Le 2 décembre a vu la première célébration de la journée mondiale des futurs, un évènement dont le principe proposé par les Emirats Arabes Unis a été adopté lors de la dernière Conférence Générale. En séance plénière, après les discours introductifs, un échange en table ronde a porté sur le rôle des démarches prospectives pour bâtir un avenir meilleur, puis au cours de deux sessions parallèles ont été traités respectivement les thèmes du futur à imaginer au regard de la priorité Afrique (1) et des préoccupations de la jeunesse(2)  par rapport au développement durable.

On restitue ci-après les éléments qui ont le plus retenu notre attention au cours de la séance plénière et du panel portant sur l’Afrique.

I La séance plénière : la Prospective comme outil pour bâtir un avenir meilleur

-Propos introductifs

Outre la Directrice Générale Adjointe du secteur Sciences Sociales et Humaines, Madame Gabriela Ramos, se sont exprimés l’ambassadeur délégué et, en vidéo, le Ministre d’Etat pour le développement et le futur des Emirats Arabes Unis, un état qui attache un grand prix à la promotion des démarches prospectives pour la conduite de ses actions et qui a beaucoup appuyé l’Unesco dans le développement de son activité « literacy of futures ».

Ils ont souligné toute l’importance de ces démarches prospectives pour faire face à des défis dont l’ampleur et la gravité appellent à les conduire systématiquement, avec des analyses rigoureuses quant aux risques encourus en ayant le souci de la précision et de la mesure, mesure des risques et des impacts si on ne fait rien, mesure des attentes. Il doit s’agir de mobiliser le plus grand nombre sur une grande échelle, pour imaginer un avenir meilleur, lato sensu, et des transformations qui peuvent être radicales, en considérant pleinement certaines valeurs essentielles : l’inclusion et notamment la prise en compte de l’intergénérationnel, le développement durable, la tolérance, appliquées à de nombreux domaines, très concrètement

Deux autres interventions, celles du directeur de « la Fondation du Futur » de Dubai et celle d’une universitaire d’Afrique de Sud ont développé plusieurs idées allant dans le même sens en insistant sur la nécessité d’être pro-actif, rigoureux dans la structuration des réflexions avec l’élaboration d’une variété de scénarios qui intègrent la dimension de temps long et qui « parlent aux gens »,  avec des narratifs qui « émeuvent », qui soient vraiment inspirants et issus de réflexions novatrices, nourries plus par l’imaginaire et l’esprit créatif que par de simples extrapolations du passé.

Il est aussi indispensable de donner du sens aux propositions à élaborer, une idée qui a été reprise lors de la discussion qui a suivi en table ronde.

-la Table-ronde

Six intervenants ont développé leurs propos autour de leurs expériences de la prospective au sein de leurs institutions ( Pouvoirs Publics, ONU, Chaire Unesco, Unicef, PNUD, Laboratoire ONU)

Un représentant de l’Arabie Saoudite, très engagé dans les transformations menées dans son pays, a surtout témoigné des succès d’une démarche assez visionnaire qui très tôt a intégré la dimension du numérique dans les politiques menées, avec pour résultat une appropriation généralisée de ce mode de fonctionnement, « un gouvernement numérique » .

Un représentant de l’ONU a évoqué les réalisations menées par l’institution depuis plusieurs années sous l’impulsion de son Secrétaire Général qui est à l’origine de toute une organisation en réseau  ayant pour objet la conduite de réflexions prospectives, avec des laboratoires centrés sur l’innovation et l’analyse du changement ( centres de recherche fédérés dans le cadre du réseau ONU PULSE par exemple) . A été aussi mentionnée l’existence auprès de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) d’une école des futurs. Autant d’organismes qui concourent à diffuser un sens de l’anticipation et à alimenter une pensée sur les grandes tendances dans le monde à partir de données (les data) que peuvent collecter et traiter ces laboratoires.

Une collaboratrice de l’UNICEF a naturellement mis en exergue les jeunes ; leur apport ne peut qu’enrichir toute réflexion pour l’avenir, grâce à leur esprit créatif, leur imagination. L’intervenante témoigne de leur conscience des vrais sujets, de l’enthousiasme dont ils peuvent faire preuve dans les discussions dès lors qu’elles sont bien organisées. En prenant soin de bien leur expliquer préalablement ce qu’est une démarche « prospective », les jeunes peuvent pleinement apporter leur contribution, tout particulièrement lorsqu’on organise avec eux des dialogues avec les « sachants ».

Une Directrice adjointe du Programme des Nations Unies pour le Développement a donné quelques conseils pour avoir une réflexion prospective « efficace » en termes de retombées et de sens : de l’importance de la Vision (les objectifs, la trajectoire) et de l’Horizon : la prospective vise à se projeter dans la durée. En termes de méthode, il faut partir d’une analyse existante qui permette de bien identifier les lacunes à combler, et pour ce faire, cette analyse doit être consensuelle et pluraliste (diversité des parties prenantes). C’est à ce prix que peuvent être arrêtés les bons choix d’investissement ou autres : la prospective est là pour éclairer les décideurs.

Le directeur d’une chaire Unesco dédiée à l’étude des futurs a expliqué l’utilité des réflexions prospectives pour toutes institutions : en réduisant les incertitudes, elles leur assurent de meilleures conditions de fonctionnement ; cela étant dit, il faut savoir réussir l’exercice particulier que représente l’élaboration d’une « pensée anticipatrice ». Ce n’est pas lire dans une boule de cristal, l’exercice peut être délicat car des tensions peuvent se produire avec une diversité des opinions ; de l’importance alors à accorder à la façon d’organiser les dialogues avec les parties prenantes : il faut travailler avec soin la question de la (bonne) participation, en évitant de confisquer le débat au bénéfice des seuls experts.

-Autres idées émises lors des échanges

. Trois éléments moteurs pour réussir à mener une démarche prospective : le numérique, les idées et l’innovation, les coopérations

. La conscience du temps : un temps qui passe vite appelle sur des sujets importants à ne pas tarder, sur ces sujets des enjeux forts peuvent faire ressortir l’urgence à les traiter sans délai comme l’a dit le SG de l’ONU lors de son Assemblée annuelle en septembre.

. Exemples donnés de pays qui ont fortement mobilisé les outils et méthodes de l’analyse prospective pour construire leurs stratégies de développement à très long terme (Macédoine du Nord, Nigéria

. Ne pas réduire les exercices prospectifs à des travaux académiques

. outre la question du sens, le sens des responsabilité doit présider à la conception de toute réflexion prospective ainsi qu’un réel engagement, « il faut y croire ».

  • Conclusion

On pourrait regretter de n’avoir pas eu de développements sur les aspects très concrets de ces démarches, mais en deux heures il ne pouvait en être autrement.

A certains égards, les propositions émises rejoignent ce qui peut se pratiquer en entreprise, avec néanmoins des spécificités qui tiennent au fait qu’il s’agit ici avant tout de traiter de questions concernant les Etats (administrations et gouvernements) et les politiques publiques.

Enfin, si l’on a bien insisté sur la nécessité d’associer tous les acteurs, on n’a pas vraiment indiqué de quels acteurs il pouvait s’agir ; à part les jeunes et les personnes laissées pour compte, on a parlé d’implication des populations, terme très générique, et pas une fois n’a été mentionné le concours possible de la société civile ou des ONG ;

II La séance parallèle : Priorité Afrique, imaginer les avenirs possibles

Session introduite par la titulaire de la chaire Unesco sur les futurs de la transformation en Afrique localisée en Afrique du Sud. Le propos développé par cette philosophe a donné lieu à toute une série d’observations qui ont été autant de conseils pour réussir à mener de bonnes réflexions prospectives sur le continent africain ; on aura ainsi retenu les recommandations suivantes : prendre appui sur les leçons d’expériences pratiques, ne pas s’enfermer dans un univers de statistiques et des méthodes excessivement structurées qui cultiveraient trop l’abstraction. L’important est de promouvoir un processus bien ancré dans les réalités avec une bonne prise en compte des contextes et de la diversité qui caractérise les sociétés africaines. Il faut compter sur des démarches vivantes, nourries du partage des vécus de ceux qui s’y trouvent associés, conduites en souplesse, influencées par le jeu des interactions et donnant toute sa place à l’imaginaire. Cet état d’esprit ne dispense pas de faire preuve de rigueur, il y a simplement à rendre très présente dans les exercices de prospective la dimension de l’humain, en misant sur des co-constructions menées rigoureusement, de façon responsable avec de bons jugements, éclairés par les lumières de l’intelligence émotionnelle et/ou collective .Comme autres éléments de réflexions à considérer  lorsqu’on cherche à se projeter dans l’avenir pour l’Afrique, il a été fait allusion au bien fondé de l’intégration de l’art et du sport, à la nécessité de ne pas importer une vision du monde extérieure à celle qu’ont les africains pour ce qui est de leur conception de l’humain et de la prospérité. Sur les grandes thématiques à traiter (durabilité, résilience, l’organisation des liens), l’important est d’avoir alors un regard neuf sur l’avenir, en se détachant des modèles encore marqués des signes de l’époque coloniale.

Une discussion en panel a amené l’intervention de deux universitaires marocains et d’un autre de la Côte d’Ivoire, responsable d’une chaire Unesco, ainsi que de deux représentants de l’Unesco (le responsable de la section des partenariats, la personne en charge des analyses et de la prospective pour la priorité Afrique).

On aura retenu principalement les idées suivantes :

-s’agissant des nouvelles technologies, question qu’il faut pleinement traiter pour un meilleur avenir, veiller à ce qu’elles ne posent pas de problème pour les personnes et les cultures locales ou ne créent pas de nouvelles discriminations.

deux dimensions à ne jamais perdre de vue : les jeunes qui, a-t-on rappelé, sont majoritaires en Afrique ( le  thème  ici aussi évoqué à plusieurs reprises) et l’éthique (une dimension qui aide à mieux traiter les sujets soumis à la réflexion)

-aussi bien au Maroc qu’en Côte d’Ivoire, il est fait remarquer que les études et préoccupations se rapportant à la futurologie sont déjà bien ancrées dans ces deux pays (exemple : modules spécialisés à l’université, chaires Unesco, Laboratoires de recherche et une démarche-projet intéressant bon nombre de pays africains : IAF- Imagine African Future)

-des messages donnés par chaque intervenant en conclusion de l’échange on aura relevé quelques idées fortes : miser sur des collaborations panafricaines, mais pas seulement ; ne pas céder à la dictature de l’urgence ; faire preuve de solidarité ; soigner et promouvoir le patrimoine africain (physique et immatériel), ne pas craindre d’affronter les risques (rappel à ce sujet d’une idée ancienne énoncée par un sage : « préparez-vous, voyez le risque avant son arrivée, quand il se matérialisera vous pourrez le maitriser » ), « penser à l’Humain pour une Afrique prospère »