Des enquêtes récentes ont montré que malgré les efforts déployés pour promouvoir une éducation intégrale de la Shoah, la connaissance historique est en déclin aux Etats-Unis et en Europe tandis que la désinformation à ce sujet est en hausse. Pour marquer l’anniversaire du pogrom de novembre 1938, l’UNESCO et le Programme de communication sur l’Holocauste et les Nations Unies ont organisé une discussion en ligne afin d’examiner les implications des enquêtes récentes sur l’enseignement de la Shoah et les réponses possibles aux défis qu’elles soulèvent.

Les discussions sur l’enseignement de la Shoah se centrent généralement sur trois questions principales : à quelle fin faut-il l’enseigner, que faut-il enseigner et comment l’enseigner ?

A quelle fin enseigner la Shoah ?

La connaissance, l’information et l’éducation sont au fondement de toute lutte contre l’antisémitisme, le négationnisme, les discours de haine, de racisme et d’intolérance qui n’ont cessé de se déployer au cours des dernières décennies et en particulier dans les réseaux sociaux.

Comprendre comment et pourquoi l’Holocauste a pu se produire peut éclairer de manière plus générale sur ce phénomène qu’est la violence de masse dans le monde, et montrer combien il importe de promouvoir les droits de l’homme, l’éthique et l’engagement civique pour consolider la solidarité humaine aux niveaux local, national et mondial. L’examen de la persécution et du massacre systématiques des Juifs d’Europe amène à s’interroger sur le comportement de l’être humain et sur notre propension à rechercher des boucs émissaires ou à nous contenter de réponses simplistes à des problèmes complexes, face à d’épineuses difficultés sociales. L’Holocauste illustre les dangers des préjugés, de la discrimination, de l’antisémitisme et de la déshumanisation en l’absence de tout frein. Il est aussi révélateur de la gamme complète des réactions humaines, suscitant ainsi d’importants questionnements sur les motivations et les pressions sociales et individuelles qui poussent l’être humain à agir de telle ou telle façon – ou à s’abstenir de toute intervention.

Il existe de multiples raisons de traiter de l’Holocauste dans le cadre de l’enseignement. Œuvrer à la prévention de futurs génocides, par exemple, suppose que l’on en comprenne la genèse, y compris les signes précurseurs et les comportements humains qui rendent possibles les génocides et les crimes de masse. Bien avant de devenir un génocide, l’Holocauste a commencé par des abus de pouvoir et ce que l’on appellerait aujourd’hui de graves violations des droits de l’homme. Si, le plus souvent, les atteintes aux droits de l’homme ne débouchent pas sur un génocide, l’Holocauste est un cas particulier qu’il importe d’étudier sous cet angle. De plus, l’Holocauste, les génocides et les crimes de masse sont des exemples du poids que peuvent continuer d’avoir sur le présent les événements du passé.

Que faut-il enseigner ?

Il est essentiel de donner aux élèves des outils qui leur permettent de comprendre par une enquête critique le mécanisme des violations des droits de l’homme, de façon qu’ils puissent s’opposer à l’avenir à de telles transgressions. L’analyse des circonstances dans lesquelles l’Holocauste s’est produit leur offre de multiples occasions de réfléchir à leur propre rôle en tant que citoyens du monde. Les possibilités d’articuler l’enseignement de l’Holocauste avec les objectifs de l’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM) sont donc également nombreuses. L’ECM est un pilier de l’Agenda et du Cadre d’action Éducation 2030, notamment la cible 4.7, relative à l’éducation aux Objectifs de développement durable, qui vise à faire en sorte que les élèves soient informés et capables d’esprit critique, socialement connectés, respectueux de la diversité et responsables et engagés sur le plan éthique.

Comment l’enseigner ?

Au cours des précédentes décennies, l’enseignement de la Shoah a été reçu par l’ensemble des élèves sans réactions critiques comme faisant partie intégrante de l’enseignement de l’histoire ou des cours d’éducation civique. Pour plusieurs raisons (éloignement dans le temps, dans l’espace, changements sociaux) le sujet est devenu aujourd’hui ou non pertinent (Amérique Latine) ou particulièrement sensible pouvant dans ce cas et dans certaines écoles aller jusqu’à l’impossibilité de l’enseigner.1

Il importe donc que les enseignants, avant d’enseigner la Shoah, reçoivent une formation solide sur toutes les facettes complexe de ce drame : quels en sont les sources (préjugés et racisme, ce qui est arrivé aux juifs avant la Shoah), les facteurs (collusion, corruption, collaboration, répression) et tout particulièrement la responsabilité des acteurs : les pouvoirs publics et la dictature nazi mais aussi la responsabilité des gens ordinaires (la démocratie est fragile, le silence contribue à l’oppression), le rôle de la propagande : tout un ensemble d’éléments dont la conjugaison a fait de la Shoah un drame singulier qui ne peut être vu comme une simple variante de ce que sont les génocides et qui doit être ainsi enseigné comme tel avec toute ses spécificités et sa gravité, mais qui est aussi une criante illustration de toutes les dérives qui peuvent miner des sociétés toutes entières ; cette double dimension à donner aux enseignements portant sur l’Holocauste appelle ainsi à articuler à bon escient un aspect historique tout à fait important avec une réflexion plus globale touchant les valeurs universelles ce qui appelle à aborder par ce biais des thèmes essentiels comme par exemple ceux de la tolérance, du racisme, de la violence et du respect des autres.

L’enseignement devra évidemment être différencié selon les contextes, le niveau et l’âge des élèves auxquels il s’adresse, les spécificités régionales (culturelles, historiques, ou actuelles). Au niveau universitaire il est apparu que les cours étaient suivis plus assidument s’ils étaient facultatifs. Les recherches suggèrent aussi un lien entre les attitudes positives des étudiants envers les droits de l’homme et l’activisme et leur exposition à l’enseignement de la Shoah. Plus l’enseignement pourra être basé sur des faits précis et personnalisés mieux il sera reçu, de l’importance ici des témoignages.

1 Dans une interview récente, Elisabeth Badinter soulignait que dans certaines classes, en France, il est impossible d’enseigner la Shoah (11/11/2020, « La Grande Librairie »).

L’impact des enseignements : évaluation et méthode

Il n’est pas facile de mesurer l’impact des enseignements de la Shoah sur les élèves. Des enquêtes menées montrent néanmoins une certaine influence positive, comme par exemple porter une plus grande attention aux autres. Sur cette question de l’impact on a relevé deux éléments qui paraissent pouvoir favoriser une bonne retombée de ces enseignements : privilégier des sessions sous forme de « conversations » (échanges interactifs, questionnement par rapport aux situations actuelles etc) et appeler les apprenants à « se projeter » au regard des leçons que l’on peut tirer de ce que furent ces agressions contre l’Humanité.

Les Enseignants face aux difficultés

Particulièrement de nos jours, le thème de l’Holocauste ou de la Shoah apparait délicat à enseigner. Ici, on le rappelle avec insistance, le rôle de l’enseignant est de toute première importance. Les professeurs appelés à traiter d’un sujet aussi complexe doivent être préparés, disposer de moyens suffisants (matériaux pédagogiques, lignes directrices, méthodes appropriées) pour pouvoir s’engager en toute sérénité dans des contextes qui ne sont pas forcément toujours favorables. Il est important à cet égard de voir les enseignants bien accompagnés, soutenus face à d’éventuelles pressions, et cela passe notamment par des démarches d’entraide et de collaboration. Un intervenant fait allusion tout particulièrement à certaines difficultés que peuvent provoquer, entretenir ou accentuer l’internet et les réseaux sociaux : discours de haine, idées préconçues et/ou tendancieuses etc.

En forme de conclusion, une citation du préambule d’Audrey Azouley, Directrice générale de l’UNESCO, lors de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, le 25 janvier 2018, sur le thème « Mémoire et enseignement de l’Holocauste : notre responsabilité partagée » :

« Nous avons tous un rôle à jouer – acteurs politiques, experts, historiens, artistes, communauté éducative, citoyens. Nous pouvons armer les consciences contre l’oubli, le déni, le négationnisme, la relativisation des crimes et le retour de stéréotypes qui alimentent la haine. Nous pouvons opposer à la manipulation des faits un discours de vérité. La lutte contre l’antisémitisme quelles que soient ses formes, est au cœur de ce combat. »