« Enseigner en liberté, autonomiser les enseignant(e)s »
5 octobre 2017
Choisi avec pertinence dans le contexte actuel où, dans de nombreux pays, les enseignants et les chercheurs sont soumis à de multiples pressions internes et externes, l’UNESCO a retenu comme thème pour la journée mondiale des enseignants 2017 : « Enseigner en liberté, autonomiser les enseignant(e)s ». Cette journée marquait également le 20ième anniversaire de la Recommandation de l’UNESCO de 1997 concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur qui a contribué à définir un cadre de référence clair sur les droits et obligations dans l’enseignement supérieur.
Dans son intervention inaugurale, Mme Irina Bokova, Directrice général de l’UNESCO, a d’abord tenu à souligner que l’enseignement n’était pas un travail comme un autre, que c’était un « engagement, une mission » :
« Les enseignants transmettent compétences et connaissances pour permettre aux femmes et aux hommes de faire face aux changements et de tirer le meilleur des opportunités qui en résultent. Ils partagent aussi valeurs et sagesse. Ils partagent émerveillement et curiosité, donnant les clés qui ouvrent le monde. Les enseignants sont ceux par qui se réalisent les changements pour les droits de l’homme et de sa dignité, pour l’inclusion et la résilience C’est pour cela que les enseignants méritent respect et soutien, ils méritent une formation et des conditions de travail correctes, ils méritent un statut et des qualifications appropriées. »
Mme Bokova a ensuite souligné les défis actuels pour l’éducation dans le monde :
« Il y a aujourd’hui dans le monde 617 million d’enfants et adolescents qui n’atteignent pas le niveau minimum de compétences en lecture et calcul. Il y a une crise financière qui oblige à revoir nos actions. La réalisation de l’Objectif de développement durable Éducation 2030 (ODD4) dépend d’une hausse des moyens budgétaires de 1.8 milliards à l’horizon 2030. Si les États qui se sont engagés sur l’objectif de l’ODD4 ne se mobilisent pas, il nous faudra plus de cinquante ans pour atteindre cet objectif ».
Lire le discours de Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO
Quatre temps structuraient la journée :
Déclarations liminaires
Le représentant de l’OIT et surtout celui de l’Internationale de l’Éducation ont insisté sur les difficultés auxquelles font face les enseignants. Ce dernier a présenté un tableau sombre : « beaucoup d’enseignants n’ont pas le droit d’enseigner librement. Dans certains pays, les enseignants qui émettent des critiques risquent d’être arrêtés. Les universités croissent mais ne fournissent pas de moyens suffisants, ce dont souffrent les enseignants et les étudiants. Il y a insuffisance d’aides publiques, il y a des problèmes de qualification et de qualité de l’enseignement, et un risque pour l’éducation de se tourner vers les solutions numériques et « l’intelligence artificielle » et de robotiser l’enseignement ». A l’opposé la représentante de la Finlande a témoigné des succès du système d’enseignement dans son pays : autonomie des enseignants et des établissements, participation des enseignants à la définition des programmes et à la gestion au niveau local et national, haute qualification (master et formation pédagogique), recrutement strict effectué directement par les responsables d’établissement. Il y a aujourd’hui en Finlande plus de candidats à être enseignants que de postes à pourvoir.
La Recommandation de 1997 sur l’enseignement supérieur : quelle actualité ?
Dans son intervention, Mme Nada Moghaizel Nasr, Doyenne honoraire de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, a souligné que la recommandation de 1997 a bousculé la représentation traditionnelle de l’enseignement supérieur. Elle a défini une nouvelle identité dont les principes restent toujours actuels. Enseigner dans l’enseignement supérieur est une profession, « cette profession exige des enseignants non seulement des connaissances approfondies mais également des compétences pédagogiques, acquises et entretenues au prix d’études et de recherches rigoureuses et continues, ainsi qu’un sens des responsabilités personnelles et collectives (Recommandation §6) ». L’enseignement au supérieur se doit d’être inclusif pour tous, ce qui requiert équité, accompagnement, pédagogie différenciée. La contribution des enseignants à la gouvernance de l’institution dans un cadre de fonctionnement participatif est également un des principes et la garantie « d’organisations apprenantes ». La mise en application de la recommandation de 1997 pose toujours des défis : il s’agit d’une transformation profonde qui implique de changer les représentations de l’enseignement supérieur, du savoir, des compétences et des libertés académiques.
Table ronde 1 : Avancées et enjeux de la liberté académique et de l’autonomie des établissements. Trois points de vue.
James L. Turk, Professeur honoraire invité et Directeur Centre pour la libre expression, Université Ryerson, Canada : Aujourd’hui, au sein de l’Université, la liberté académique est mise en danger par l’autonomie institutionnelle des établissements.
La Recommandation de 1997 est une réussite remarquable. Elle définit des concepts clés sur ce que sont les établissements d’enseignement supérieur et plus particulièrement les universités (§4), sur les droits et libertés des enseignants de l’enseignement supérieur : droits civils, libertés académiques, droit d’enseignement et de recherches sans interférences, droits de publication et d’échange d’information (§26 et suivants), droit à l’autogestion et à la collégialité (§21). Elle définit aussi l’autonomie institutionnelle des établissements d’enseignement supérieur (§17 et suivants).
Reconnues comme « communauté d’érudits » se gouvernant par elles-mêmes et protégées des interférences d’intérêts extérieurs, les universités voient aujourd’hui leurs libertés académiques s’éroder par les pressions de conseils d’administration composés de non-universitaires et par la croissance d’une administration de professionnels orientée par des facteurs extérieurs et invoquant l’autonomie institutionnelle pour interférer avec la liberté académique.
Tarek Hamad, Professeur titulaire post doctorat, Université de Heidelberg. Le cas de l’Université de Damas en Syrie.
L’Université de Damas est la plus vielle université de Syrie. Son origine remonte à la création de l’école de médecine en 1903 puis de l’école de droit en 1913. En 1923 elle fut établie par décret et comporte alors l’ensemble des disciplines.
L’Université de Damas a été établie comme une institution d’État dont l’autonomie se limite à la gestion administrative, à la désignation des recteurs, des doyens et des enseignants. Elle est aujourd’hui coiffée par un Conseil de l’Enseignement qui comprend le Ministre de l’Enseignement. L’enseignement supérieur est lui-même coiffé par un Conseil de l’Enseignement supérieur qui comprend le Ministre de l’Enseignement supérieur. L’ensemble rend compte au Gouvernement.
Avec la crise en Syrie depuis 2011, l’Université de Damas a vu ses budgets diminuer, la qualité de l’enseignement se détériorer, aucuns travaux de recherche n’y sont plus conduits. Les conditions de travail y sont strictes, la pression des autorités gouvernementales y est forte. Le parti ainsi que des milices contrôlent l’université. On y constate des cas de violation des droits de l’homme, des lieux de travail menacés (bombardement de 2013) et de fuite des compétences académiques vers l’étranger. Un réseau international d’institutions d’enseignement supérieur, « Scholars at Risk », s’est constitué pour venir en aide aux enseignants, étudiants et intellectuels et défendre la liberté d’enseignement mondialement et en Syrie en particulier.
Katarzyna Kubacka, Chargée de recherche, Equipe du Rapport mondial de suivi sur l’éducation (GEM Report), UNESCO. Implications de la responsabilité des enseignants : comment les aider ?
Les responsabilités des enseignants aujourd’hui sont multiples avec une interdépendance élevée à l’égard des nombreux partenaires du système éducatif. Il en résulte un accroissement de leurs charges de travail et du stress. Les demandes de données et de rapports sont pointées spécialement. Outre la charge de travail et le stress, les risques potentiels en sont un déplacement inapproprié de l’attention des enseignants. L’aide aux enseignants peut venir du travail avec les pairs, de la relation avec les parents, et surtout d’une validation de la pertinence des demandes de données et d’une formation des enseignants au travail de collecte des données et à leur utilisation efficace.
- Table ronde 2 : Réponses de l’enseignement supérieur aux nouvelles exigences en matière que qualité, d’inclusion et d’équité.
La table ronde a réuni les représentants et les expériences d’un pays d’Amérique Latine, l’Uruguay, et de quatre pays d’Afrique : la Côte d’Ivoire, la Namibie, la Tanzanie et l’Uganda.
L’expérience de l’Université catholique d’Uruguay est basée sur la reconnaissance que la qualité d’un système éducatif ne peut dépasser celle de ses enseignants. Il s’agit donc de faire un travail en collaboration (« Meeshting – Meeting and sharing) pour dessiner une vision, les buts stratégiques, mettre en lumière les difficultés (8 domaines stratégiques) et sélectionner des projets concrets (14 projets prototypes) pour améliorer les compétences pédagogiques et didactiques des enseignants. Le souci de l’humain est central.
Pour ce qui est des quatre pays d’Afrique, les situations locales sont assez semblables : manque d’enseignants, qualification insuffisantes, budgets insuffisants, dispersion des populations. Les quatre pays se tournent systématiquement vers des solutions fondées sur les technologies numériques d’information et de communication (TIC) et mentionnent tous les solutions et les outils offerts par le projet UNESCO-CFIT de formation et d’autonomisation des enseignants. La mise en place de ces solutions présente cependant de nombreuses difficultés : attitude des utilisateurs, budget limité, nombre restreints de PC au regard des utilisateurs, manque de soutien technique, mise à jour fréquente des plateformes numériques. Certains pays constatent qu’au final le niveau de qualification des enseignants est inférieur aux objectifs.
Clôture de la journée : intervention de George Haddad, Président de l’Université Paris1 Panthéon-Sorbonne.
Le professeur George Haddad rappelle rapidement son très riche parcours universitaire qui l’a conduit de 2004 à 2016 à être Directeur de la Division de l’Enseignement supérieur de l’UNESCO et d’y fonder l’Unité de recherche et prospective du secteur de l’éducation, et en 2016 à être élu pour la seconde fois à la présidence de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Son intervention se présente comme une exhortation aux étudiants et aux enseignants du supérieur et s’appuie sur la figure de « l’enseignant-chercheur ». Les étudiants se doivent d’aller jusqu’au doctorat qui est, comme la recherche, une leçon d’humilité, une obligation de faire face aux inconnues et à ses propre limites. L’université doit former les étudiants à la recherche, la recherche doit venir étayer l’enseignement supérieur et ouvre à la possibilité de se remettre en question tout au long de la vie.
Quelles sont les qualités requises pour « l’enseignant-chercheur » ? Savoir transmettre / garder la force de la transmission, chercher, innover avec compétence, évoluer en maintenant un sens critique dans un monde qui évolue en permanence, en marche vers une « humanité numérique ». Il lui faut toujours être prêt à se remettre en question. La société se doit de garantir la liberté aux enseignants du supérieur et aux étudiants. L’enseignant du supérieur ne doit pas perdre de vue que les étudiants sont des personnes qui méritent respect et amour et qu’il doit les accompagner vers leur réussite.
Le métier d’enseignant n’est pas ce que les images peuvent laisser penser, il demande des années de travail soutenu, il demande respect. « Quelqu’un qui ne respecte pas ses enseignants ne peut pas respecter ses enfants ».
Deux remarques en forme de conclusion
Les interventions de la Journée ont confirmé combien les deux thèmes « Enseigner en liberté, autonomiser les enseignant(e)s » sont d’actualité, en particulier combien le droit d’enseigner et de conduire des recherches en liberté est menacé ou même supprimé dans plusieurs pays du monde pour des raisons idéologiques ou de conflits. La défense des libertés académiques fait partie de la défense des droits de l’homme et d’une recherche de la paix toujours à poursuivre.
Les nouvelles technologies numériques ne peuvent remplacer les enseignants. « L’enseignant devrait aujourd’hui jouer le rôle de guide pour que les apprenants, dès leur plus jeune âge et tout au long de leur parcours d’apprentissage, puissent s’épanouir et progresser dans le dédale sans cesse enrichi du savoir »1. Un corps enseignant efficace doit rester une priorité des politiques éducatives dans tous les pays.
DG – 12/10/2017