« Rencontre-Témoignage du CCIC » en coopération avec l’OMAEC : Témoignage du père Youssef Nasr, Secrétaire Général des Ecoles Catholiques du Liban »

Organisée conjointement par l’OMAEC , Organisation Mondiale des Anciens et anciennes élèves de l’Enseignement Catholique. et le CCIC, cette conférence s’est tenue le 2 juin 2023 au Centre Sèvres à Paris.

La pensée de cette conférence s’intéresse à « la catholicité » comme esprit d’union universelle.

La problématique quant à elle est la suivante :

Comment les écoles catholiques du Liban pourraient être un exemple de catholicité ?

La Catholicité

« Tout d’abord, qu’est-ce que la Catholicité ? La catholicité c’est être catholique, soit avoir l’esprit ouvert notamment vers l’autre. C’est pouvoir reconnaitre la présence de l’autre mais également de sortir de soi-même et d’aller vers l’autre. En somme, c’est avoir un esprit d’ouverture. »

Cette réflexion du père Youssef Nasr autour de la catholicité tire son inspiration d’une assise philosophique composée principalement de Levinas qui pense se voir dans le visage de l’autre et de Ricoeur dont on peut résumer la philosophie par l’expression : « soi-même comme un autre ».

Au niveau de l’Eglise, la catholicité, telle qu’elle s’exerce par le pape François, passe principalement par « aller vers les périphéries ». Cet élan vers la périphérie se fait pour rencontrer le marginal, le pauvre, le malade et plus généralement l’autre. Ce message de catholicité se retrouve dans les actions concrètes du pape dont l’exemple parfait est sa rencontre avec l’imam Al-Tayeb. Cette rencontre a conduit à la publication de l’encyclique « Fratelli Tutti » ou « Fraternité Humaine » qui est un appel à l’ouverture vers l’autre.

Toute la difficulté est d’appliquer cette catholicité au Liban. Comment construire cette unité dans un contexte marqué par la diversité des confessions présentes dans le pays ?

Le Liban est, comme le disait le pape Jean Paul II, un message de vivre ensemble, d’union et donc de catholicité. Néanmoins, le Liban se trouve dans une crise politique, institutionnelle, économique. De plus, il faut impérativement chercher une formule viable pour construire un vivre ensemble dans un contexte où coexistent 17 communautés confessionnelles reconnues par l’Etat. Dans ces temps de crises, il faut rassurer les confessions et s’investir pour construire un Etat commun.

Le père Youssef Nasr donne un exemple de cet impératif d’union, de collaboration au niveau institutionnel. En effet, les trois têtes institutionnelles sont de différentes confessions : le président est chrétien, le président du parlement est chiite et le premier ministre est sunnite.

La situation éducative au Liban

Le Liban est actuellement dans une grave crise économique. Du fait de cette dernière, l’Etat n’a pas les moyens de subvenir aux besoins financiers des établissements scolaires depuis 2017.

Par ailleurs :

1 200 établissements publics scolarisent 200 000 élèves, et emploient 40 000 personnels éducatifs

1 500 établissements privés scolarisent 800 000 élèves, et emploient  55 000 personnels éducatifs

Donc 80% des élèves libanais sont inscrits dans des établissements privés. 

Les écoles catholiques trouvent leur place dans ce système marqué par la prépondérance du privé. Elles scolarisent 200 000 élèves , soit le quart des élèves du privé, et emploient 16 000 éducateurs sur les 55 000 exerçant leurs fonctions dans des écoles privées. Par ailleurs, 30% des élèves des établissements catholiques ne sont pas chrétiens.  Cette spécificité des écoles catholiques d’être ouvertes à tous montre que le principe de catholicité est présent au Liban. Le père Youssef Nasr a également insisté sur l’importance du maillage territorial des écoles catholiques présentes sur tout le territoire libanais peu importe si la région est à majorité sunnite, chiite ou encore druze. 

De plus, les écoles catholiques sont un fondement de la qualité scolaire libanaise. L’intelligentsia libanaise est formée par les écoles catholiques.

Par ailleurs, il existe des ponts entre les écoles privées confessionnelles. Ce pont est possible par l’action des écoles catholiques. En effet, le père Youssef Nasr, Secrétaire Général des écoles catholiques au Liban, est également coordinateur des institutions éducatives privées. Il rassemble donc les écoles sunnites, chiites, druzes, orthodoxes et protestantes pour qu’elles se rencontrent et élaborent des projets communs.

L’éducation catholique

Malgré la situation du Liban, le père Youssef Nasr a espoir dans l’éducation qu’il croit capable de changer le visage du Liban en particulier en procurant une éducation à la citoyenneté. Cette éducation à la citoyenneté se traduit par une attention au pauvre mais également à lutter contre toutes discriminations.

Cette espérance est d’autant plus forte que le père Youssef Nasr fait le constat amer que les écoles catholiques ont échoué à éduquer une élite qui, aujourd’hui, ne pense qu’en terme de communautés ou d’intérêts personnels. Certes, il y a eu un échec à infuser une volonté de défendre les intérêts non pas communautaires mais nationaux. Néanmoins, cela ne doit pas faire perdre espoir dans une éducation qui crée un sentiment d’appartenance nationale plutôt que seulement confessionnelle et communautaire.

Le système éducatif catholique permet également de maintenir les chrétiens sur le territoire libanais. Cela permet de préserver la pluralité ainsi que la diversité au sein de la société libanaise. S’il n’y avait pas ces écoles catholiques de proximité, les familles catholiques partiraient vivre à l’étranger.

Par ailleurs, il existe une spécificité de l’éducation catholique : la spiritualité. En effet, il existe une ambiance scolaire imprégnée de valeurs chrétiennes et humaines.

Le père Youssef Nasr finit cette conférence par le rappel que les écoles catholiques, par le principe de catholicité, se doivent de contribuer à la création d’un sentiment d’appartenance nationale et non pas communautaire.

Temps des questions                                                                                                 

1-           Comment transmettre la foi catholiques dans les écoles ?

La mission principale de l’école catholique est de léguer et d’enseigner cette foi. Au Liban, les crises et les guerres n’ont pas permis de mener à bien cette mission. Les évènements extérieurs n’ont pas permis de transmettre cette foi. Voir certains anciens élèves d’écoles catholiques se comporter comme ils le font alors qu’ils sont l’élite du pays, a remis en cause la manière dont les enseignants catholiques vivent et exercent leur mission. Il faut donc reconnaitre ses échecs et accepter de recommencer. Même si la guerre n’a pas aidé à réaliser cette mission, enseigner la foi reste une priorité.

Il faut également souligner un fait. L’école ne vient là que pour compléter l’éducation des parents. L’école n’a donc pas une totale liberté dans l’éducation donnée à l’enfant mais doit composer avec celle donnée par les parents. Par ailleurs, il ne faut pas nier l’influence de la société. On observe que les élèves sont divisés entre la théorie enseignée à l’école et la pratique, les choses qu’ils voient dans la société. Ce qu’ils voient dans la société rentre en contradiction avec ce qui est enseigné. Il ne faut donc pas rejeter entièrement la faute à l’école.

2-           Education à la citoyenneté. Est-il possible de mettre dans l’éducation libanaise un zeste de laïcité ? Dans l’optique de créer un citoyen ayant un sentiment d’appartenance nationale.

Si cela est possible de penser une séparation entre Etat et religion pour les catholiques, cela est impossible pour les autres courants religieux. Chez les musulmans, le Coran fait office de constitution.

L’exemple même de cette difficulté est le mariage civil. Ce dernier a été  oublié car les communautés confessionnelles n’ont pas voulu en discuter, y voyant une ingérence de l’Etat.

Par ailleurs, la laïcité libanaise est différente de celle vue par la France. La laïcité ne peut être mise en place que si on respecte la sensibilité religieuse de toute les communautés. Rassurer ces communautés, trouver un espace commun entre les diverses communautés est nécessaire. Cela est possible puisque cette entente est établie dans l’éducation. En effet, dans le domaine éducatif, on met de côté les questions religieuses et politiques et on se rencontre pour traiter d’une même problématique tout en se respectant. Il faut donc trouver un pacte pour unir les diverses communautés.

3-           Les corps intermédiaires ont-ils une importance dans la société libanaise et notamment dans le système éducatif ? 

Un des avantages de la crise est qu’elle permet d’apprendre des choses. Dans le cas présent, cela a permis de passer d’un style de gestion à un autre : d’une gestion autoritaire où le chef d’établissement est le chef indiscutable, à une gestion plus coopérative avec un conseil d’établissement composé d’un comité d’enseignants, d’un comité de parents d’élèves, d’un comité d’anciens élèves et d’un comité de responsables locaux. Grâce à ces comités, on peut dépasser la crise actuelle car elle permet de se faire retrouver des acteurs sociétaux différents.

Les corps intermédiaires sont donc inclus dans les établissements pour donner une meilleure éducation. Mais le changement de mentalité est difficile. Seuls 10% des établissements ont adopté cette gestion.

4-           Le système confessionnel est indémontable mais le système clanique est le véritable problème. Peut-on dissocier système confessionnel et système clanique ?

En 1943, le président et le Premier Ministre ont réussi à trouver une charte nationale. Cela montre que l’on peut dépasser son propre bien personnel et le bien communautaire pour aller vers un bien national. Le Liban a finalement besoin d’hommes et de femmes d’Etat qui servent le bien général et non pas les biens personnels ou communautaires.

5-           Les principes éducatifs sont-ils en phase avec les principes familiaux ? Ces deux systèmes de valeurs sont-ils en concurrence ?

Ce qu’il faut comprendre c’est que les systèmes éducatifs libanais sont importés et non pas faits au Liban. Ce système n’est donc pas contextualisé. Les pays arabes doivent assumer leur responsabilité, créer quelque chose qui ne soit pas importé mais qui soit en harmonie avec leur manière de penser et leur culture. Au Liban, le système éducatif est importé de France. Or ce programme est français et non pas libanais.

6-           Comment les écoles catholiques vont-elles renaitre de la crise ? Du fait de leur importance, les écoles catholiques peuvent-elles lancer des initiatives de réconciliation ?

Une réforme éducative a eu lieu grâce à la crise. Il y a eu un accord sur un cadre national portant sur l’éducation. Malgré les dissensions cela a été mené à terme.

Après cette réforme, le projet est de mettre en place les standards sur l’écriture du nouveau programme scolaire.

Enfin, il faut également écrire les livres scolaires qui vont aider à la mise en place de ce programme.

Les écoles catholiques contribuent et prennent part à ces réformes. En tant qu’écoles catholiques, elles doivent pousser vers ces réformes qui unissent toutes les communautés.

Par ailleurs, il faut changer le niveau académique pour former des personnes compétentes, responsables et critiques. Ce changement académique mènera à changer le citoyen : un citoyen qui demande des comptes aux élus et qui a un esprit critique.