Construire l’avenir de l’Humanité par le dialogue et la coopération
12 juin 2018
A l’occasion du premier anniversaire de la sortie d’une revue qui en fait est la reprise d’une publication qui avait cessé sa parution en 2012, l’UNESCO a marqué l’événement avec ce forum. En introduction des échanges, Madame Azoulay a rappelé un peu de la riche histoire de la collection, ses origines, les apports de certaines grandes voix qui y ont contribué. Elle a confirmé une intention d’instiller dans ce nouveau Courrier de l’UNESCO le même esprit que celui qui avait fait le succès d’un magasine qui n’avait cessé d’être édité pendant près de 60 ans : contributions d’experts, expression d’idées visionnaires, réflexions sur les grands thèmes que couvre l’UNESCO, une Parole de valeur sur des valeurs universelles, celles que défend l’UNESCO, de l’Information des réflexions largement diffusées. Cette renaissance doit beaucoup à la Chine qui a apporté une contribution financière substantielle et au travail d’une équipe dédiée qui a permis la publication de plusieurs numéros déjà, le prochain étant prévu pour la fin juin avec l’Intelligence artificielle pour thème. La Directrice générale a cité quelques unes des personnalités marquantes qui ont contribué à la création et au développement de ce Courrier de l’UNESCO, un courrier qui donnait beaucoup à connaître d’une institution unique, capable par son intermédiaire de véhiculer des idées nouvelles comme par exemple dès les années 60 la réflexion d’un auteur anglais à propos de la puissance informatique en devenir. En reprenant les mots d’une de ces grandes voix qui ont marqué le COURRIER d’hier, « sans réflexion et anticipation l’UNESCO est en risque d’être aveuglée », Mme Azoulay a voulu indiquer tout le prix qu’elle attache à la reprise de son édition.
Le nouveau président du Conseil exécutif M. LEE Byong Hyun a souligné à quel point le COURRIER avait pu, dans le passé, être une lumière pour le monde, un outil de connaissance, un soutien pour les artistes, un porteur d’idées au service de la Paix singulièrement dans les temps difficiles, comme ce fût le cas lors de la guerre de Corée. Avec la reprise de sa publication, le COURRIER aura le même rôle tout en évoluant pour bien s’inscrire dans le temps de la modernité.
M. Rongwen Zhuang, administrateur de l’administration de la presse et des publication a rappelé l’engagement de la Chine en faveur de l’UNESCO dont elle a été un membre fondateur, et qui entend rester toujours actif à ses côtés pour faire face aux défis de notre temps au service du Bien commun, en misant notamment sur l’éducation, tout particulièrement en Afrique. La Chine a voulu soutenir le COURRIER parce que, nous a-t-on rappelé, ce média est l’une des façons de promouvoir la coopération et le dialogue pour un avenir commun, promotion d’une intelligence collective en laquelle il faut croire.
Le second volet de cette rencontre a porté sur un thème tout à fait illustratif des priorités de l’UNESCO et, à ce titre, très en ligne avec ce que peut recouvrir la ligne éditoriale du COURRIER : La diversité.
Deux orateurs, tous deux issus du monde universitaire ont été d’abord invités à nous livrer leurs réflexions, puis se sont engagés des échanges au travers de trois panels composés chacun d’un animateur et de deux intervenants appelés à livrer leurs vues sur trois points : Problématiques communes et regards différents, la différence des sensibilités, les nouvelles générations.
Deux allocutions introductives
M. Adama Samassekou ancien Ministre de l’Éducation du Mali, Président de la Conférence mondiale des Humanités (qui s’est tenue à Liège) a insisté sur l’importance des langues, et le risque de voir s’appauvrir la diversité linguistique, notamment en Afrique. Dans le même esprit, il a dénoncé l’excès d’emprise du système de pensée occidental pour appeler à plus de diversité, et à une autre approche des Humanités, avec par exemple l’idée de voir se développer un mode de pensée ou des systèmes éducatifs plus spécifiquement africains, une évidence, une exigence selon ses mots. Il faut « décoloniser » les Humanités nous a-t-il dit, « parler vrai » comme pourra le faire le COURRIER pour aider à entretenir une « conscience éthique du Monde », un monde menacé par beaucoup de ruptures.
M. Wang Yiwei Directeur de l’Institut des affaires internationales de l’université Renmin de Chine a parlé de l’idéogramme chinois qui désigne l’harmonie et qui répond à ce qu’est l’esprit du COURRIER avec cette valeur que l’on retrouve dans le bouddhisme qui invite à ne pas voir l’ennemi en l’autre ; de l’importance alors de l’entraide et de la solidarité, de l’acceptation de l’autre avec qui il faut dialoguer, avec un esprit humaniste qui selon l’orateur doit reposer sur cinq piliers : engagement pour une paix durable, sécurité culturelle et économique pour tous garantie par le multilatéralisme, un objectif de prospérité inclusive, la liberté et non le protectionnisme, la protection de la nature. La clef pour parvenir ces résultats, ce sont tous les modes d’interconnexion que permet maintenant la technologie avec les infrastructures indispensables à leur développement. C’est dans cet esprit que la Chine développe son projet « One Belt One Road », qui vise l’ouverture de routes inclusives, une entreprise qui doit être gagnante pour tous sur tous les plans…
Des trois panels, qui ont donné l’occasion d’échanges assez brefs mais intéressants car bien ancrés dans une réalité concrète, on retiendra les idées suivantes :
Panel 1 : Les différences de sensibilité, l’Art et la Diversité
Dialogue entre une actrice et metteur en scène Mme Graziella DELERM et un artiste peintre M. Fernando Bryce qui a collaboré à l’illustration du COURRIER.
De l’importance pour chacun – dans ses réalisations et leur inspiration- de ce qu’il ressent au fond de lui-même, ce ressort spirituel hérité d’histoires, de son histoire personnelle avec ses expériences vécues (Mme Delerm) ou de l’Histoire (M. Bryce qui a trouvé des sources d’inspiration dans l’exploitation d’archives de son pays d’origine). Deux témoignages d’artistes qui montrent des parcours et des formes d’expression, une sensibilité qui leur appartiennent et qu’ils peuvent traduire par leurs œuvres en toute liberté : liberté de la création et diversité vont de pair pour consacrer à l’art une juste place, pas forcément pour bouleverser le monde, mais certainement pour satisfaire ce qu’on pourra appeler « une vue humaniste » tolérante, ouverte.
Panel 2 : L’écoute de la diversité
Échange de vues entre Mme Josiane Boulad-Ayoub philosophe et professeur émérite de l’Université du Québec à Montréal et titulaire d’une chaire UNESCO et M. Alain Foix, écrivain, metteur en scène, philosophe.
Confrontation d’idées d’apparence contradictoire mais en réalité très complémentaires. Mme Boulad-Ayoub nous a parlé du Canada, de l’expérience de la diversité avec le cas réel des indiens qui furent longtemps maltraités et qui trouvent maintenant un bien meilleur accueil dans la société. Elle nous a livré aussi le fruit de son expérience universitaire avec des groupes de travail diversifiés appelés à réfléchir sur des thèmes qui intéressent l’UNESCO, aussi sensibles que celui de l’islamophobie ou du dialogue « Occident-Orient », l’objectif étant de déboucher sur des résultats tangibles : positions exprimées et recommandations. Pour mener à bien la démarche, des acteurs pertinents sont éventuellement consultés (ex. un dialogue avec des universitaires saoudiens), et deux conditions sont imposées : 1/exercice de la critique sans dogmatisme et 2/respect des valeurs de la société canadienne et de l’UNESCO. L’expérience montre alors la possibilité de dialogues constructifs au sein de ces groupes divers dans leur composition et capables in fine d’articuler une pensée consensuelle : de la puissance de l’intelligence collective si l’on respecte certaines (bonnes) conditions.
M. Alain Foix, à la lumière de son expérience en banlieue parisienne hier à l’école et aujourd’hui comme résident adulte, a regretté le changement de mentalité qui tend à se développer à propos de la diversité. On n’en parlait pas autrefois, on tend maintenant à en faire comme un instrument pour exister à part au sein de son groupe (sa tribu) avec le risque de cliver : « je suis issu de la diversité », expression souvent entendue et regrettable à ses yeux, il faudrait plutôt parler d’indifférence. Pour M. Foix, on est d’abord « issu de sa mère », on est d’abord une Personne, unique et complexe, et on ne saurait réduire son identité à une culture quand bien même la culture a son importance. Notre orateur ici est apparu comme tenant d’un discours plutôt libéral ou laïc, avec comme suggéré un appel à ne pas trop magnifier une identité culturelle juxtaposée (opposée ?) à celle de l’autre.
Mme Boulad-Ayoub a proposé de parler de reconnaissance de l’autre plutôt que d’indifférence, et, pour le faire de façon apaisée, elle recommande de multiplier les lieux concrets d’échange.
Deux dernières observations notées : celle de Mme Boulad-Ayoub à propos de la défense de la diversité : même si tout ne peut se résoudre par la voie légale, on peut et doit recourir à la loi pour les valeurs essentielles, mais cela doit se faire en prenant soin de bien dialoguer préalablement entre décideurs politiques et représentants de la société civile (intellectuels notamment).
Quant à M. Foix qui, à juste titre, craint les risques de ghettoïsation, il nous a rappelé opportunément ce que pensait Martin Luther King à propos du racisme, produit du Communautarisme, ce système de groupes juxtaposés qui s’opposent, alors que le sens de toute vie est simplement d’exister.
Panel 3 : L’avenir, les Jeunes générations : évolution des mentalités
Mme Na Yi (Yeshi Lhamo), professeur en littérature ethnique de l’Académie chinoise des sciences sociales, et Mme Emmanuelle Duez consultante/experte en management RH particulièrement orientée sur les vues prospectives.
Un fait, les jeunes en Chine ce sont des centaines de millions de chinois qui n’ont pas connu le maoïsme et qui sont de plus en plus connectés au net, qui voyagent : une vraie révolution au sein d’une société où l’on est plus cosmopolite, plus libre.
Pour madame Duez, on assiste à l’avènement de la première génération mondialisée, ces millenals newlook se trouvent partout. Leurs prédécesseurs étaient différents en ce qu’ils restaient encore assez imprégnés d’une culture. Maintenant c’est beaucoup moins le cas : on est en présence d’individus qui sont autonomes, à l’aise partout, avec un langage commun numérique et (dans une large mesure) linguistique. Ils sont de plus en plus nombreux, mais ils restent encore minoritaires, minoritaires en nombre mais pas en influence : partout où ils sont, ils font faire bouger les lignes, ouvrir des brèches, faire évoluer les mentalités.
Dans quelle direction aller ? Faut il être pessimiste avec des jeunes qui seraient surtout amateurs de jeux sur le web, peu motivés à s’intéresser aux grandes œuvres de l’esprit humain et à ce que fait l’UNESCO, institution obsolète ? Voient-ils autre chose que ce qu’ils auraient en partage, indifférents qu’ils seraient à ce que pensent les autres ? En première approche on pourrait en effet tendre à souscrire à ces vues peu rassurantes. Mais pour nos deux intervenantes, il y a beaucoup de choses qui viennent tempérer un jugement par trop négatif.
D’abord, pour parler des outils, il ne faut pas voir en eux que des aspects de standardisation ou de nivellement par le bas : on a des expériences Web qui révèlent une utilisation créative du numérique, notamment en matière artistique/littéraire (création de bandes dessinées par exemple).
S’agissant du désintérêt pour ce qui est le Patrimoine, sa valeur intrinsèque et sa valeur comme expression de l’âme d’un peuple au travers de sa culture, la Chine peut témoigner de son expérience avec l’engouement culturel pour le Patrimoine qui peut se développer chez les jeunes avec l’aide du numérique. Autre élément de satisfaction que nous donne madame Duez à propos de l’image de l’UNESCO chez les jeunes (résultat d’une petite enquête menée auprès de ses collaborateurs) : on lui reconnaît la valeur de sa couverture « mondiale », on lui attribue une qualité de « sérieux », on voit en l’institution « la culture » comme un de ses domaines, mais aussi on l’associe à un qualificatif, « poussiéreux » ce qui est quelque peu exagéré, mais compréhensible s’agissant d’un avis de jeunes peu portés à considérer les grandes institutions comme particulièrement dynamiques.
Mme Duez, – cofondatrice du projet dit BOSON, une sorte de DAVOS des jeunes –, trouve dans cette expérience qui marche (3000 jeunes qui se réunissent chaque année pour parler Politique, Culture, Religion, etc) des signes positifs : il y a d’abord un soutien du monde des entreprises qui entend bien réussir l’intégration des jeunes dans la transformation digitale qu’elles opèrent ; on voit aussi une aspiration des jeunes à prendre toute leur place dans les changements en cours en voulant résolument être parmi les artisans de ces changements, dans une optique d’économie créative. Il faut aussi souligner tout l’intérêt que portent ces jeunes participants au Forum pour les témoignages de grandes voix issues de générations qui les précèdent.
Dans ce contexte, comment situer l’UNESCO ? Sans doute peut-elle améliorer son outil de communication mais le numérique ne doit pas être pour elle une occasion de s’engager dans une révolution qui viserait à la faire ressembler à une start-up. L’UNESCO pourra certainement intéresser les jeunes générations avec ses avantages compétitifs et les valeurs qui sont les siennes dans un monde qui a besoin de sens et d’authenticité.
Conclusion de M. Vincent Defourny, directeur de la Communication
On aura relevé combien pour l’UNESCO il est important de compter sur des plateformes de dialogue et de coopération.
Ces plateformes à développer pourront contribuer à bâtir des Pensées, élaborer des Concepts, Imaginer l’avenir, mais elles doivent aussi venir à l’appui d’actions qui répondent aux besoins.
Laboratoire d’idées, l’UNESCO est aussi initiateur de projets concrets qui portent leurs fruits comme elle l’a toujours fait dans le cadre de son mandat avec beaucoup de réussites à son actif : actions en faveur de l’alphabétisation, sensibilisation aux applications mobiles, protection des patrimoines y compris là où il y a de graves conflits (cf MOSSOUL).
Elle doit maintenant s’inscrire pleinement dans notre temps dans le contexte nouveau de la modernité et, pour réussir, trois conditions sont à remplir : respecter la nature politique de l’UNESCO, satisfaire aux obligations éthiques et traduire les Pensées en actes et activités concrètes.
Enfin dans tout ce qui pourra être fait, trois grandes lignes de conduites peuvent rester présentes à l’esprit comme le suggérait S. Toefler, ce journaliste qui fit beaucoup pour l’UNESCO dans les années 50 : 1/interroger le Monde, 2/Relever les grands défis et 3/Guider en chemin.
Dernier mot de M. Defourny qui remercie encore chaleureusement la Chine pour son aide à la relance du COURRIER (qui maintenant est édité en 9 langues) et l’équipe en charge de la publication et qui annonce de nouveaux développements numériques au service de la Communication de l’UNESCO.