Enseignements du Rapport mondial sur l’éducation 2019
et du projet « Education for Life » en Ouganda
Forum sur l’offre éducative aux personnes réfugiées et déplacées
« Bâtir des ponts, pas des murs »
UNESCO, 26 novembre 2018
Éducation des migrants : challenge et opportunités
La formation des migrants et des personnes déplacées dans leurs propres pays, pour faits de conflits ou de recherche de mieux être économique, est un facteur d’inclusion et un point clef de l’Agenda 2030 pour l’Éducation.
Tel était le thème du Forum d’échanges du 26 novembre à l’UNESCO, développé sur 7 points majeurs sur la formation des migrants en lien avec les recommandations du Rapport mondial sur l’éducation 2019 :
Protéger leurs droits
Intégrer les migrants dans les systèmes nationaux
Répondre à leurs besoins
Reconnaître leurs besoins spécifiques (lien avec le vivre ensemble)
Préparer les enseignants
Tirer profit des expertises des migrants
Refonder l’aide humanitaire et au développement
Présenté le 21 novembre, le nouveau Rapport mondial de suivi sur l’éducation (GEM) 2019, « Migration, déplacement et éducation : Bâtir des ponts, pas des murs », dresse une photographie contrastée de la situation éducative faite aux migrants, réfugiés et personnes déplacées et émet sept recommandations. Ce Rapport coïncide avec le travail de la conférence intergouvernementale de Marrakech en décembre où devra formellement être approuvé le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
Les points clés du Rapport mondial de suivi de l’éducation 2019
Distinguer les trois types de migration et leurs implications
Les migrations internes. On estime à 763 millions les personnes qui vivent dans une région autre que celle où elles sont nées. Les migrations internes se concentrent aujourd’hui dans les pays à revenu intermédiaire en particulier la Chine et l’Inde (où 9 millions de personnes se déplacent chaque année d’un État à l’autre) ou à revenu faible comme ceux de l’Afrique subsaharienne. Le mouvement des ruraux vers les villes pour la recherche de travail a souvent conduit à laisser derrière eux des millions d’enfants déscolarisés, une tendance qui touche un enfant sur trois en Chine rurale par exemple. Ces mouvements se traduisent par le développement d’importants regroupements d’habitats informels où l’accès à l’éducation publique est limité. L’urbanisation est également l’un des facteurs à l’origine de la fermeture et de la consolidation à grande échelle des écoles rurales : la moitié des écoles de la Fédération de Russie ont ainsi fermé en 15 ans.
Les migrations internationales. On comptait 258 million de migrants internationaux en 2017. Ces migrations peuvent épuiser les ressources humaines clés des pays les plus pauvres : les statistiques rassemblées par le Rapport montrent que dans 27% des pays analysés au moins une sur cinq des personnes hautement qualifiées émigre. Mais elle peut à contrario bénéficier à l’éducation des enfants de migrants internationaux. Les enfants des immigrants colombiens aux États-Unis avaient par exemple au moins deux années d’études de plus que les enfants des personnes qui n’avaient pas émigré.
Les déplacements. Le nombre de personnes réfugiées ou déplacées de force a atteint son plus haut niveau depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces personnes sont en général originaires des régions les plus pauvres et les plus mal desservies du monde et sont d’autant plus vulnérables que leur situation les prive d’accès à l’éducation.
Sur les 19,9 millions de réfugiés placés sous la protection du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) 52% environ sont âgés de moins de 18 ans. S’y ajoutent 5,4 millions de réfugiés palestiniens qui sont sous la protection de l’UNRWA (Office de secours des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). S’y ajoutent enfin 40 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (IDP – Internally displaced persons) à cause d’un conflit dont la plupart vivent en République arabe syrienne, et 19 millions de personnes déplacées à cause de catastrophes naturelles.
L’accès à l’éducation des personnes déplacées et la qualité de celle-ci laissent à désirer. Les estimations du HCR chiffrent le taux de scolarisation des réfugiés à 61% dans l’enseignement primaire et à 23% dans l’enseignement secondaire. Dans les pays à faibles revenus ces taux sont inférieurs à 50% dans l’enseignement primaire et atteignent seulement 11% dans l’enseignement secondaire. Globalement 4 millions de réfugiés âgés de 5 à 17 ans ne sont pas scolarisés.
Si l’objectif est l’inclusion des réfugiés dans les systèmes éducatifs nationaux, leur inclusion est particulièrement problématique dans des contextes qui cumulent le manque de ressources, les faibles capacités du système éducatif, une maîtrise insuffisante des langues, des interruptions du parcours scolaire et la pauvreté.
L’éducation façonne les flux migratoires
Plus le niveau d’éducation est élevé, plus la probabilité de migration est élevée. Ceux qui ont fait des études supérieures sont deux fois plus susceptibles d’émigrer des villages vers les villes et cinq fois plus susceptibles d’émigrer à l’étranger que ceux qui n’ont fait que des études primaires. Un point souvent oublié dans les débats publics est que, à quelques exceptions près, les immigrants sont en moyenne plus instruits que les autochtones, même dans les pays qui ne mènent pas de politiques d’immigration sélectives.
Une éducation inclusive peut s’attaquer aux sources de tension, aider les personnes en déplacement à réaliser leur potentiel et permettre aux migrants de mieux soutenir leurs communautés dans leur pays d’origine. Le rapport montre que si le coût des transferts de fonds de l’étranger passait de 7 % à l’objectif de 3 % fixé pour les subventions spéciales, un milliard de dollars pourrait être orienté vers l’éducation.
De multiples signes positifs existent d’un mouvement vers l’inclusion des réfugiés et des migrants dans les systèmes éducatifs nationaux.
Aujourd’hui, 8 des 10 premiers pays d’accueil incluent des réfugiés dans leur système éducatif national. Des pays comme le Tchad, la République islamique d’Iran et la Turquie ont assumé des coûts importants pour faire en sorte que les réfugiés fréquentent l’école côte à côte avec leurs nationaux. Dans la Déclaration de Djibouti sur l’éducation régionale des réfugiés, sept ministres de l’éducation d’Afrique de l’Est se sont engagés à intégrer les réfugiés et les rapatriés dans les plans du secteur éducatif d’ici 2020. L’Ouganda a déjà tenu cette promesse ainsi que le montre le projet « Education for Life ».
Pour les immigrants, d’autres aspects d’actions positives sont également observés. Alors que moins d’un pays à revenu élevé sur dix avait pleinement adopté le multiculturalisme dans l’éducation dans les années 1980, plus d’un sur quatre l’avait fait en 2010 et plus des deux tiers au moins partiellement aujourd’hui.
Le Canada, qui compte le plus grand pourcentage d’immigrants parmi les sept pays industrialisés les plus riches, veille à ce que les enfants apprennent ce que sont les migrations dès la deuxième année du secondaire et a inscrit le multiculturalisme dans sa constitution. L’Irlande, avec le pourcentage le plus élevé d’immigrants de première génération dans l’Union européenne, a réussi à financer une stratégie d’éducation interculturelle alors qu’elle traversait une crise financière profonde.
Néanmoins, d’importants obstacles subsistent qui demandent à être résolus
Les immigrants peuvent être nominalement inclus mais pratiquement exclus des écoles, maintenus trop longtemps dans les classes préparatoires ou séparés en filières scolaires plus lentes comme dans de nombreux pays européens, ce qui à terme les pénalise. Bien que les politiques aient évolué vers l’inclusion, la discrimination peut persister compte tenu des difficultés administratives pour l’’inscription. Les enseignants ont besoin de plus de formation. Dans six pays européens, la moitié des enseignants ont déclaré ne pas bénéficier d’un soutien suffisant pour gérer la diversité en classe.
Les enfants immigrés peuvent progresser par rapport à leurs pairs dans leur pays d’origine, mais accusent un retard par rapport à leurs pairs dans les pays d’accueil. En 2017, dans l’Union européenne, deux fois plus de jeunes nés à l’étranger ont quitté l’école prématurément que les autochtones.
Il y a encore des pays où les réfugiés ne sont pas inclus dans le système éducatif national. Les Rohingyas au Bangladesh, les Burundais en République-Unie de Tanzanie et de nombreux réfugiés afghans au Pakistan ne peuvent recevoir une éducation – s’ils en reçoivent une – que dans des écoles séparées, non formelles, communautaires ou privées. Certains de ces pays d’accueil n’offrent pas aux apprenants réfugiés les cours de langue dont ils ont besoin pour s’intégrer socialement et trouver un emploi. Les enfants demandeurs d’asile peuvent être détenus dans de nombreux pays, dont l’Australie, la Hongrie, l’Indonésie, la Malaisie et le Mexique, avec souvent un accès limité ou inexistant à l’éducation.
Malgré la volonté politique, le degré d’inclusion des réfugiés peut également être affecté par un manque de ressources. Le Kenya, par exemple, permet aux réfugiés de bénéficier de son programme d’enseignement national mais ne parvient pas à la pleine intégration parce que ses élèves réfugiés vivent dans des camps où ils sont incapables de communiquer avec leurs pairs kenyans. Le Liban et la Jordanie, qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés par habitant, ne disposent pas des ressources nécessaires pour construire davantage d’écoles. Ils ont donc établi des horaires scolaires distincts le matin et l’après-midi pour les enfants citoyens et les enfants réfugiés, ce qui limite l’interaction entre les deux groupes.
La nécessité d’un meilleur soutien financier international est démontrée par de nouvelles conclusions sur le financement de l’éducation des réfugiés, un tiers seulement des ressources nécessaires étant fournies. L’aide humanitaire n’est pas suffisante ; le rapport demande qu’elle soit planifiée conjointement avec l’aide au développement pour combler cette lacune.
Sept recommandations finales :
- Défendre le droit à l’éducation des migrants et des personnes déplacées ;
- Intégrer les migrants et les personnes déplacées au système éducatif national ;
- Comprendre les besoins éducatif des migrants et des personnes déplacées et établir des plans en conséquence ;
- Veiller à ce que l’éducation donne une représentation exacte de l’histoire des migrations et des déplacements afin de lutter contre les préjugés ;
- Préparer les enseignants des migrants et des réfugiés à faire face à la diversité et aux situations difficiles ;
- Valoriser le potentiel des migrants et des personnes déplacées, en particulier des enseignants déplacés ;
- Répondre aux besoins éducatifs des migrants et des personnes déplacées dans le cadre de l’aide humanitaire et de l’aide au développement.
Un exemple concret de cadre global pour l’éducation des réfugiés : l’Ouganda et le projet « Education for life »
Pays de 38 millions d’habitants en 2016, l’Ouganda compte actuellement 1million 154 mille réfugiés provenant largement du Soudan du Sud. 82% sont des femmes et des enfants dont 61% ont moins de 18 ans ; 39% seulement des enfants réfugiés sont scolarisés dans le primaire où l’on compte 154 élèves par classe, 11% seulement des enfants réfugiés sont scolarisés dans le secondaire. Le manque d’eau potable et de possibilités sanitaires est un grave problème ; une large proportion de jeunes et d’adolescents ne sont pas scolarisés.
En 2018 a été lancé le projet « Education for life » bénéficiant de l’environnement favorable de la loi de 2006 sur les réfugiés et le développement national. Le projet vise à la mise en place d’un cadre global d’intervention auprès des réfugiés. Il s‘appuie sur le « DRDIP – Development Response to Displacement Impacts Project » pour l’Ouganda dont l’objectif est d’améliorer l’accès aux services sociaux de base, d’élargir les opportunités économiques et de renforcer la gestion environnementale dans les districts d’accueil des réfugiés. Ce projet a reçu un prêt de 50 millions de dollars pour l’éducation en particulier pour renforcer les capacités des enseignants. Pour répondre aux besoins de la période 2018-2021, le financement nécessaire est estimé à 300 millions de dollars.
Quelques points clés mis en avant par les intervenants lors de la Table ronde
Les enseignants sont la clé d’une inclusion réussie.
La pénurie d’enseignants qualifiés est une constante des situations de déplacement. Il faut renforcer leur résilience et leurs compétences, les former à la diversité, pas seulement dans les pays qui accueillent des réfugiés mais même au sein des pays européens car là aussi il y a diversité. La formation linguistique est également très importante, sinon comment communiquer ? Le manque d’enseignants qualifiés ne peut pas être résolu par l’emploi de contractuels non qualifiés. Il faut tirer parti des compétences des enseignants réfugiés (exemples de la Suède et du Canada).
Les défis du financement de l’éducation
Les financements alloués à l’éducation aujourd’hui ne reflètent pas les défis mondiaux. L’aide à l’éducation de base n’est pas attribuée aux pays qui en ont besoin. La part de l’aide à l’éducation de base versée au pays à faible revenu a baissé de 36% en 2002 à 22% en 2016. L’aide à l’éducation est efficace même dans les pays en situation de crise mais afin de répondre aux besoins éducatifs les plus élémentaires des enfants dans les situations de crise, il serait nécessaire de multiplier la part de l’éducation dans l’aide humanitaire par 10.
Des écoles inclusives pour les enfants migrants
Il ne faut pas de ségrégation ni d’écoles séparées pour les enfants migrants, les enfants migrants souhaitent la même école que tout le monde, l’inclusion doit être la première option. Il faut changer le regard porté sur les enfants, ne pas les classer comme migrants mais comme enfants ayant droit à l’éducation. Mais il faut aussi vérifier les acquis préalables. La question des langues maternelles : les enfants ne sont pas « a-langue » parce qu’ils ne parlent pas la langue du pays d’accueil à leur arrivée, il faut reconnaître et valoriser la langue maternelle, reconnaître les atouts et la valeur de ces enfants, et qu’ils ne soient pas privés d’une éducation de qualité.
Il faut une réflexion globale
Ne pas traiter séparément politique de l’éducation et politique des migrations. Il y a besoin d’une réflexion globale sur la mobilité, l’éducation, la migration, la formation qualifiante pour trouver un emploi. La question aussi est celle de la perception de la migration par la société, les individus, les états.
En forme de conclusion
En décembre 2018, les pays seront invités à signer les Pactes mondiaux sur les migrants et les réfugiés qui rappellent que l’éducation est pour les migrants un droit et pour les pays une obligation. Le Rapport mondial sur l’éducation 2019 « Migration, déplacement et éducation » se propose d’être un outil et un plan d’action que les pays peuvent utiliser pour honorer leurs engagements. Son intitulé : « Bâtir des ponts, pas des murs » est l’impératif urgent donné aujourd’hui à tous les pays.
DG/01-12-18