La Technologie Blockchain
« Perspectives et Usages »

UNESCO le 17 mai 2019


L’événement était organisé sous l’égide de l’UNESCO et de la chaire UNESCO ITEN (Innovation, Transmission, Edition, Numérique) dépendante de la Maison des Droits de l’Homme et Paris VIII.


Au travers d’une dizaine de panels, 42 intervenants aux profils très variés (universitaires, chercheurs, promoteurs de startups, éducateurs, juristes etc) ont permis de traiter les nombreuses problématiques se rattachant à une technologie relativement jeune (elle date du début des années 2000) et en plein essor. Les applications développées au travers de l’outil « blockchain » vont prendre toute leur part aux transformations majeures en train de s’opérer partout par le biais des TIC.


Tous les domaines couverts par l’UNESCO pourront dans les prochaines années être concernés par une technologie qui, par certains côtés, peut être qualifiée de révolutionnaire en ce qu’elle remet en cause les systèmes hypercentralisés (banques, ou systèmes des GAFA par exemple) et peut rendre crédibles des modèles sécurisés d’échange de données « peer » to « peer » ou « point » à « point ». Il y a là tout à la fois une certaine remise en cause des structures de pouvoir et un potentiel pour acclimater des systèmes d’informations plus inclusifs et moins intrusifs.


Quelques Considérations techniques

Les deux éléments essentiels de cette nouvelle approche TIC sont l’exploitation d’un mode de traitement par blocs chaînés pleinement sécurisés (via l’encryptage) qui in fine permet une diffusion performante de registres (répertoires) de données relatives à des transactions bilatérales constamment mis à jour et accessibles à tous ceux qui concourent à leur alimentation sans divulgation de leurs données et identifiants personnels.

On a donc affaire à une nouvelle conception organisationnelle fondamentalement décentralisée, où les utilisateurs apparaissent bien protégés, informés ET maîtres de leurs données. Les participants aux systèmes fonctionnant en mode blockchain (simples utilisateurs, contributeurs, authentificateurs) préservent ainsi une plus grande indépendance que dans les deux autres grands modes d’organisation à savoir les systèmes d’information hypercentralisés (mainframes) ou les systèmes moyennement centralisés avec une architecture distribuée de serveurs.

L’un des avantages avancés par les promoteurs de l’outil tient à la sécurité élevée obtenue par le cryptage, technique qui n’est pas nouvelle, mais dont l’application en l’espèce (avec combinaison de clefs publiques et privées et déchiffrement d’équations par acteurs participant aux réseaux des membres des communautés applicatives spécialisées) est, elle, radicalement nouvelle. C’est le phénomène Bitcoin, système de paiement sécurisé permettant des paiements en dehors des banques, qui illustre sans doute le mieux cette caractéristique « sécurité » du système.

L’autre caractéristique mise en valeur, tient à l’esprit dans lequel la technique« blockchain » se développe. S’agissant d’une technique « inventée » par des informaticiens fondamentalement « libéraux » (libertaires), beaucoup de ce qui se crée (code) via cette technique s’opère « en open source », c’est-à-dire avec, de la part de ceux qui participent à la rédaction des programmes, une renonciation à leur droit de propriété, ou dit autrement une ouverture au partage des codes.

Un dernier point est à souligner, concernant les « objets » qui sont typiquement traités dans les blockchains et qui expliquent le succès grandissant de cette technique : il s’agit de la gestion 1/ de « smart contracts » (tels par exemple les actes authentiques), 2/ des « tokens » ou jetons (qui sont un moyen utilisé soit pour assurer tout type d’échange soit pour permettre de comptabiliser des votes dans le cadre de systèmes participatifs avec l’exercice de votes), 3/ du suivi du statut des opérations dans le cadre d’un processus ou d’une chaîne de valeurs (par exemple pour la gestion d’une logistique).

Si les interventions des experts ont été très pédagogiques, bien évidemment elles ne sont pas entrées dans les détails du « comment ça marche ».


Cas d’usage

De nombreux exemples ont été donnés qui montrent l’éventail très large des applications possibles, avec semble-t-il, de réelles retombées dont certaines parfois surprenantes.

certaines des innovations ont été rappelées, qui avaient retenu l’attention de NETEXPLO comme par exemple en 2018 la mise en place, via la technique blockchain d’un système d’information en Afrique du Sud permettant à des pêcheurs d’interagir avec un réseau de restaurateurs pour opérer des transactions, ou l’organisation d’un cadastre au GHANA.

On aura noté un intéressant projet encore en développement et présenté par son initiateur : il traite des questions éducatives. Son objet plus précisément est de fournir à une équipe enseignante d’école primaire de Seine Saint Denis un outil permettant de mieux mobiliser des élèves venant de milieux très hétérogènes et dont les niveaux ou rythmes de travail sont très différents. Les concepteurs montrent les nombreux usages que l’on peut faire de la technique blockchain au bénéfice des élèves d’une classe : décentralisation, interaction point à point, transparence des informations, autoévaluation, notation avec des jetons qui donnent lieu à la constitution d’un capital-points, possibilité de partage, de suivis individualisés. De l’avis des participants au projet, les tests effectués auprès des élèves sont très concluants (déclenchement d’une dynamique positive).

Concernant l’éducation, la blockchain peut plus généralement faire valoir son potentiel au service de la Science ouverte que l’UNESCO ne cesse d’encourager (accès intelligent et interactif du plus grand nombre à des bases de connaissances notamment).

La protection des données bien assurée et la souplesse d’usage permettent de créer des communautés de chercheurs qui ne peuvent qu’apprécier deux éléments : l’authentification des documents (de recherche ici) et l’identification sécurisée des personnes, avec des échanges interactifs.

Même observation formulée, quant à l’usage « blockchain » par les journalistes qui peuvent ainsi protéger leurs sources et éviter les risques de censure.

Une expérience blockchain nous a été décrite par un représentant d’ENEDIS concernant l’énergie, avec une application appelée à suivre toutes les composantes touchant l’auto-consommation d’électricité produite par un immeuble collectif équipé de panneaux solaires (production, consommations, interactions avec le réseau et facturations).

Plusieurs cas nous ont été présentés qui se rapportent au monde de l’art et de la culture.

Une application se rapportant à la gestion des droits d’auteur (permettant de bien organiser notamment la rétribution des royalties) ou une autre dédiée à la diffusion sur une grande échelle et par abonnements de vidéos de spectacles de l’art vivant.

Deux autres expériences – très originales – ont été rapportées par leurs promoteurs ; dans les deux cas, les applications « blockchain »permettent à des artistes ou artisans de travailler collectivement pour créer des œuvres. En l’occurrence, on nous a montré comment pouvaient ainsi s’élaborer des morceaux de musique ou des vêtements (haute couture ou prêt à porter)… A défaut de bien comprendre la façon de fonctionner l’ensemble, la présentation sur écran et avec le son qui nous a été donnée aura révélé des réalisations aussi inattendues que remarquables.

A relever aussi, la contribution que peut apporter la blockchain au fonctionnement de la démocratie avec l’utilisation de cette technique numérique pour organiser des votes.

Du point de vue de la Cité, peut être de façon discutable, on fait état d’une expérience permettant de discipliner les comportements sociaux (au bon sens du terme, mais avec peut être un peu trop d’intrusion) : en l’occurrence, il s’agit de récompenser les personnes repérées comme à l’origine d’actions bonnes pour la société (exemple :récupération et mise en poubelle de déchets laissés dans la rue donnant lieu à récompenses).


Quelques éléments d’appréciation

Cette conférence a permis de dégager une impression d’ensemble positive à propos d’une innovation qui semble promise à un bel avenir, mais, comme dans bien d’autres domaines impactés par des « révolutions disruptives », on aura tout de même aussi pu relever certaines observations qui doivent inciter à faire preuve d’une certaine prudence quant aux applications.

Plusieurs intervenants font observer qu’on est certes en phase ascendante mais qu’on est encore loin d’avoir atteint la maturité, même si le succès de certains systèmes est indéniable.

Une crainte a été exprimée quant aux risques de fractures ou d’inégalité ; la Présidente du programme PIPT (programme d’information pour tous PIPT), Mme GORDON a de ce point de vue appelé à la vigilance : pensant notamment aux possibles projets concernant l’Afrique, elle invite à ne pas se laisser attirer par des propositions qui pourraient être excessivement coûteuses au regard des besoins et/ou que l’on adopterait sans en bien comprendre la composante technique.

Pour bien juger de la validité des Projets ayant recours à la blockchain, il importe de les passer au crible de six critères qui sont loin d’être toujours bien respectés : accès ouvert, compréhension, bonne implication de tous les acteurs, bonne protection des données et respect de principes éthiques.

Les questions touchant à l’éthique ou aux aspects juridiques et réglementaires n’ont pas été approfondies, mais ont été évoquées. Il apparaît dans certains cas qu’elles posent problème, notamment lorsqu’il y a une utilisation dépassant le domaine national, ce qui est souvent le cas, la blockchain comme beaucoup de TIC étant souvent des systèmes globaux, ouverts. Pour les applications touchant les opérations monétaires, la sécurité des systèmes peut soulever des problèmes au regard du suivi des transactions au regard des réglementations anti-blanchiment.

La principale conséquence de ces nouveaux systèmes est de remettre en cause les systèmes d’intermédiation et singulièrement les organisations bancaires. En principe, ce nouveau mode de fonctionnement qui fait disparaître la notion de tiers de confiance sans altérer le niveau de confiance des utilisateurs est robuste, mais cela doit être parfaitement assuré, ce qui nécessite, surtout pour les applications traitant de données sensibles et hautement confidentielles, une très grande attention portée aux aspects sécuritaires (protection des données personnelles, in-falsification des données etc).

S’agissant d’une innovation pouvant produire de multiples effets, on retient que tout n’est pas encore parfaitement au point. Aussi bien, au dire d’un des intervenants expert, il importe de bien vérifier préalablement à toute mise en place d’applications blockchain les implications de ces dispositifs, techniquement et bien au-delà des considérations techniques.

Il y va de la confiance à assurer dans ce nouvel outil qui, à ce prix, rendra d’excellents services. Avec ce même souci de robustesse applicative, lors des travaux préalables aux mises en production comme en phase d’exploitation, il est aussi très important de pouvoir compter avec une bonne gouvernance de ces systèmes qui, pour être souvent performants, revêtent une certaine complexité et comportent forcément des risques. Vérifier préalablement toutes les implications de ces processus et en garder la maîtrise amènent à ne pas perdre de vue qu’il s’agit de moyens au service de l’Humain : comme pour l’Intelligence Artificielle, à propos de la blockchain on doit avoir une approche humaniste.