Conférence du Père Olivier Bonnewijn organisée par le CCIC
au Centre Sèvres le 18 mai 2015
Les textes bibliques nous invitent au questionnement, avec des fulgurances, des interpellations qui « ouvrent des portes », des chemins où au-delà de la relation des événements, la narration renvoie à un ordre symbolique et sollicite beaucoup l’imaginaire.
Par là, et au-delà des figures ou situations souvent extraordinaires qu’ils retracent, ils nous invitent à « une sorte de va et vient, entre nos propres vies et celles des personnages »(dont il est question). Ils peuvent nous servir de guides dans nos engagements et singulièrement dans la construction de nos liens familiaux.
Même en se limitant à la vie d’Abraham, sujet principal de la Conférence, on voit révélée la richesse de ce qui touche à la famille au travers de la paternité
Dans le long cheminement d’Abraham, d’abord fils soumis à son père, puis époux de Sarah, éprouvé dans une longue attente, comblé ensuite par l’engendrement d’Isaac, pour accéder enfin à la paternité, une paternité rayonnante, c’est l’universel heureux et malheureux qui se manifeste. Car la paternité peut être blessante ou blessée, paisible ou tourmentée, frustrée ou épanouissante.
La présentation a suivi un ordre chronologique, montrant toute une évolution au fil du temps : Abram comme fils, Abram comme père en devenir et Abraham père d’Isaac, en plénitude et ouvert au monde.
Abram est fils de Thérakh (G II ; 26 à 32) et époux de Saraï, . Il vit dans une logique de toute puissance paternelle et n’est pas élevé pour être indépendant. La mort de son cadet et la stérilité de Saraï sont vécues dans la culture ambiante comme une malédiction, car la vie ne se transmet plus. Abram est soumis à l’autorité de son père, il est craintif et soucieux de ne pas déplaire, inconsistant mais aussi révolté en son for intérieur, comme le sera le frère du fils prodigue des évangiles.
Cependant Abram est « père en devenir », il reçoit sans douceur, une injonction de Dieu – « va t’en … »- qui est en même temps comme une promesse laquelle doit l’engendrer à lui-même. Grâce à la parole d’un « autre mystérieux », il va pouvoir prendre ses distances par rapport à Térakh, mais avec cette autonomie il s’engage dans un cheminement difficile car il rompt un lien fort et confortable avec son père. Appliquant ce qu’il a appris de ce dernier, il adoptera d’abord un comportement qui ne saurait souffrir de critique et n’hésitera pas à livrer Saraï à Pharaon afin de sauver sa propre vie, associant le mensonge à la prostitution de sa femme.
Mais Dieu veille, sa promesse est pour un futur plus lointain, il ne satisfait pas tous les désirs d’Abram, tout de suite. Il le laisse vivre, dans l’insécurité, un chemin de conversion des désirs, le menant d’Éros à Agapé. Écoutant Saraï, comme Adam avait écouté Ève, Abram cède à la convoitise et prend l’enfant d’Agar la servante, acte admis par la culture ambiante. Mais « en s’emparant de la vie au lieu de la recevoir, Saraï et lui vivent des rapports d’utilisation et non d’alliance ». Il y a ici quelque chose de douloureux ou choquant, mais Dieu n’abandonne pas et renouvelle son alliance au gré des circonstances et avec bienveillance. Pour le couple, qui aura traversé les épreuves – longue attente, stérilité et accueil de l’enfant d’une autre, il se fait «passeur d’angoisses » au lieu de les supprimer. Ce faisant, il éduque ses élus en respectant leur liberté, sans se substituer à eux .
Arrive alors presque naturellement l’étape où Abram (littéralement « faire valoir du père ») devient par la bouche de Dieu Abraham, qui veut dire « père d’une multitude », ouvert à l’autre. C’est à ce moment là que survient le « pacte de la circoncision ». Pacte que l’on interprète comme l’établissement chez les enfants mâles d’un manque, d’une privation physique qui symboliquement appellera plus tard des engendrements qui ne seront plus « fermés sur eux-mêmes » – comme ce fût encore le cas avec Térakh père tout puissant et égoïste – mais qui, au contraire seront ouverts à l’autre et au tout Autre. Dans le même temps Saraï (« ma princesse à moi ») devient Sarah – littéralement « Princesse », qui n’est plus assujettie à son père, qui devient mère en plénitude, assumant une maternité authentique, comme le père, authentiquement père, capable de sortir de lui même. A partir de là, le couple forme une nouvelle communauté de vie et d’amour, l’homme et la femme étant chacun différent et s’enrichissant l’un et l’autre au travers de leur complémentarité. Tout est prêt pour la grande nouvelle de Mambré.
L’étape décisive pour l’accession à la paternité et à la maternité du couple élu, est évidemment la naissance d’Isaac, l’enfant rire.
A Mambré, avec cette naissance qui remplit d’espérance et de joie, toute l’économie domestique « se bonifie » et s’ouvre à l’étranger. Cette disposition à l’accueil favorisée par l’arrivée de l’enfant permet à Abraham de devenir père en plénitude, ouvert aux autres, oublieux de soi et se donnant aux autres comme on peut se donner à son enfant.
Cependant malgré la promesse datée : « l’an prochain », faite par les envoyés, Abraham et Sarah traversent encore deux crises importantes à Sodome et à Gérar. Elles sont l’occasion pour eux de quitter définitivement l’héritage de Térakh.
Grâce à la naissance d’Isaac, « le rire » envahit le récit biblique. Il se transforme en exultation pour Sarah, alors qu’elle « accueille un souffle nouveau, une expérience de plénitude ». L’impossible s’est réalisé grâce à Dieu et grâce à la réponse de ses élus.
« Avec Isaac, le lecteur a de nouveau accès au jardin d’Eden …Il ré-entend Dieu bénir Adam et Eve, « croissez et multipliez, et remplissez la terre ». La bénédiction et la vie ont refleuri, pour la plus grande joie de « toutes les familles de l’humus », dont nous sommes !
Sil y a tout au long de ces récits beaucoup de surprises et de sinuosités, si aussi tout apparait comme un mélange d’éléments contradictoires – le bien et le mal, la dureté et la douceur, l’attente déçue momentanément et la satisfaction d’une attente etc – c’est finalement le bonheur, la plénitude et la réalisation du plan de Dieu qui finissent par l’emporter.
Réactions de la salle
Les échanges avec l’auditoire ont donné à réfléchir sur les repères qui structurent la famille et ses formes diverses ; un témoignage a rappelé à cet égard la spécificité africaine en même temps qu’était soulignée l’importance de la dimension spirituelle, qu’il faut cultiver comme nous y invite la lecture de la bible.
La question du clonage a été abordée en la situant par rapport à ce qu’évoque la bible, notamment au travers des passages concernant l’expérience de l’engendrement pour Abraham : c’est la notion d’altérité qui est mise en avant, l’engendrement est l’alliance de deux personnes pour donner vie à l’enfant créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Dans cet esprit le clonage apparaît comme une négation de cette valeur qu’on peut bien traduire comme une communion.
Avec la servante d’Abraham qui va enfanter pour Sarah, femme stérile, on peut penser à la GPA, ainsi a été évoquée cette question oh combien délicate qu’il faut savoir traiter avec doigté ; le père Olivier Bonnewijn, sans s’appesantir sur le sujet lui-même, a proposé une démarche pour faciliter le dialogue sur ce genre de thèmes ; l’important est d’avoir un souci d’apaisement : ne jamais porter d’entrée un jugement péremptoire, par exemple en condamnant radicalement ; il faut aussi être capable de positiver les échanges avec l’autre, en intégrant pleinement le contexte, en valorisant les valeurs de l’écoute, de la générosité et de la solidarité ; enfin, avec cet état d’esprit, passé le temps d’un échange apaisé, chacun doit pouvoir prendre position et savoir l’exprimer en toute sérénité, comme ressortant de son intime conviction et se suffisant ainsi à elle-même.
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