Route de la Soie : Projets d’envergure, enjeux géostratégiques, nombreux sujets en débat


LInstitut Afrique Monde a organisé le 4 Avril 2019 à 17h un échange sur un thème d’actualité que résume bien le titre de cette conférence :

« Xi Jinping en Europe, une étape des Nouvelles Routes de la Soie »

Conférence donnée par

M. Christian VICENTY, spécialiste des Nouvelles Routes de la Soie, chargé de mission Chine/Russie, Ukraine, Nouvelles Routes de la Soie auprès du Ministère Français de l’Économie et des Finances,

M. Manga KUOH, membre de l’Institut Afrique Monde, ancien fonctionnaire camerounais de la Banque Mondiale et du FMI, auteur, consultant et chargé d’enseignements à Paris et à Washington.


Quels sont les objectifs et les enjeux des Nouvelles Routes de la Soie?

L’objectif affiché par la République Populaire de Chine pour le projet BRI (Belt and Road Initiative), est de relier la Chine à l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine par une route terrestre (en rouge sur la carte partielle ci-jointe) et une voie maritime (en bleu). Cet objectif ambitieux intéresse 103 des 200 pays recensés par l’ONU. Il se compose de 300 méga-contrats de construction nouvelles ou d’améliorations d’infrastructures existantes ainsi que de leur financement. Les investissements déjà signés se chiffrent à 210 milliards de dollars pour un total estimé à 1000 milliards de dollars. Ces nouvelles routes devraient être pleinement opérationnelles en 2049 lors du Centenaire de la République de Chine.


Quelles sont les positions de la France et de l’Europe vis-à-vis des Nouvelles Routes de la Soie ?

Pour s’en tenir à l’Union Européenne, à ce jour, seuls 13 de ses (27) membres ont signé un protocole d’accord (MoU : Memorandum of Understanding) avec la Chine en rapport avec le projet.

Le cas de l’Italie est symptomatique de cette partition. Ce pays, membre fondateur de l’Union Européenne (UE), du G7, de l’OTAN a reçu le président Xi, juste avant de rencontrer le président MACRON, la chancelière allemande et le président de l’UE. Le président italien Mr Sergio Mattarella s’est félicité d’avoir signé, sans concertation avec l’UE, des accords pour le financement de 2 ports, de la 5G, et peut-être du sauvetage d’Alitalia, de sa participation dans l’Électricité italienne et peut-être d’une aide sur leur dette.

En ce qui concerne la France, on peut déplorer que, pour un sujet majeur aussi stratégique, on ne constate aucune coordination entre les Ministères concernés et même d’échange d’idées. On semble tolérer ce projet en demandant à la Chine des conditions de réciprocité, mais cela ne rentre pas dans le cadre de négociations plus générales.

La Chine est perçue comme un « rival systémique » et non comme un partenaire potentiel car, dans cette entreprise d’envergure, elle apparaît comme l’acteur déterminant d’un projet dont elle a pris l’initiative. On préférerait comme dans un spectacle se donner le rôle principal. Alors, encouragé au surplus par la peur de décevoir et par le sentiment que l’on œuvre pour l’emploi, on prend de belles postures avec la satisfaction affichée de signer un gros contrat avec AIRBUS pour 300 avions, mais rien n’est fait pour des actions plus diffuses, sur le terrain, qui pourraient offrir aux PME françaises des perspectives d’avenir vers la Chine.

Cet attentisme ou plutôt cette absence donne une image regrettable : AIRBUS frappe les esprits mais c’est l’arbre qui ne cache pas la forêt mais le désert.


Quelles polémiques épineuses en émergent ? Quelles discussions ont été engagées lors de la visite du président XI ?

La presse mondiale joue le rôle d’amplificateur de cette posture en présentant le chinois comme un pilleur de richesse (à droite photo du TGV chinois) et la Chine un pays à la liberté très surveillée voire inexistante. De nombreux indices indiquent que les situations évoluent très vite et sont à comparer avec un passé impitoyable. De plus, l’expérience d’autres prouvent que les chinois peuvent changer d’avis lors de négociations.

Pourquoi refuser de discuter sérieusement avec les chinois ? Qu’est devenue l’audace d’un De Gaulle qui a été le premier chef d’État à reconnaître la Chine le 27 Janvier 1964 ? Grace à ce statut unique, il semble que la Chine voudrait faire de la France un partenaire privilégié, ce que de nombreux hauts fonctionnaires nationaux feignent d’ignorer. A noter que pour certains appartenant à la Gauche française, la Chine capitaliste actuelle s’est dévoyée de la pureté du communisme de Mao…

Pourtant il est chaque jour plus urgent de commencer les discussions d’abord pour ne pas laisser spolier notre patrimoine privé mais même public et notre propriété intellectuelle et culturelle.

Ensuite la Chine veut maîtriser les réseaux mais elle semble ouverte au partage des règles d’utilisation. Si on la laisse faire aujourd’hui, il ne faudra pas se plaindre demain d’être devant le fait accompli, au profit d’acteurs privés européens, africains ou chinois moins scrupuleux.

De plus des règles et normes communes sont une des forces de l’Union Européenne, ce qui nous permet de nous protéger. La solution négociée avec la Chine devra être compatible avec ces normes. Soit nous y participons, soit nous en serons exclus.


Quelles sont les attentes mutuelles sous-jacentes de cette visite ?

Les affinités historiques expliquent de nombreux positionnements. En particulier, l’Italie a gardé le souvenir du rôle de Venise au 13ème siècle avec cette route terrestre de la soie décrite par Marco Polo. Ensuite le Portugal a découvert le monde au 15ème siècle jusqu’à la Chine (Macao) par la voie maritime. Le Portugal est le pays européen le plus avancé avec les chinois aujourd’hui, avec par exemple l’extension du terminal maritime des porte-containers Vasco de Gama de Sines lieu de naissance de ce grand navigateur ou bien la participation majoritaire des chinois au capital d’EDP (Energias de Portugal) dont le rachat avait débuté dès 2011 et qui est la deuxième valeur à la bourse de Lisbonne.

Le paradoxe géopolitique actuel est que la Chine Communiste, à la réputation fermée, ouvre des murs alors que le États-Unis pays ultralibéral construisent des murs. L’érection de ces murs peut être perçue comme une perte de confiance en soi.

La Route de la soie est un bel exemple de solidarité envers des pays souvent exclus par les occidentaux comme l’Iran, le Pakistan ou la Russie et soumis à des embargos sans fin.

Ce projet se mettra en place de toute façon et il vaut mieux que nous français y participions. En effet aujourd’hui la route Nord s’arrête en Allemagne et la France n’en fait pas partie. Or il nous faut travailler sur ces 300 projets de la Route de la Soie afin d’y apporter de la valeur pour la Chine mais d’abord pour la France.

La globalisation est poussée par ceux qui en bénéficient. Ceux qui se ferment ou attendent sont les perdants (Russie).

La Chine a renversé sa stratégie avec l’objectif clair de retrouver la première place mondiale qu’elle a délaissé il y a 500 ans.


Quelles sont les opportunités et conséquences pour l’Afrique ?

L’Afrique est très intéressée par la Chine car cette dernière n’a pas un passé colonisateur, ne pratique pas l’ingérence et est tiers-mondiste depuis la conférence de Bandung en 1955.

Les matières premières représentent 90% des exportations africaines. L’Afrique a besoin d’énormes investissements pour exporter davantage de produits finis à haute profitabilité.

Or la Chine est le seul pays qui y investit significativement grâce à une volonté politique rendue possible par des coûts de main d’œuvre bon marché, provenant d’un réservoir de centaines de millions de personnes, au service d’un savoir-faire de plus en plus performant. Les USA tremblent et l’Europe joue dispersée…

Saura-t-elle transmettre ce savoir-faire à l’Afrique plus efficacement que l’Occident ? D’énormes changements sociologiques sont à démarrer par les chinois sans délai, car le processus du transfert de connaissance est un long chemin, surtout avec l’Afrique, où il ne suffit pas de parler la même langue….

A noter qu’une université chinoise a été ouverte au Ghana.

On sent que les progressistes africains sont très promoteurs d’une relation étroite avec la Chine qui les aidera à tourner la page de l’Occident.

Un africain dans la salle a néanmoins indiqué qu’il faudra davantage de gouvernance de la part des africains. En effet, d’après son expérience, la corruption pourrait faire capoter le projet après des inaugurations somptueuses. En pratique les détournements de fonds au profit d’acteurs peu scrupuleux sont plus faciles en ce qui concerne les frais de fonctionnement que pour les gros investissements initiaux. Concrètement, les opérations réalisées dans le cadre des projets sont souvent effectuées pendant des années par une foule de PME locales non contrôlées. Dans ces conditions, les détournements peuvent être plus faciles et entraîner en conséquence des défauts de maintenance des infrastructures (route ou autres) ou l’arrêt des efforts de formation du personnel qui aboutissent souvent à des « Éléphants Blancs » : c’est le nom donné à ces projets qui meurent après quelques années d’opération faute d’être maintenus et réparés. Ceci est lié à un problème rédhibitoire de mauvaise gouvernance.

L’ingérence étrangère est un autre sujet de préoccupation lorsqu’elle expose à un risque pour la sécurité nationale des pays d’accueil. C’est aussi un problème de gouvernance à traiter en amont.

La propriété foncière est un sujet délicat quand les partenaires étrangers s’accaparent les terres qui sont considérées comme les meilleures par les autochtones.

En ce qui concerne l’aspect culturel, il y a deux Chine qui collaboreront avec les africains : celle des diplomates et des cadres des grandes entreprises chinoises et celle du personnel chinois qui vient souvent des campagnes encore arriérées. Il faudra alors savoir gérer le décalage culturel qui pourrait mécontenter certains africains.