Réserves de biosphère et stratégies autochtones pour la sauvegarde des territoires sacrés, des styles de vie traditionnels et l’utilisation durable des terres
histoire et visions de la Réserve de biosphère de Ts
á Tué au Canada

UNESCO, lundi 3 avril 2017

Une délégation de représentants de la communauté autochtone Déné Sahtúot’ine était invitée à partager son histoire et sa vision pour la réserve de biosphère de Tsá Tué au Canada dans le cadre d’une matinée organisée par la Commission du Canada pour l’UNESCO, le Programme sur l’Homme et la biosphère (MAB) et le Programme Systèmes de savoirs locaux et autochtones (UNESCO-LINKS).

Cet événement se déroulait en présence de la Directrice Générale de l’UNESCO, Mme Irina Bokova, et de Mme Elaine Ayotte, Ambassadeur du Canada auprès de l’UNESCO. Les échanges étaient animés par M. Douglas Nakashima, Chef de Section Petites îles et savoirs locaux et autochtones, UNESCO et Mme Meriem Bouamrane, Secrétariat du MAB, UNESCO.

La Réserve de biosphère Tsá Tué est située dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada. Elle couvre plus de 93 000 km2 (deux fois la superficie de la Suisse). La région est la terre natale des Sahtuto’ine, le « peuple du lac de l’ours ». Elle comprend le Grand Lac de l’Ours, dernier lac arctique vierge, et une partie de son bassin hydrographique. La culture Sahtuto’ine est intrinsèquement liée à la santé du lac, de son bassin et des animaux qui l’habitent. En tant que tel, le maintien de l’intégrité écologique du lac et de son bassin revêt une importance primordiale pour le peuple Sahtuto’ine.

Pendant près de trois ans les organismes communautaires, les aînés et l’ensemble de la communauté autochtone des Déné Sahtuto’ine (600 habitants) ont œuvré pour que leur territoire sacré traditionnel puisse être désigné en mars 2016 comme Réserve de biosphère de l’UNESCO et partie intégrante du Réseau mondial des réserves de biosphère1.Cette reconnaissance est un événement historique pour la communauté, pour le Canada et pour le Programme sur l’Homme et la biosphère (MAB) car Tsá Tué est, et demeure à ce jour, la seule réserve de biosphère au monde établie et gérée en totalité par une communauté autochtone depuis le lancement du programme MAB en 1971.

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Dans son discours d’ouverture, Mme Bokova a insisté sur le fait : « qu’aujourd’hui, plus que jamais nous devons développer de nouvelles relations de respect, d’harmonie et de solidarité entre l’humanité et la planète, entre les communautés et les écosystèmes qui les nourrissentLe véritable test pour l’Agenda 2030 pour le développement durable est de parvenir à faire progresser ensemble tous les peuples, sur la même planète, partageant le même destin… L’Agenda 2030 reconnaît pour la première fois au plus haut niveau le rôle des peuples autochtones et leur contribution pour construire un avenir meilleur pour tous. »

Mme Ayotte a souligné dans son intervention l’importance de cette réserve naturelle et culturelle et le rôle des anciens et des chefs de la communauté locale qui ont œuvré pendant de nombreuses années pour développer une gestion environnementale responsable du site et maintenir la santé des écosystèmes et le mode de vie traditionnel de ses habitants.


Témoignages : histoire et vision.

L’évolution depuis les années ’50-’60 : les pères de la génération actuelle étaient trappeurs et vivaient du commerce des fourrures, pour rejoindre la première bourgade (65 miles) il fallait deux semaines en traîneau et canot, première école et infirmerie en 1950 et une seule ligne téléphonique, années ’60 : maisons en dur, première liaison par avion en 1970 limitée par les conditions climatiques, années ’80 première télévision. Aujourd’hui une route est joignable à 7 km, la liaison par avion fonctionne 10 mois de l’année.

Le respect des aînés : « Les aînés comptent tellement à nos yeux. Ce sont les aînés de Déline qui ont transmis l’histoire au fil de nombreuses générations. Les anciens n’écrivent pas, ils gardent la mémoire et transmettent les savoirs accumulés. Nous avons tout à apprendre des aînés. » Aujourd’hui encore, bien qu’il existe maintenant un gouvernement local, toutes les décisions de la communauté sont soumises aux aînés.

Le respect de la nature : « La terre raconte notre histoire, on voit du lac la terre où ont vécu nos ancêtres. La chasse au caribou est contrôlée. Le lac a un rôle pour tous, les poissons du lac sont un bien précieux pour nous. » « Pour la terre qui nous donne la vie, pour la terre qui nous aime, pour la terre nous devons être des soignants, pour la terre qui nous pousse à la parcourir pour partager sa beauté et le ravissement qu’elle inspire.2 »

La reconnaissance d’un gouvernement autonome : il a fallu un processus de 18 ans qui a débuté en 1980 pour que la communauté autochtone obtienne un accord du gouvernement canadien sur la récupération de ses terres et la possibilité d’établir un gouvernement autonome. « Nous disposons de tous les pouvoirs pour légiférer ». Les dossiers prioritaires du gouvernement autonome sont le plan de protection du caribou (150 000 il y a 15 ans, 60 000 aujourd’hui) et le plan de préservation de la nature et des principes de développement durable.

La langue, la culture et la transmission aux jeunes : la langue est clé : « en tant que grand-mère mon rôle est de transmettre notre langue et notre culture à mes petits enfants. » « Nos valeurs sont celles d’une grande cohésion avec le monde et d’un respect l’un avec l’autre, nous croyons à l’entraide. » Plusieurs intervenants ont mentionné leurs difficultés à retrouver leurs racines et leur langue après leur période obligatoire d’éducation en anglais dans les pensionnats pour les autochtones3 et combien ils avaient été aidés à leur retour par leurs grands-parents.

En forme de conclusion :

Respect, harmonie et solidarité sont les valeurs que Mme Bokova mettait en exergue dans son allocution. Nous les retrouvons vécues dans le témoignage de la communauté Déné. Nous avons encore beaucoup à recevoir de l’exemple des peuples autochtones.

DG / 06-04-17
Crédit Photo  Yann Chemineau
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1 Le Réseau mondial des réserves de biosphères de l’UNESCO compte 669 réserves dans 120 pays, dont 18 au Canada et 14 en France avec en particulier le Bassin de la Dordogne.

2 L’aîné Francis Tatti, cité dans « Réconciliation en action » plaquette de David Linvingstone sur la Réserve de Tsá Tué, avec le support de la Commission canadienne pour l’UNESCO, mars 2017.

3 Le régime des pensionnats autochtones a cessé au début des années ’60.