Quatre contributions pour évoquer une question sensible en ces temps de crise sanitaire : la dimension sociale, et plus particulièrement celle qui touche les population les plus vulnérables.
Cet échange en ligne – présentation par les intervenants et questions – fait partie du programme des multiples initiatives prises par l’UNESCO (Département des Sciences Humaines et Sociales/Section « Inclusion et Droits ») face à la Crise mondiale que provoque la pandémie Covid-19.
Contribution d’une Universitaire-Historienne-Sociologue (Université de Bourgogne et de la Sorbonne) : Mme Carole Reynaud-Paligot
Approche historique, éléments d’actualité :
Les Crises, singulièrement celles que génèrent les pandémies, produisent toujours de l’exclusion, sous différentes formes, (ostracisme, racisme, stigmatisation etc) mais, à ce sujet, celles du Covid-19 met en exergue deux sujets, relativement nouveaux et préoccupants (politique et médiatique)
De tous temps, les Crises ont généré de la peur et de l’angoisse amenant les populations à s’emparer de fausses nouvelles ou à dénoncer des bouc-émissaires ou de faux coupables. Le nazisme ou l’apartheid sont deux illustrations de ce phénomène sur la période récente ; le suivi de la pandémie Covid-19 amène à avoir une lecture plus large et à chercher du côté des acteurs qui instrumentalisent cette crise délibérément ou non : le virus est ainsi instrumentalisé par certaines élites politiques (voir le Président TRUMP) pour servir des enjeux de puissance (les États-Unis face aux chinois dans le cas américain) ou encore il donne lieu à des traitements médiatiques tendancieux : couverture de la situation des quartiers dits sensibles donnant à penser qu’ici le confinement n’est pas respecté (ce qui n’était pas forcément conforme à la vérité) sans aller plus loin, ce qui vient conforter l’image de banlieues sensibles, avec des populations mal intégrées.
Contribution du responsable du Bureau de l’intégration de la Ville de Lausanne : M Bashkin Iseni
Les grandes collectivités locales sont en première ligne pour lutter contre l’exclusion, la ville de Lausanne en donne un bon exemple dans les circonstances présentes avec les actions qu’elle mène au service des populations les plus vulnérables et partant les plus exposées au risque « Covid-19 » : les migrants, les femmes, les personnes âgées, les sans-abris etc.
Les priorités ont été revues, les actions réorientées, des moyens importants ont été mis en œuvre (efforts en matière de logement, de suivi sanitaire, d’accompagnement psychologique ou informationnel, notamment à destination des étrangers (43% de la population de Lausanne) avec, par exemple la traduction de textes administratifs et l’explication des décisions. Des permanences et hot-lines ont été mises en place. A souligner le rôle de la société civile avec laquelle des coopérations précieuses ont été mises en place.
S’agissant des migrants, le Bureau les aide à trouver des emplois et des formations en liaison avec le monde des entreprises au bénéfice d’une population particulièrement démunie.
Contribution d’un représentant de l’Institut international pour les Droits de l’Homme et pour la Paix (localisé à Caen) : M Jonas Pochet
Cet institut est tourné vers la sensibilisation et l’éducation des populations – principalement des jeunes – sur des thèmes Droits de l’Homme et Paix que la Crise du Covid-19 rend particulièrement pertinents tant sont présentes dans ce contexte des situations d’exclusion, les rejets de l’autre ou la violence (raciste, familiale, physique ou virtuelle au travers des réseaux sociaux).
Concrètement, sur la période récente, ont été menées les actions suivantes :
- une master-class au bénéfice d’une centaine de jeunes lycéens sur le thème de l’inclusion dans le contexte de la pandémie ;
- un atelier de réflexion pour une dizaine de jeunes filles, sur les méfaits des réseaux sociaux, notamment les discours de haine ou la propagation de fake news ;
- l’engagement d’un projet avec l’association « Agir contre l’exclusion en Normandie » qui travaille avec des entreprises sur le thème : « renforcer la confiance dans le numérique » ;
- au-delà des actions éducatives, l’institut apporte des contributions de nature à aider les populations précaires (les jeunes de milieux défavorisés victimes de la fermeture des écoles, les demandeurs d’asile laissés dans l’errance du fait de la fermeture des administrations qui délivrent les autorisations nécessaires pour bénéficier de prestations sociales.(action en justice pour obtenir l’ouverture de ces guichets).
Clairement cette crise accroît la vulnérabilité des populations les plus vulnérables ce qui et justifie l’engagement des actions que l’on vient d’évoquer.
La question de l’utilisation des outils numérique est importante, elle est préoccupante en ce que les personnes les plus vulnérables sont aussi celles qui en sont le moins équipées, mais, d’un point de vue plus restreint – dans la mesure où il concerne l’institut dans son fonctionnement- on peut en mesurer ici aussi toute l’importance : la crise Covid19 a eu pour effet d’accélérer la réalisation de projets de passage au numérique sous l’empire de la nécessité et de permettre ainsi de puissamment soutenir les actions engagées.
Contribution de la Présidente de la communauté urbaine de Nouakchott et chef de file de l’Coalition des villes arabes contre le Racisme : Mme Abdel Malik
Nous a été relatée l’expérience d’un Pays -La Mauritanie-qui s’est engagé pleinement et préventivement pour servir sa population, et, en priorité, les groupes les plus marginalisés. Sans avoir un niveau d’équipement hospitalier aussi sophistiqué et important que les pays européens, la Mauritanie parvient à contenir le développement de la pandémie. De nombreuses actions avaient été déjà menées préventivement ce qui explique à bien des égards une situation relativement satisfaisante. Par ailleurs, des politiques actives ont été menées sans tarder dès les premiers signes, qu’il s’agisse de communication ou de sensibilisation des populations, d’assistance aux personnes les plus vulnérables exposées aux effets du confinement qui a été décrété (aides alimentaires, dédommagement) et des initiatives prises avec un fort engagement des pouvoirs publics dans le domaine sanitaire ou médical (port de masques, tests, quarantaine des porteurs de virus, contrôle des voyageurs venant de l’étranger). Les écoles, marchés, frontières ont été fermées.
Conscient des déficiences en matière d’accès à l’internet, le gouvernement a privilégié les enseignements à distance au travers de la Télévision et de la Radio.
Toutes les mesures prises l’ont été de façon indifférenciée, notamment les aides (financières ou alimentaires) qui ont été appliquées sans discrimination, sans exclure les populations immigrées, sachant que la culture africaine a une tradition d’accueil de l’étranger.
Quelques éléments à retenir des questions posées à la suite de chaque intervention
A propos du cas mauritanien, on doit insister sur deux choses très représentatives de la culture africaine : beaucoup d’entraide et de solidarité.
La question de l’internet (les accès) est un sujet qui est revenu à plusieurs reprises : notamment en Afrique mais pas seulement, elle pénalise lourdement les personnes marginalisées.
Une grande préoccupation avec le confinement est d’ordre psychologique : il s’agit de traiter de situations de détresse, d’isolement. La mise en place de permanences ou hot-lines (24/24) constitue une réponse à ces problèmes, mais ce n’est pas suffisant : rien ne remplace le face à face.
Que voit-on d’important à tirer comme leçons pour l’avenir ? Ne pas relâcher les efforts en faveur des personnes les plus vulnérables, continuer les actions éducatives prioritairement à destination des jeunes en mettant particulièrement l’accent sur les points suivants : l’esprit critique, la capacité à faire la part des choses, à naviguer sur le web lucidement, à ne pas céder à des discours essentialistes, réducteurs, mensongers ou violents.
En conclusion, quels seraient les mots clefs à retenir de cette crise Covid-19 en rapport avec les risques de l’exclusion et avec une vue d’avenir ?
Mme Maalik, la responsable de la plus importante collectivité territoriale de Mauritanie
Les systèmes de santé (à améliorer) et la résilience des sociétés
M Iseni, en charge de l’intégration pour la ville de Lausanne
Revoir nos modes de vie, notre rapport à l’environnement, notre façon de consommer, favoriser le local mais sans se refermer, et plus généralement : la Nature (son respect) et l’Humain (son respect).
M J Bochet, représentant d’un Institut international pour les Droits de l’Homme et la Paix
Crise majeure, mondiale et violente en à peine cinq mois…difficile de tirer des leçons, mais l’essentiel pour l’avenir est à voir du côté de l’Education, une éducation qui devra s’adapter, avec beaucoup plus de recours au numérique, mais aussi plus d’interactions (de participatif), et le souci de ne pas oublier les populations vulnérables, de sensibiliser plus aux risques de crise : trois mots sont à retenir : la résilience, l’inclusion, la conscience (de la fragilité) de nos environnements.
Mme Reynaud-Paligot, Universitaire, historienne et sociologue
Positiver, oui cette crise a révélé des comportements inacceptables ou choquants (rejets, bouc émissaires, agressions etc), mais il faut aussi se souvenir de belles choses (générosité, entraide, sacrifice), on retiendra également à quel point nous sommes interdépendants et combien nous gagnerons toujours à miser sur les actions coopératives et la solidarité.