Ce rapport d’étape sur l’Ethique des neurosciences a été présenté dans ses grandes lignes en séance publique le 19 septembre. Il s’agit d’une contribution importante du CIB (Comité International de la Bioéthique) qui met en évidence les avancées parfois spectaculaires de ces nouvelles technologies tout en montrant les risques et même les dangers auxquels elles exposent pour l’humain.

M Hervé Chneiweiss, ancien président du CIB (Comité International de Bioéthique) et initiateur de cette réflexion sur les neurosciences a d’abord tenu à citer les deux autres experts avec lesquels ont été pilotés les travaux (Emily Cross, professeur en Sciences Humaines, spécialiste en robotique sociale et éthique des neurosciences ; Mylène Deschènes, directrice des affaires juridiques et des questions éthiques au Fonds de recherche du Québec). Il a ensuite restitué avec une grande clarté la teneur des réflexions produites en montrant bien toute l’importance et surtout la sensibilité du sujet étudié.

Présentation du rapport

Ont été rappelés les très grands enjeux de ces techniques qui, à l’aide d’outils de plus en plus performants capteurs des signaux donnés par le cerveau, permettent de lire et interpréter ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes, ce qui nous affecte, des traces de ce que nous ressentons, ce que nous pensons.

En assurant l’interface Homme-Machine, grâce à des systèmes d’imagerie et d’analyse des flux (courants) traversant nos cerveaux, elles peuvent alors être exploitées avec d’immenses bénéfices, et ce singulièrement dans le domaine médical : les maladies du cerveau dont le traitement absorbe près de 10% des dépenses de santé peuvent ainsi être mieux connues et soignées (les migraines, les maladies neuro-génératives, les AVC, la schizophrénie, etc).

Mais ces avancées biotechnologiques trouvent à s’appliquer dans bien d’autres domaines, avec des impacts non négligeables, et parfois très négatifs. Si grâce à une capacité de ces technologies à décoder certains signaux et stimuler  ou restaurer certaines fonctions on peut rétablir certains mouvements pour les tétraplégiques, ces propriétés peuvent être mobilisées bien au-delà du médical à des fins marchandes, criminelles ou (géo)politiques : si on ne peut que se féliciter de pouvoir prendre appui sur ces technologies pour soigner ou réparer (par exemple la maladie de Parkinson ou les maladies psychiatriques), on doit avoir à l’esprit tous les dangers et risques qu’elles peuvent générer : risques de fraudes, d’addiction, de prise de contrôle de nos pensées, influence sur les comportements à notre insu, surveillance sociale intrusive, etc…

Il y a aussi à se prémunir contre le danger de s’acheminer vers une société qui diffuserait outrancièrement les neurosciences en laissant aller trop loin un usage « performatif » : au lieu de corriger, soigner ou aider, elles pourraient dériver vers la recherche de surhumains, ou, en raison d’un facteur coût, accentuer les clivages sociaux et les discriminations.

Il faut bien prendre conscience du fait que ces technologies n’ont rien d’anodin pour les personnes, et notamment pour les plus jeunes : elles peuvent produire des effets cognitifs négatifs à tous âges mais ceux-ci peuvent être plus graves lorsqu’ils touchent les cerveaux en développement comme ce peut être le cas avec les « neuro-jeux ».

Il y a bel et bien une ambivalence de ces technologies, comme on le voit toujours avec l’apparition d’innovations majeures, mais ici, les problématiques soulevées et les risques associés sont d’une particulière acuité car elles touchent à l’intimité et à la liberté de chacun, et posent aussi des questions de justice sociale. On doit alors bien se poser la question de la normalité et de possibles limites. L’Education doit ici tenir son rôle mais il faut également envisager le recours au Droit, avec un système normatif qui n’existe pas encore vraiment mais qui fondamentalement devrait s’intégrer à l’existant, dans le droit positif (il n’est pas forcément nécessaire de créer des neuro-droits) et en prenant comme principale référence les fondamentaux des droits humains.

Le rapport appelle aussi l’Unesco à utiliser toute son expertise dans les domaines que lui confère son mandat pour donner de nouvelles perspectives sur ces questions sensibles et avoir des dialogues fructueux permettant d’échanger sur les bonnes pratiques et les besoins d’encadrement normatif.

Enfin, est soulignée l’importance des actions de sensibilisation, auprès des professionnels de la santé mais aussi du grand public avec, ici, une responsabilité particulière des médias, qui doivent pouvoir diffuser de bonnes informations sur ce sujet si névralgique.

Questions et observations de l’auditoire

-n’y a-t-il pas un excès de considérations éthiques qui freineraient l’innovation ?

-réponse à la question : Ne pas apprécier les choses négativement, l’éthique est à voir comme un guide ou un accompagnateur qui permet de baliser les voies d’une recherche au service de l’Humanité ; c’est ce que l’on a pu vérifier après « la déclaration sur le génome» , c’est ce qui doit trouver à s’appliquer en neuro sciences lorsqu’on entre dans ce qui touche au plus intime de la pensée, cet ultime espace de la vie privée : aux questions que cela pose, l’éthique doit pouvoir apporter son éclairage pour y accéder pour un bon usage.

-Quatre idées fortes peuvent être émises à partir du rapport présenté (observation d’un membre de la COMEST)

  • Il y a de vrais défis avec les nouvelles technologies de l’information, elles ont toutes un impact sur nos cerveaux, on peut ainsi parler de biotechnologies
  • Il y a deux fonctions pour ces neuro sciences, celle qui touche aux « traitements » et celle qui a trait aux « améliorations » le rapport les fait bien ressortir ; pour les Comités de l’éthique de l’Unesco, c’est le second aspect qui devrait être le principal objet de leurs préoccupations.
  • La question juridique est soulignée à juste titre : pour les techniques de pointe cet encadrement est indispensable
  • Sont évoqués ce qu’on pourrait appeler « les droits humains neuro-spécifiques », les travaux de l’Union Européenne ont amené à s’interroger sur cette idée ; peut être faudrait-il aussi y penser.

-Autre observation formulée par le même intervenant : on doit se convaincre que s’agissant des technologies d’avant-garde et tout particulièrement des bio technologies, il y a encore beaucoup d’incertitudes et d’inconnues ; il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas, on est aussi encore beaucoup dans l’expectative quant aux institutions à créer ou à faire évoluer pour traiter ces questions.

-Un autre intervenant appelle à particulièrement se soucier de la petite enfance : H. Chneiweiss a souligné que le cerveau d’un enfant n’est pas un modèle réduit de celui d’un adulte, mais un cerveau en cours de construction.

-à propos de l’éthique, il souligne toute l’importance de ces questions : en réaction à ce qui a été dit à ce sujet (voir ci-dessus) il est d’avis que l’éthique n’a pas qu’une fonction d’accompagnement, selon lui, c’est névralgique pour l’Humain, elle doit presque être un fondement pour assurer une saine évolution des effets de la technique, et cela doit amener à évaluer les conditions d’émergence des nouvelles technologies.

-sur ce dernier point, Hervé Chneiweiss tend à abonder dans le sens de ce qui est dit. Il précise sa pensée de façon positive. Plutôt que de voir les technologies comme une menace destructrice comme le pensait Heidegger, il faut en mesurer les apports pour en tirer le meilleur pour l’homme, et c’est dans cette optique qu’il faut considérer les neurosciences, qui doivent prendre appui sur ce qui fonde notre humanité…et « cet humain quel est-il ? ce sont les interactions des personnes -le relationnel en somme – ce n’est pas notre cerveau en tant que tel ; il termine en ajoutant ce qui renvoie à un immense enjeu : « un grand danger des technologies serait de nous couper des autres et ne plus avoir d’interdépendance »

Belle conclusion de cet échange. 

Septembre 2022