Le programme MOST (Management of Transformation of Social Science) est une composante
importante du secteur SHS (Social Human Science) qui prend appui sur trois piliers : la Recherche, le
Forum intergouvernemental pour solliciter les Etats, le soutien aux politiques publiques et le
renforcement des capacités. Ces deux sessions du Comité intergouvernemental (qui compte 27
membres représentants des Etats) ont eu pour objet l’élaboration d’une première ébauche de la
nouvelle stratégie du programme pour 2022-2029, les discussions du prochain plan d’action ayant été
reportées à une séance ultérieure.

La séance du 17 février a été introduite par la Directrice générale adjointe en charge du SHS
(Madame Gabriela Ramos) et les échanges au sein du CIG ont été précédés d’une courte
intervention de Mr Geoff Mulgan, Professeur de l’université de Londres (politique publique et
innovation sociale), ancien Directeur de la Fondation pour l’innovation au Royaume Uni, ancien haut
fonctionnaire qui a travaillé auprès du Premier Ministre du RU de 2006 à 2011.

Gabriela Ramos
Geoff Mulgan

Les transformations sociales, le rôle des sciences sociales ( Geoff Mulgan)

Une intervention inspirante
Cette brève conférence a été donnée par un universitaire marqué par son passé dans le monde
politique et l’administration, devenu acteur dans le domaine de la recherche et élément d’appui pour
promouvoir les débats citoyens se rapportant aux questions sociales.


Responsable-dirigeant d’un observatoire des politiques publiques en rapport avec la société, à partir
de cette expérience, il a pu aussi témoigner de tout l’apport que peut représenter l’examen des
pratiques et des politiques sociales dans le plus grand nombre de pays pour aider à faire face aux
grands défis qui très souvent sont en lien avec la survenance de crises. A cet égard le choc majeur
provoqué par la pandémie est une parfaite illustration du bien-fondé de ces démarches visant à
suivre les questions sociales partout dans le monde pour bien mesurer les impacts d’un tel choc, mais
aussi les retombées des mesures prises avec leurs effets sur le vécu des populations, et en en tirer
ainsi des leçons susceptibles de mieux guider les autorités publiques et d’éclairer les débats citoyens.

On retiendra de cette contribution inspirante quelques idées forces : l’existence bien souvent
d’angles morts, à savoir des éléments majeurs oubliés ou négligés. Un exemple a été donné lors des
travaux conduits il y a trois ans sur « le bonheur dans les sociétés » et le traitement des crises : un
peu comme une (surprenante ?) révélation, il est apparu à quel point le sujet des parents était un
« parent » pauvre ou même une question ignorée dans beaucoup de pays alors qu’il peut s’avérer un
puissant élément de soutien et de stabilisation. Deux autres exemples ont été donnés montrant
comment des recherches ou réflexions approfondies peuvent révéler des problématiques sociales
sensibles et aider à la définition de politiques publiques les concernant : l’insuffisante prise en
compte des éléments relationnels dans les politiques publiques relatives à l’habitat, la dimension du
voisinage.

Selon l’orateur, bien trop souvent, les aspects sociaux des politiques ne sont pas suffisamment
pensés : il y a trop souvent une « panne de pensée » et un « manque d’imagination » ; il est
important à ses yeux qu’on « mobilise les cerveaux » et que cela se fasse largement (pas d’entre soi
réservé aux experts) avec des outils innovants qui permettent l’émergence d’une pensée créatrice,
englobante, anticipatrice. Des méthodes sortant des habitudes peuvent produire de bons effets pour
les débats qui peuvent sembler compliqués à mener lorsqu’on abord les sujets touchant aux grandes
mutations de notre temps , comme par exemple la question du dérèglement climatique et de ses
effets sociaux. Quelques exemples de ces pratiques ont été donnés, comme le « jeu » du
« Pourquoi ? Parce que ? » ou du « quid si ? » ou encore l’idée d’échanges organisés à partir de
certains scenarios, ou sur la base de « narratifs type « science-fiction » ; il a été fait remarquer à cet
égard que l’Unesco peut témoigner d’expériences réussies notamment avec les apports de son
laboratoire de la littératie. Si l’intelligence collective doit jouer tout son rôle au travers de ces débats,
les systèmes d’Intelligence Artificielle doivent pouvoir aussi être utilisés.


Autre point rappelé à juste titre : l’impact des crises qui peut être à la fois révélateur de difficultés
sociales qui s’exacerbent ou accélérateur de réformes. La crise du Covid l’a parfaitement montré : il y
a eu partout ses méfaits ( la violence faite aux femmes, l’accroissement des inégalités, les
décrochages scolaires ou professionnels) mais aussi des retombées positives qui vont induire des
changements appelés à durer, l’usage accru du numérique et de nouvelles méthodes de travail sont
les deux phénomènes les plus marquants, mais il y a eu d’autres impacts positifs parfois moins
connus ; a été citée ici la question des SDF qui a amené une meilleure appréhension de leurs
problèmes et, partant, un meilleur traitement de ce sujet éminemment social.

Deux autres points ont été mentionnés : celui de l’information (il faut pouvoir compter sur des
réflexions ou débats nourris par de bonnes informations, et se garder de s’engager sur des pistes
fallacieuses ; celui de l’expérimentation qui peut être une bonne approche avant de mettre en œuvre
des réformes à visées sociales (une expérience actuellement menée au Royaume Uni sur l’idée d’un
revenu universel)

En dernier lieu, l’accent a été mis sans surprise sur toute l’utilité des contributions que peuvent
apporter les chercheurs qui grâce à leurs approches conceptuelles et analytiques sont
particulièrement bien placés pour organiser la collecte des données et servir au pilotage des actions.

Les interventions des délégués
Plusieurs membres du MOST sont intervenus pour saluer la qualité des propos tenus et ajouter les
éléments de commentaires suivants (donnés de façon succincte) : « oui, il faut penser l’avenir, et là
on peut miser sur les atouts de l’Unesco », « un sujet mérite de profonds approfondissements : le
vieillissement », « il n’y a jamais une seule réponse, qu’il s’agisse d’agriculture ou de questions
énergétiques, chaque pays doit avoir ses modèles selon ses particularités », « les pensées doivent
s’inscrire dans le temps long », « s’il est bien de réfléchir ensemble, on ne saurait s’acheminer vers
une pensée commune qui viendrait de San Francisco (NDLR : ou de la Silicon Valley ?), « il est bien
d’avoir mentionné la situation des Femmes à propos de la pandémie ; on ne dit pas à quel point les
choses se sont aggravées les concernant ; il faut rendre plus visibles les cas les plus flagrants », « on a
raison d’appeler à une grande rigueur des approches : il faut aller au fond des choses et poser parfois
les questions clefs comme par exemple : ce que doit être une ville, ou la question des rapports
homme-femme, ou encore ce qu’on entend par l’idée d’une vie bonne », « il est bon aussi, à la
lumière des leçons que l’on peut tirer de grandes expériences comme celles du Club de Rome,
d’apprécier dans quelle mesure les états d’esprit ont changé »

Introduction du débat stratégique (Gabriela Ramos, Directrice générale adjointe en charge du secteur SHS)

  • En introduisant le débat, Mme Ramos a tenu un propos engageant et souligné à quel point le
    contexte présent justifie le bien-fondé du MOST. On reprend ci-après un résumé de son
    intervention.

  • Le document stratégique doit dessiner une nouvelle voie pour le programme MOST dans le contexte
    (post)covid. Le discours à construire doit être clair et pertinent quant aux missions à remplir en misant
    sur les atouts de la démarche retenue.

  • il faut souligner l’élément déterminant que représente le lien à établir (une mise en résonance)
    entre les domaines de la Recherche et du Politique : c’est un point qu’a bien mis en évidence M
    Malgan, et que doit illustrer la démarche MOST qui doit en quelque sorte orchestrer des réseaux de
    collaborations entre chercheurs avec la mobilisation de centres d’excellence de toutes origines
    géographiques.

  • Les travaux à mener doivent être nourris par des faits (les données) et traiter des graves problèmes
    sociaux que l’on connait actuellement avec l’accentuation criante des inégalités, des entreprises
    technologiques inégalement réparties et qui s’enrichissent de plus en plus à un moment ou des
    dizaines de millions de personnes tombent dans la trappe de la pauvreté : du jamais vu depuis une
    dizaine d’années.

  • À dix ans de l’échéance, l’agenda des ODD apparaît décevant, il est temps de faire face et MOST doit
    pouvoir se montrer à la hauteur pour apporter sa part au traitement des grandes questions qui se
    posent (le climat, la démographie, le numérique) ; beaucoup est à faire, et le social est à mettre au
    premier plan, car on doit mieux comprendre ce qui change dans le monde réel. On doit se féliciter que
    le prochain Forum mondial sur les Sciences se soit donné comme thème de discussion la justice
    sociale. MOST pourra collaborer ici, et, plus généralement continuer de mener l’action
    proactivement avec un esprit pionnier en pouvant compter, il faut l’espérer, sur un plein soutien des
    Etats.

Les Délibérations du Comité : points d’attention, éléments de commentaires

MOST est un programme dont les bases sont bien établies, la reformulation de la stratégie apparaît
ainsi comme un prolongement assez naturel des précédentes orientations ; elle intègre néanmoins
des idées qui mettent mieux en relief les concepts et notions retenus dans les nouveaux documents
C4/C5 comme cadres de fonctionnement de l’Unesco pour les années à venir.
Une version provisoire de cette nouvelle stratégie a été mise au point par le CIG, des améliorations
restent à apporter, mais elles sont d’importance mineure ; les amendements proposés par un petit
nombre d’Etats n’ont pas posé de réels problèmes, un large consensus prévalant sur le bien-fondé et
le contenu des missions de MOST. Ce programme unique en son genre au sein de la famille onusienne
vise à comprendre et suivre (« gérer » est un terme qui a été introduit) les grandes transformations
sociales en prenant appui sur les Sciences Humaines et Sociales.

On rappellera à cet égard les trois grands objectifs fondamentaux du programme : aider les politiques publiques, transmettre les savoirs issus des recherches en matière de SHS, enrichir les débats.
Les modifications introduites ont surtout visé à plus spécifier les acteurs susceptibles d’être intégrés
dans les travaux du MOST (ex : agences onusiennes, structures internes de l’Unesco, les chaires
Unesco, le réseau des villes créatives, les Forums ou grandes organisations internationales comme le
Forum des Sciences). Sur le sujet des parties prenantes, on a relevé très souvent mentionnée la
coalition BRIDGE, organisation créée en 2021 qui a pour objet la promotion de la science de la
durabilité. Si cette « émanation » de MOST est incontestablement appelée à contribuer à son
activité, elle a été moins favorablement accueillie dans les assez nombreuses propositions
d’amendements qu’elle souhaitait voir introduits, plusieurs délégués faisant valoir qu’il ne s’agissait
pas d’une organisation intergouvernementale et qu’en conséquence la plupart des propositions
avancées ne pouvaient être retenues.


D’une manière générale, beaucoup de modifications suggérées ont visé à entrer parfois dans des
détails ne favorisant pas l’allègement des formulations ; il y a ici le souci compréhensible de ne « rien
oublier », mais il est paru parfois que l’on pouvait s’accommoder de considérations plus générales
permettant d’éviter par exemple de trop longues énumérations ou, à propos des
coopérations/partenariats ne pas les citer trop précisément ou abusivement.


Quelques autres éléments remarqués :

  • invitation à bien mentionner parmi les préoccupations à retenir : la question du droit des femmes, le
    souci de respecter l’utilisation des six langues officielles pour préserver une ouverture d’esprit
    suffisante, la nécessité de bien promouvoir les travaux du programme et aussi d’en rendre compte au
    travers d’un outil d’évaluation (avec des indicateurs pertinents montrant par exemple le niveau des
    retombées des travaux MOST pour ce qui concerne la définition des politiques publiques.
  • autre ajout concernant les champs à couvrir : le patrimoine culturel immatériel
  • un amendement a visé à mieux montrer l’accent à mettre sur les personnes et le capital humain, et
    faire mention, à propos de l’économie, du sujet « économie circulaire », plus que des valeurs du PIB
  • quatre priorités seront proposées pour sélectionner les thèmes de discussion et projets de
    recherche : les inégalités et la pauvreté, l’environnement, les questions de gouvernance, la
    transformation numérique ; on aura remarqué ici une proposition de la Chine pour ajouter un
    cinquième objectif, le délégué chinois ayant fait remarquer que cette demande était une demande
    expresse gouvernementale : « développement coordonné de la population, la société et de
    l’environnement » . Un délégué a demandé un élément d’explication sur cette proposition, un autre a
    relevé un élément redondant avec l’allusion aux questions environnementales. Il a été répondu qu’il
    paraissait souhaitable de faire ressortir l’importance des trois sujets et le fait qu’il y ait de possibles
    interactions entre eux ; il a été convenu d’intégrer la proposition au niveau de la priorité 3
    (environnement) en la modifiant légèrement.
  • il a été demandé de bien traiter les aspects ressources, qu’elles soient financières ou humaines ;
    cette insistance
    introduite dans le document stratégique renvoie aux expériences récentes du
    programme qui a été pénalisé du fait de l’insuffisance des moyens.
  • terminologie : à la place de « silo » (appel à éviter ce risque), a été retenu le terme « segmentation ;
    le mot « sociétal » mentionné une seule fois a été remplacé par « social », qui est plus général et
    moins connoté.
  • une proposition a visé à évoquer les préoccupations pour le bien commun, elle a été insérée dans le
    texte sous l’appellation en anglais de « commons » (plutôt que « common good »)

En conclusion des débats il a été convenu que le CIG se réunira à nouveau début mars pour
examiner le plan d’action et rediscuter le document stratégique avec présentation d’un projet de
matrice d’évaluation que pourra formaliser le secrétariat ; à noter qu’a aussi été retenue la
proposition d’élaborer un résumé du document stratégique MOST qui pourra opportunément être
utilisé comme moyen de mieux faire connaître le contenu et l’ambition du programme MOST.


Le document stratégique définitif sera présenté au Conseil Exécutif pour adoption à sa 215 ème session
(octobre 2022)