La sous-représentation persistante des femmes et les stéréotypes de genre perpétués à leur égard ont longtemps entravé leur présence dans les sciences. A l’heure actuelle moins de 30 % des chercheurs dans le monde sont des femmes. Il existe à présent un consensus général sur le fait que la participation des femmes dans les sciences est essentielle non seulement d’un point de vue de justice et d’équité mais aussi pour atteindre les objectifs définis dans l’Agenda 2030 pour le développement durable.
La Journée internationale des Femmes et des Filles de Science était présidée par Mme Shalima Nair-Bedouelle, Sous-Directrice générale pour le Secteur des sciences exactes et naturelles, UNESCO, et était organisée avec la participation de l’ISC – International Science Council, représenté par Mme Heide Hackmann, Directrice exécutive. Mme Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, dans un message, a souligné les enjeux et lancé un appel à la communauté internationale. La journée a réuni des partenaires scientifiques, des jeunes femmes scientifiques récompensées par le Programme L’Oréal-UNESCO « Pour les Femmes et la Science », des représentants des réseaux scientifiques et des Chaires UNESCO.
La Journée internationale a mis en lumière les réalisations et les défis des chercheuses et des scientifiques du monde entier dans un effort pour inspirer, autonomiser et soutenir les visions et les aspirations des jeunes femmes – d’une manière qui va au-delà de la simple sensibilisation aux questions de genre.
Extraits du message de Mme Audrey Azoulay
« L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain ».
Il y a deux siècles, Henri Beyle, Stendhal de son pseudonyme, pressentait déjà combien l’égalité des genres était un impératif, non pas seulement pour la justice et la dignité, mais aussi pour les sciences et le savoir humain. Certes, depuis le XIXème siècle, de nombreux progrès ont été accomplis. Mais force est de constater que les inégalités de genre demeurent fortes, dans le monde en général, et dans la vie scientifique en particulier.
ême si les filles réussissent aussi bien que les garçons en mathématiques, les femmes ne représentent que 30% des chercheurs en sciences; la publication UNESCO « I’d blush if I could (1) » a également montré que les femmes et les filles ont aujourd’hui quatre fois moins de chances que les hommes de s’approprier les compétences digitales de base, qui seront pourtant incontournables à l’avenir.
Ces inégalités persistantes doivent constituer un sujet de préoccupation majeur. En effet, pour relever les immenses défis du XXIème siècle – du dérèglement climatique à la disruption technologique – nous avons besoin de la science et de toutes les énergies nécessaires ; et c’est pourquoi le monde ne peut se priver du potentiel de l’intelligence et de la créativité de ces milliers de femmes victimes de la persistance des inégalités et des préjugés. C’est pour toutes ces raisons que l’UNESCO agit au quotidien, pour promouvoir l’égalité des genres, qui a été érigée au rang de priorité transversale de l’Organisation.
En cette Journée internationale des Femmes et des Filles de Science, l’UNESCO appelle la communauté internationale, les États, et chaque individu, à se mobiliser pour que l’égalité, dans le domaine des sciences comme dans d’autres domaines, devienne une réalité. L’humanité a tout à y gagner, la science aussi ».
(1) “I would blush if I could – closing the gender divides in digitital skills through education” rapport UNESCO avec la coopération de la coalition Equal Skills.
Discours principal : « Quelques aspects de la recherche sur l’écart entre les genres en science par les spécialistes de sciences sociales ».
Mme Catherine Jami, mathématicienne de formation, directrice de recherche au CNRS et expert en sciences sociales, a débuté son intervention en soulignant les défis que devaient affronter les femmes souhaitant s’engager dans les domaines des sciences. Une des premières tâches des sciences sociales aujourd’hui est de rendre visible les femmes de sciences.
Pour souligner leur présence au cours des siècles récents, elle en a dressé un tableau, une « généalogie». Si on devait ne citer que quelques mathématiciennes au cours de cette période, ce serait par exemple :
- au XVIIIème siècle : Emilie du Châtelet (1706 – 1749) ;
- au XIXème siècle : Sofia Kovalevskaya (1850 – 1891) ;
- au XXème siècle : Emmy Noether (1882 – 1935) ;
- au XXIème siècle : Maryam Mirzakhavni (1977 – 2017).
La médaille Fields, une des deux plus prestigieuses récompenses en mathématiques, lui a été décernée en 2014. C’était la première fois que la médaille Fields récompensait une femme. Et de citer Firouz Nader, lui-même éminent scientifique, évoquant Maryam Mirzakhavni : « Un génie ? Oui, mais aussi une fille, une mère et une épouse ».
« Il ne doit pas y avoir un fossé des genres qui oppose les femmes aux hommes» a conclu Mme Jami.
Comment mesurer le fossé entre les genres en sciences, et comment le réduire ?
Afin de tenter de répondre à ces préoccupations, une enquête a été conduite entre 2017 et 2019, grâce au soutien financier de l’ISC (Conseil Scientifique International) (2).
De nombreuses organisations scientifiques ont été impliquées, avec une approche globale du sujet, dont les résultats ont été publiés sous le titre « Gender gap in science » (3).
L’enquête porte sur les expériences de professionnels, étayées par plus de 32 000 réponses d’hommes et de femmes. Il ressort de cette étude qu’il existe toujours une différence significative entre les hommes et les femmes dans le domaine des sciences. Un autre travail a consisté à analyser les publications scientifiques. Entre 1970 et 2010, par exemple, on est passé de 10% à 27% de publications scientifiques émanant de femmes. Ce pourcentage recouvre cependant une grande disparité entre les régions du globe et les pays.
Pour faire évoluer la situation des recommandations ont été émises :
- Encourager les familles à soutenir les projets de leurs filles ;
- Encourager les jeunes filles à explorer les carrières scientifiques ;
- Briser les barrières qui empêchent les femmes scientifiques de poursuivre une carrière à long terme dans la recherche ;
- Donner la priorité à l’accès des femmes aux postes de haut niveau et aux postes de direction dans le domaine des sciences ;
- Promouvoir le mentorat et la mise en réseau des jeunes scientifiques pour leur permettre de planifier et de développer des carrières qui répondent à leurs attente.
Des initiatives émanent à présent à tous les niveaux et de toutes les régions du monde. Grâce à ce projet, les femmes de sciences se sont mises en réseau (par exemple, Women in science around the world, sur twitter). Il est aussi rappelé que l’UNESCO publiera un rapport sur les Sciences et le Genre, prévu fin 2020. S’en est suivie une séance de questions / réponses durant laquelle le prix L’Oréal–UNESCO « Pour les Femmes et la Science » a été mis en exergue. Crée en 1998, le prix est remis chaque année à cinq femmes, une de chaque région du monde et il a depuis distingué 107 lauréates dont 3 ont reçu un prix Nobel scientifique (4).
(2) L’ISC (International Science council), organisme non gouvernemental, résulte de la fusion en 2018 des deux grands conseils scientifiques mondiaux : le CIUS – Conseil international pour la science, et le CISS – Conseil international des sciences sociales, tous deux datant de l’après seconde guerre mondiale et proches de l’UNESCO dès l’origine. L’ISC regroupe 40 unions scientifiques internationales et plus de 140 académies et conseils de recherche nationaux et régionaux.
(3) Rapport disponible en ligne.
(4) Jusqu’en 2018 dédié aux sciences de la matière et axé sur la chimie et la physique, le prix a été élargi en 2019 au domaine des mathématiques et des sciences informatique.
Table ronde : « Comment réduire l’écart entre les genres dans les sciences ? »
Modératrice de la table ronde, en introduction, Mme Hackmann, se référant au plan d’action du CSI : « Faire progresser la science en tant que bien public mondial », a souligné la nécessité de modifier les systèmes scientifiques, qui doivent pouvoir s’adapter en permanence à l’évolution des connaissances, de la technologie mais aussi des normes sociétales. Se référant également au projet du CSI intitulé « L’égalité des sexes dans la science : de la sensibilisation à la transformation », Mme Hackmann a également pointé clairement « qu’il était temps de passer des analyses à l’action ».
Quatre intervenants (originaires de chacun des quatre continents) ont tour à tour pris la parole pour partager leur expérience.
Lingadahalli Subrahamanya Shashidhara (Inde) Président, Union internationale des sciences biologiques (UISB).
L. S. Shashidhara est indien, biologiste du développement, généticien et professeur de biologie à l’Institut indien d’éducation et de recherche scientifique. Il prête sa voix à la Journée internationale. « Sans les femmes dans les sciences, nous perdrions la créativité humaine et la capacité que possède la moitié de la population mondiale, qui est si essentielle pour accélérer le progrès de la science et améliorer sa méthodologie et ses applications pour résoudre les problèmes mondiaux », déclare-t-il.
« Il est tout simplement contraire à l’éthique et inefficace de poursuivre les activités scientifiques avec un écart aussi important entre les genres ».
Il faut améliorer la sensibilisation de la société au rôle des femmes de science. Il faut que les femmes de science puissent aller dans les campus parler aux jeunes femmes et jeunes filles. Il faut nommer des femmes dans les conseils d’université, d’entreprise. Il faut que pour une première, fois une femme devienne présidente de l’Académie internationale des sciences.
Dragana Ilic (Serbie), Professeur adjoint, Département d’astronomie, Faculté de Mathématiques, Université de Belgrade, Boursière du programme L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science en Serbie.
« En tant que femme, mère de deux enfants et scientifique, j’ai souvent été confrontée à la critique et à la désapprobation – parfois implicite, parfois explicite », déclare Dragana Ilic.
« Nous devons changer le paradigme et la notion de ce qu’est le rôle d’une femme dans la société. Nous devons briser les stéréotypes. Sans ce changement fondamental dans la société, il ne peut y avoir de changement dans des domaines individuels tels que la science ».
Bien que les changements dans le système soient douloureux et lents, Dragana Ilic souligne l’importance de poursuivre le travail acharné vers l’égalité des sexes dans les postes de direction et de décision.
« Les femmes scientifiques sont les meilleurs modèles pour les filles. Nous pouvons les inspirer pour qu’elles puissent être ce qu’elles veulent et faire ce pour quoi elles sont les plus douées. Nous devons leur montrer que c’est possible et c’est ce qui motivera beaucoup d’entre elles à suivre nos traces et à aller plus loin ».
Vivian Etsiapa Boamah (Ghana), Maître de conférences, Kwame Kkrumah University of Science and technology, Kumasi, Boursière du programme L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science en Afrique Subsaharienne.
En introduction à son intervention, Mme Boamah, fait référence à ce que disait précédemment M. Shashidhara et se réjouit du soutien apporté par des hommes. Spécialiste en biologie moléculaire, enseignante universitaire et directrice du laboratoire de biologie moléculaire de l’université Kwame Kkrumah, elle est la première femme au Ghana à avoir reçu la bourse du programme L’Oréal-UNESCO. Elle témoigne de tout ce que cette reconnaissance et cette bourse lui ont apporté : possibilité d’acheter du matériel pour son laboratoire, de terminer sa thèse de doctorat, de déployer un programme pour des doctorants, de publier ses travaux, de participer à des conférences internationales, tout un ensemble d’expériences concrètes qui « nous mettent sur le devant de la scène ». En retour cela l’a aussi conduit à lancer un programme de conférences pour des jeunes filles sur les sciences et les métiers dans les domaines des sciences.
Gloria Bonder (Argentine), Coordinatrice, Chaire régionale UNESCO « Femmes de Sciences et Technologie en Amérique Latine ».
Mme Bonder souligne d’abord que la réalité de l’Amérique Latine est diverse, complexe et dynamique, en particulier en qui concerne les mouvements de jeunes femmes contre les discriminations. Dans le cas de l’Argentine, 63% de femmes sont diplômées de niveau universitaire mais peu s’engagent dans des carrières dans les domaines scientifiques, en particulier mathématiques, génie, informatique. Il y a en même temps un manque d’hommes en sciences et en informatique.
Les résistances face aux sciences demeurent fortes. Les résultats d’une enquête auprès de 600 000 étudiants sur la vision qu’ils avaient pour leur profession future ont montré que les filles se voyaient : enseignantes, avocates ou sociologues, et les garçons ingénieurs.
Venant de la base et des mouvements de jeunes femmes, étudiantes, universitaires, tel « Act on Gender », la société est appelée avec de plus en plus d’insistance à se transformer pour que soit enfin respectée l’égalité des genres.
Le débat qui a suivi ces quatre interventions a souligné en particulier :
Le sentiment que la situation déséquilibrée actuelle n’est pas un problème quantitatif mais un problème qualitatif, un problème éthique. Il faut que les diversités soient valorisées, et reconnaître la persistance d’un problème que l’on pourrait qualifier comme étant systémique dont la résolution requiert un changement au sein du monde scientifique et plus largement dans l’état d’esprit de la société.
Conclusion de la journée
Prenant la parole, Mme Shalima Nair-Bedouelle, rappelle son parcours : originaire d’Afrique du Sud, née alors qu’existait le régime de l’apartheid, il y avait une objection culturelle de la part de ses parents à ce qu’elle s’oriente vers une carrière scientifique. Elle a néanmoins franchi cette barrière et est titulaire d’un Doctorat en sciences du vivant obtenu à l’Université de Cape Town en Afrique du Sud.
Le domaine des sciences est représenté à l’UNESCO par des Centres de Catégorie 2. Dans tous leurs domaines, le partenariat avec l’ISC est essentiel. Nous devons soutenir l’évolution des mentalités à l’égard des femmes et des filles, favoriser l’ouverture en particulier dans le domaine des sciences, les femmes doivent y être impliquées. Rendez-vous doit être pris dès maintenant pour l’année prochaine pour évaluer ce qui aura été accompli non seulement dans la perspective des ODDs mais plus globalement d’un point de vue éthique à l’égard des femmes et des filles.