance de la parole dans un monde numérique ». Nous devons trouver l’équilibre juste entre réel et numérique, sinon nous risquons de perdre l’empathie qui est le cœur des interactions sociales dans la société. L’empathie est la valeur clé au cœur des travaux de l’UNESCO. »2


Introduction

Au cours la période récente, les technologies numériques ont apporté des transformations rapides et profondes à notre manière de vivre, de travailler, d’entretenir des liens sociaux et d’apprendre. En 1995, 1 pour cent de la population mondiale était connectée à internet, aujourd’hui 40 pour cent de la population mondiale dispose d’une connexion, soit trois milliards de femmes et d’hommes. En Afrique, quasi inexistants en 2000, les abonnements mobiles avoisinent aujourd’hui 900 millions. Ces avancées améliorent l’accès à des informations et des savoirs jusqu’alors hors de portée ou trop coûteux en particulier dans le domaine de l’éducation. Mais il n’est pas possible d’oublier que le développement fulgurant des technologies numériques a aussi des aspects négatifs. Il existe une « fracture numérique » en termes d’accès aux technologies numériques, de leur utilisation et de leur effet. Quatre milliards de personnes ne peuvent accéder à internet, et environ deux milliards n’utilisent pas de téléphones portables. Dans les 48 pays les moins avancés, seule une personne sur sept est connectée. Les développements rapides du numériques posent un grand nombre de questions relatives à la promotion de l’alphabétisation dans un contexte où les difficultés restent encore très répandues. En dépit des progrès accomplis au cours des dernières décennies, on recensait toujours 750 millions d’adultes analphabètes en 2016 dans le monde, 264 millions d’enfants et d’adolescents étaient déscolarisés en 2015, 250 millions d’enfants, dont certains scolarisés, ne parvenaient pas à acquérir les compétences élémentaires.

Dans ce contexte, le thème choisi pour la conférence internationale 2017 de « l’alphabétisation dans un monde numérique » se révèle hautement pertinent. Reconnaissant les transformations en profondeur résultant des technologies numériques, quatre domaines de réflexion sous forme de tables rondes ont été retenus pour la rencontre : repenser le concept et les contenus de l’alphabétisation à l’ère du numérique, étudier des exemples de programmes d’action prometteurs, évaluer les risques du numérique au regard de l’éducation et étudier les possibilités de renforcer les suivis et les évaluations grâce au numérique. L’événement se clôturait par la remise des Prix internationaux d’alphabétisation de l’UNESCO 2017 pour cinq projets faisant progresser l’alphabétisation grâce aux technologies numériques.


1 – Repenser l’alphabétisation dans un monde numérique

La conception des objectifs de l’alphabétisation a elle aussi grandement évolué depuis la première définition simple proposée par l’UNESCO en 1958 qui insistait sur l’aspect cognitif : « la capacité de lire et d’écrire, avec compréhension, une phrase simple sur un sujet de la vie quotidienne ». Les définitions sont aujourd’hui multiples, plus complexes et soulignent l’aspect fonctionnel. Celle proposée pour la journée 2017 insiste sur le fait que « l’alphabétisme (literacy) fait partie intégrante d’un ensemble de connaissances, de compétences et d’aptitudes nécessaires pour tirer profit de services offerts par l’économie numérique d’aujourd’hui et participer pleinement à nos sociétés de plus en plus tournées vers le numérique ». L’alphabétisation numérique est devenue une priorité. Elle vise à développer des compétences numériques qui se réfèrent à la capacité de comprendre et d’utiliser des technologies numériques sans avoir besoin de l’aide des autres.

La Commission Européenne a ainsi défini depuis 2014 un cadre de référence des compétences numériques, le « Common European Digital Competence Framework for Citizen3 », dans lequel «doit entrer » le citoyen européen pour réussir dans le monde moderne et en particulier dans le monde du travail. Ce cadre a établi cinq domaines et 21 compétences jugées nécessaires, elles même divisées en 3 niveaux de compétences utilisateurs.

Les participants à la table ronde ont souligné qu’il ne peut pas y avoir de définition unique de l’alphabétisation numérique et une seule façon de faire, cela dépend du contexte local, il faut tenir compte de la culture, des langues, des valeurs. On ne peut oublier que la moitié de la population mondiale n’a pas d’accès à internet. Pour l’autre moitié de la population, le numérique ne doit pas être mis aveuglément en haut des valeurs, la pensée critique doit être développée.

En ce qui concerne le type et les niveaux de compétences à atteindre, il n’y a pas de réponse unique possible, l’objectif s’éloigne en permanence avec les avancées technologiques, les réponses ne peuvent être que contextuelles.

Il est enfin essentiel de mettre l’accent sur la formation des enseignants (base et tout au long de leur carrière), qu’il y ait une coopération entre experts techniques et experts traditionnels, que le numérique ne soit pas l’objet d’une salle spécialisée/d’un cours spécialisé mais soit intégré dans le cadre des cours traditionnels. Hors du domaine scolaire, il est également important que soit développé des formations de rattrapage au numérique pour les adultes. Ne pas oublier les possibilités offertes par les « Ressources Éducatives Libres – REL » et les « Cours en Ligne Ouverts à Tous – MOOC ». Enfin ne pas confondre l’outil et le but : le but c’est le contenu.


2 – Des programmes prometteurs encourageant l’alphabétisation dans un monde numérique

La table ronde a permis la présentation de leurs projets par les cinq lauréats des Prix internationaux d’alphabétisation de l’UNESCO 20174 :

  • le programme « We Love Reading » en Jordanie qui s’appuie sur les technologies numériques pour stimuler l’intérêt envers la lecture, en 2016, environ 20 000 apprenants, dont 60 % de femmes, ont bénéficié du programme.

  • le Centre d’études sur l’apprentissage et la performance (CEAP) de l’Université de Concordia au Canada pour son programme « Utiliser la technologie éducative pour développer des compétences éducatives essentielles en Afrique subsaharienne »,

  • le Secrétariat des technologies de l’information et des communications de la ville d’Armenia en Colombie pour son « AdulTICoProgram » pour la transmission de compétences numériques aux personnes âgées,

  • l’organisation « The Citizens Foundation » au Pakistan pour son « Programme d’alphabétisation Aagahi à l’intention des femmes et des filles non scolarisées », pays où l’illettrisme féminin atteint 42%,

  • l’organisation « FunDza Literacy Trust » en Afrique du Sud pour son programme « Agrandir la communauté des lecteurs et des auteurs FunDza Fanz » qui encourage la culture de la lecture et de l’écriture pour le plaisir en Afrique du Sud dans un environnement où les livres sont rares.

Les intervenants ont soulignés que ces programmes sont gratuits pour les bénéficiaires et donc que la question de leur financement et de partenariats possibles est centrale ainsi que la disponibilité de bénévoles à s’engager. Il y a des résistances à apprendre : il faut que les enfants et adultes soient convaincus, la motivation de l’apprenant est essentielle. D’une façon concise le responsable du projet canadien a résumé les défis en trois points : les possibilités d’accès aux réseaux/applications, la qualité des contenus, la fiabilité des technologies.


3 – L’alphabétisation dans un monde numérique : risques et solutions

Les intervenants ont tous soulignés de nouveau que les technologies numériques sont des outils qui ne peuvent se substituer à l’action humaine et à la pédagogie et qu’il est nécessaire de respecter la multiplicité des cultures. La technologie doit respecter l’humain et non en faire des esclaves. L’utilisation des outils numériques réclame des soutiens pour les apprenants. La formation des adultes n’est pas aujourd’hui dans l’agenda global de l’éducation, elle doit y être mise comme une priorité.

Comme dans de très nombreux domaines du monde moderne, pour celui de l’éducation les technologies numériques et leurs applications supposent la collecte d’un nombre important de données personnelles. La sécurité de ces données et le risque d’utilisation frauduleuse a été souligné par tous ainsi que le besoin de législations plus strictes. Il a été recommandé que, comme dans la tradition académique, les données personnelles ne puissent être collectées qu’avec l’accord explicite des personnes.


4 – Suivi et évaluation de l’alphabétisation dans un monde numérique

Les technologies numériques et la collecte de données viennent modifier la façon d’évaluer et de mesurer les compétences d’alphabétisation et de suivre les progrès au niveau local, national et international. Elles contribuent à fournir des informations utiles aux prises de décisions des responsables.

Mme Silvia Montoya, Directrice de l’Institut de statistiques de l’UNESCO (ISU), a ainsi présenté les plus récentes analyses des tendances des 50 dernières années des niveaux d’alphabétisation au plan mondial, régional et local5. Elles indiquent que malgré des progrès réguliers les défis restent considérables pour atteindre l’Objectif 4 du Développement Durable (ODD4) d’assurer, que « d’ici à 2030, que tous les jeunes et une proportion substantielle d’adultes, hommes et femmes, sachent lire, écrire et compter » (voir les quelques statistiques données au début de ce compte-rendu).

La discussion a par ailleurs longuement porté sur le manque d’une définition claire et acceptée de tous sur le niveau de compétence requis pour dire qu’une personne est alphabète ou analphabète. Ceci peut fausser les statistiques et les comparaisons nationales et régionales ainsi que l’évaluation mondiale de la progression vers l’ODD4.


Séance de clôture et déclaration finale

Résumant les points clés de la journée et des tables-rondes, M. David Atchoarena soulignait que la notion d’alphabétisation à évolué, qu’il y a aujourd’hui une plus large définition, mais en même temps que cette définition doit être prise en fonction d’un contexte. De même les compétences doivent évoluer et inclure le numérique mais il faut que les enseignements soient pertinents. Et auparavant il est essentiel de développer les compétences des enseignants. L’utilisation et le bénéfice des Ressources Éducatives Libres doivent eux aussi être pris en compte.

Et faire en sorte que par l’alphabétisation l’enfant « n’apprenne pas simplement à lire le mot mais apprenne à lire le monde ».


Conclusion

Il faut féliciter les très nombreux acteurs engagés dans le domaine de l’alphabétisation pour le travail accompli pour faire progresser à la fois la réflexion et les réalisations dans le champ de l’alphabétisation dans un monde numérique. Il faut aussi souligner la position claire de l’UNESCO et de nombreux intervenants comme quoi les développements de l’éducation numérique doivent être sous-tendus par le respect de l’homme et de sa dignité. Dans la rencontre du 8 septembre, les risques du numérique ont peut-être été sous-estimés, il aurait fallu aborder plus longuement la question de la qualité des contenus des enseignements numériques ainsi que les problèmes posés par la progression dans ce domaine des enseignements privés payant.

DG – 14/09/17


Lire le message du Pape François
Lire le message d’accueil de Mme Irina BOKOVA
Lire le discours de Mme Irina Bokova
Lire le compte rendu sur le site de l’UNESCO