Depuis 2013 (découverte du « ciseau génétique » CRISP), l’édition du génome, et plus généralement la génétique, ont amené de réels bouleversements avec des effets spectaculaires qui ne sont pas sans « poser question » . Cette table ronde s’inscrit dans le cadre d’une initiative portée par le secteur Sciences Humaines et Sociales au titre de sa compétence dans le domaine éthique, secteur auquel sont rattachés le CIB (Comité international de la bioéthique et  la COMEST ( Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies). C’est la quatrième et dernière rencontre, après les trois précédentes qui ont porté respectivement sur la question du « pourquoi une éthique de l’édition du génome» , l’impact de cette technologie, et enfin l’écoute de la société avec l’engagement du (grand) public.

C’est Le 20 janvier que s’est tenue pendant une heure et demie la dernière table-ronde de ce cycle d’échanges, très important en ce que l’édition du génome touche au plus profond de ce qui « gouverne » nos vies, l’essence du vivant en somme : le matériel génétique.

Hervé Chneiweiss, neurologue de l’INSERM et ancien président du CIB, a animé les échanges entre trois experts :  Françoise Baylis, sociologue canadienne, membre d’un groupe de travail de l’OMS réfléchissant aux questions éthiques que posent les techniques génétiques, M  Hidenori Akutsu, médecin japonais spécialiste en « médecine reproductive », et Mme Martine Crispo de l’Institut Pasteur de Montevideo (Uruguay), praticienne experte dans le domaine de l’édition génétique animale.

Trois cent cinquante personnes ont ainsi suivi à distance une discussion enrichissante qui a mis en évidence l’acuité du sujet : rapidité des évolutions technologiques, dimension mondiale des préoccupations mais aussi de très grandes disparités qu’il s’agisse des accès aux thérapies ou des réponses des pouvoirs publics (politiques publiques, régulation)

Le secrétaire général de la Commission Nationale du Japon pour l’UNESCO (le Japon a pris une part active dans l’organisation du cycle de ces quatre tables rondes) et Mme Gabriela Ramos, Directrice Générale adjointe responsable du secteur SHS ont introduit la séance.

Des propos tenus par les experts, on aura tout particulièrement relevé le témoignage des trois intervenants sur ce le champ de leurs préoccupations, et les principales idées mises en évidence, avec un accent tout particulier sur les nécessaires débats qu’il faut absolument organiser sur une question aussi sensible pour ne pas dire « interpellante » que celle du génome vu sous l’angle de son édition, terme usuellement utilisé pour désigner en vérité les modifications génétiques que sont maintenant capables de produire les chercheurs ou médecins spécialisés en manipulant les cellules génétiques.

Les propos introductifs

M Yasuhi Taguchi (Secrétaire Général de la Commission Nationale UNESCO du Japon) a insisté pour dire qu’en cette matière, comme cela est aussi le cas avec la façon de traiter la crise du Covid, il faut se soucier du bien être avec grand respect pour la dignité humaine et en se conformant aux droits de l’homme. Dans cet esprit, a-t-il ajouté, il est important de se soucier de l’égalité des accès à ces nouvelles applications issues de la science et de mesurer leurs impacts tant elles vont affecter la vie de nos sociétés, les vies individuelles.

Mme Ramos (ADG UNESCO) relève aussi l’analogie entre ce qui touche l’édition du génome et ce qui ressort de la crise du Covid : deux extraordinaires progrès (ciseaux CRISPR notamment pour le génome,  et vaccins pour le Covid) avec d’évidentes retombées positives mais aussi  persistance d’une certaine méfiance allant parfois jusqu’à de la défiance. Il y a eu, de fait, des avancées remarquables notamment pour éradiquer certains fléaux comme le paludisme ou soigner efficacement des maladies sanguines faisant des millions de morts (troubles  hémoglobines en Afrique notamment), on doit s’en féliciter. Mais ces réalisations et les promesses de nouveaux progrès ne doivent pas faire oublier les problèmes qui subsistent : diffusion insuffisante des savoirs et des techniques (voir notamment le sujet des brevets), discrimination économique. Il y a là deux thèmes centraux à traiter positivement et résolument : la régulation et le partage.

M Hervé Chneiweiss a bien traduit ce qui est en jeu : la capacité de modifier l’expression du génome en ciblant ce qu’on veut obtenir de ces manipulations. Eu égard à la sensibilité du sujet, il était naturel que soient posées des questions d’ordre éthique et que des recommandations soient émises. C’est ce qu’ont fait l’ONU et l’UNESCO au travers de Déclarations solennelles sur le génome et les droits de l’homme en 1997, le génome ayant été déclaré comme un « patrimoine universel ». Ont suivi un peu plus tard une « déclaration sur la génétique », et en 2015 une mise à jour des Recommandations sur le génome déjà émises soulignant l’importance des avancées et appelant l’attention sur les impacts. C’est aussi en 2015 qu’a été énoncé le principe d’interdiction de travaux sur le génome à but transmissible.

Après avoir rappelé les sujets traités par les précédentes tables rondes, Hervé Chneiweiss en retient en quelque sorte la quintessence en indiquant deux points sur lesquels a été portée une grande attention : la nature du sujet, en ce qu’il renvoie à la vie et au sens même de l’existence, et la nécessité de faire partager largement les bienfaits des avancées que représentent les technologies de l’édition du génome et toutes leurs applications. Il y a là une dimension de justice sociale de toute première importance.

Trois témoignages 

Mme Baylis se réfère dans une large mesure à un rapport produit par l’OMS en juillet 2021 à la rédaction duquel elle a participé (groupe de travail). A l’aide de présentations cartographiques très parlantes, elle a montré la grande diversité des situations dans le monde sous l’angle juridique : la science est mondiale, mais juridiquement, dans ses applications en matière d’édition du génome, on est loin d’avoir une grande homogénéité, et encore beaucoup de pays ne traitent pas la question.

S’agissant de gouvernance, il serait bon que l’on s’achemine vers l’adoption de principes et valeurs partagés comme y renvoient les notions suivantes : inclusion, équité, justice, solidarité, non-discrimination.

Autre idée mise en exergue : la nécessité de larges dialogues, associant le grand public. Sur ces questions, il ne faut pas que les discussions se cantonnent au niveau des experts, il ne faut pas non plus qu’on s’en tienne à des dialogues avec les couches les plus aisées de la population. Pour ce qui est des essais cliniques, il importe d’associer les patients. D’une manière générale, on doit donner de grandes orientations aux chercheurs, les Politiques doivent plus (pleinement) s’impliquer et le faire en écoutant les citoyens.

Mais, pour mener à bien tous les nécessaires échanges à développer lato sensu, il faut diffuser une information de qualité, se préoccuper d’une bonne compréhension des problématiques, ce qui passe par des actions de sensibilisation, d’éducation et une mobilisation par adhésion.

Avant d’évoquer la question de la régulation dans son pays, le docteur Hidenori Akutsu est entré un peu plus dans le vif du sujet en parlant des objets précisément concernés dans ces techniques génétiques : les cellules humaines, et notamment les cellules germinales et le placenta, les embryons. Cela lui a permis alors de mieux rendre le sens de ce que fait son pays en matière de régulation, avec un cadre clair pour asseoir les bases juridiques des thérapies géniques et des principes, notamment ceux concernant les manipulations sur les cellules germinales quant à leur utilisation pour la recherche fondamentale ou avec des visées reproductives. Sous la surveillance d’un Comité d’experts en bioéthique sont définies des normes qui se conforment aux grandes orientations internationales. Ces bornes ont été définies à l’issue de longues discussion, elles énoncent des interdictions (en rapport notamment avec les cellules germinales) ou fixent des limites strictes quant à l’objet des travaux de recherche en ce domaine (comme par exemple des travaux qui ne peuvent porter que sur la compréhension des processus) ; les travaux en cours portent sur l’élaboration de règles ayant pour objet l’interdiction des manipulations qui seraient conçues pour créer des « bébés » selon des visées intellectuelles (NDLR  comme si l’on élaborait un cahier des charges).

Mme Crispo a abordé les questions autour du génome s’appliquant aux espèces animales. Là aussi elle a rendu compte des réalisations qui sur les dix dernières années ont produit des effets spectaculaires en termes de productivité ou de bien être (augmentation de la masse musculaire, et partant du poids, résistance accrue à certaines maladies endémiques, mutations visant à générer un bétail inoffensif ou à soigner de possibles infections respiratoires, contrôle des espèces invasives comme les moustiques ou les parasites) ; autre application, plus sujette à discussion : celle qui viserait à utiliser du matériel génétique animal à destination d’êtres humains et qui pose manifestement des problèmes éthiques.

Comme on le voit avec cette série d’exemples, beaucoup d’expériences tendent à banaliser ces pratiques, elles deviennent plus faciles et peuvent ainsi se diffuser aisément ; il est important nous dit l’oratrice que le développement de l’utilisation de ces techniques s’opère à bon escient, avec d’éventuels accompagnements réglementaires, or ici on est loin du compte .Si l’Europe est engagée à ce titre, de grands pays comme les Etats-Unis ou le Canada laissent assez le champ libre.

Hervé Chneiweiss revient sur le sujet de la régulation et de l’éthique. Avec l’exemple récent de la greffe d’un cœur de porc génétiquement modifié dans un corps humain, on voit se dessiner un nouveau monde nous dit-il, cela peut donner à espérer mais les prouesses de la technologiques ne sont pas anodines ajoute-t-il : elles posent la question de notre avenir, de notre relation avec le monde animal, de notre conception de la vie….jusqu’où aller pour prolonger la vie, quelle conception alors allons nous donner à l’idée de notre mortalité, avec en l’occurrence utilisation de l’animal que l’on privera de sa survie pour sauver une vie , avec ces transplantation de cœurs animaux génétiquement modifiés. Sans parler des risques, on voit bien qu’il y a matière à débat, et que ces sujets sont à traiter avec grande prudence, c’est en ce sens que s’exprime M Akutsu tout en disant qu’on ne devait pas priver la recherche scientifique de pouvoir bénéficier du ressort qui est sa raison d’être : la curiosité.

A propos des greffes appelant préalablement des manipulations génétiques, Mme Baylis rappelle qu’elles sont coûteuses, et finalement accessibles à peu de gens, ce qui ne doit pas manquer d’interpeler les opinions publiques comme les gouvernements dans les choix qu’ils arrêtent dans ces domaines.

Quelques autres observations

  • l’OMS doit faire plus pour que sur le thème des normes ou des recommandations il y ait de réelles avancées : s’agissant de découvertes scientifiques, il faut une perspective mondiale
  • il faut diffuser plus d’informations tout particulièrement vers les pays qui n’ont pas de règles, et aussi vers le monde de la Recherche, qu’elle soit fondamentale ou appliquée, en leur passant des messages pour que les innovations issues de l’édition du génome soient exploitées à bon escient, en appelant à avoir un grand sens des responsabilités, ce qui suppose de bien appréhender et juger les impacts de ces innovations, avec une bonne gouvernance pour y parvenir. Là encore, on doit insister sur cette idée du partage des connaissances et l’adoption de règles communes pour éviter toutes dérives qui amèneraient un usage inapproprié de ces technologies développées autour ou par le biais de l’édition du génome.
  • L’aspect « sécurité » est particulièrement important, alors que se développe toute une ingénierie génétique, il est important de s’assurer d’une stabilité suffisante des matériaux, stabilité en soi, stabilité dans le temps (l’intergénérationnel)
  • Les questions éthiques sont à pleinement considérer, surtout lorsque les technologies impactent les embryons humains, les greffes
  • de l’importance des débats à tous niveaux avec association de tous les acteurs, qu’ils soient experts, représentants de la société civile ou du monde politique.
  • Les débats doivent être bien organisés avec une bonne information des participants et une bonne compréhension de leur part, étant donné qu’il peut s’agir parfois de sujets délicats et complexes.
  • les discussions à organiser doivent l’être dans des espaces appropriés, avec le souci de ne pas cantonner les échanges dans un entre-soi d’experts ou de les confisquer au profit de la seule parole des experts.
  • il ne faut pas non plus circonscrire les dialogues au seul domaine médical, il y a notamment à investir le terrain des sciences sociales et humaines
  • Hervé Chneiweiss dans son mot de conclusion a insisté sur les points suivants : on est dans un domaine qui évolue à vive allure, il faut que les processus engagés se « co-construisent », dans la clarté, avec des moyens suffisants notamment pour financer les infrastructures, et une grande préoccupation de justice sociale. (Se soucier des inégalités souvent criantes, et d’égalité d’accès pour permettre au plus grand nombre de bénéficier des progrès de la science en matière génétique)
  • Gabriella Ramos fait écho aux mêmes idées en ajoutant que tous les progrès dont nous sommes témoins dans le domaine de la génétique (et ici plus particulièrement dans l’exploitation du potentiel qu’offre l’édition du génome) doivent profiter à tous, avec équité (égalité d’accès) et avec du sens pour de bonnes répercussions sociales et sociétales.

Excellent échange, dont la totalité peut se retrouver en vidéo sur le site UNESCO comme pour les trois précédentes tables rondes ; le sujet est important et continuera d’être suivi à l’UNESCO (au sein du CIB).