Deux journées consacrées à un thème toujours d’actualité hélas – les inégalités persistent malgré tant de progrès ! – traité principalement au travers de témoignages d’ONG et de contributions de représentants de l’UNESCO. Un sujet à multiples dimensions que ce colloque ne pouvait pas toutes prendre en compte, mais la diversité des origines géographiques comme la variété des profils des intervenants ont tout de même permis de montrer à quel point « encore beaucoup reste à faire » pour faire face aux excès inégalitaires persistants mais aussi qu’il existe partout dans le monde des initiatives pleines d’humanité, sources d’espérance, avec certaines ONG à l’avant-garde, souvent de modestes dimensions mais porteuses de sens et d’influences qui vont au-delà des effets directs de leurs seules activités.
Monsieur le Directeur Général adjoint, M XING QU, dans son discours introductif a salué cette nouvelle initiative du Comité de liaison des ONG de l’UNESCO qui intervient peu de temps après le Forum de Moscou sur la Science. Ces actions conduites en lien avec l’UNESCO sont d’utiles contributions à des débats essentiels pour lesquels les ONG apportent leur enthousiasme et leurs expériences.
Il a souligné à quel point les inégalités sont un frein au développement – « leur impact est corrosif » – et rappelé que l’agenda 2030 a précisément pour objet de lutter contre ce fléau notamment au travers de l’éducation. A cet égard l’Unesco est pleinement engagée en développant des approches innovantes, à dimension transversale et partenariale, avec le concours des ONG qui sont des « acteurs vitaux ».
La Présidente du Comité de liaison des ONG, Mme Marie-Claude MACHON, a rappelé les conditions dans lesquelles le Forum a été préparé (consultation des ONG), et mis elle aussi l’accent sur les méfaits d’inégalités persistantes, intolérables et choquantes au vu notamment des prévisions de l’Institut des statistiques de l’UNESCO qui, dans les conditions actuelles, nous indiquent pour 2030 : 230 millions de jeunes seront toujours exclus de l’école, un élève sur trois ne terminera pas son cycle du secondaire, 50% des enfants éligibles ne pourront pas bénéficier d’un enseignement préscolaire.
Les Femmes, les jeunes et les réfugiés restent encore excessivement exclus des systèmes éducatifs, l’ODD4 – pour un large accès à une Éducation de qualité – apparaît pour beaucoup comme un objectif hors d’atteinte.
Courte intervention de Madame Evelyne HEYER (anthropologue, Conseil scientifique du Musée de l’Homme) qui voit de façon synthétique et quelque peu simplificatrice trois types d’inégalités : celles dues au hasard (génétique, accidentel), les inégalités de structure mentale, culturelle… (racisme, sexisme etc.), et les inégalités de transmission (le savoir, le capital). La Pauvreté s’oppose à la Richesse, et le risque est grand de voir chacun s’enfermer dans sa bulle si rien n’est fait, mais le statu quo n’est pas une fatalité, et l’Éducation est un puissant levier pour réduire les inégalités.
Trois tables rondes ont traité des sujets suivants :
- Lutter contre les inégalités au travers de l’éducation ;
- Renforcer les capacités pour changer les relations de pouvoir ;
- Défier les inégalités par des réformes politiques. Une quinzaine d’intervenants (responsables d’ONG, scientifiques ou ingénieur, entrepreneurs sociaux, collaborateur de l’Unesco, Politiques) ont livré leurs témoignages, et répondu aux questions de l’auditoire.
Ces échanges ont fait ressortir un certain nombre d’idées fortes que l’on restitue ci-après, des idées qui sont loin de traiter les nombreux aspects que recouvre le thème des inégalités mais qui évoquent des initiatives exemplaires ou des problématiques riches d’enseignements.
Quelques observations sur l’Éducation
- De l’utilité des évaluations des résultats des systèmes éducatifs, avec des indicateurs qui ne se limitent pas aux aspects gestionnaires et quantitatifs. Il faut pouvoir mesurer l’effectivité des mesures prises, donc les impacts, avec des outils (bases de données) bien configurés.
- Dans le même esprit, à propos des aspects quantitatifs ou gestionnaires, l’Éducation ne saurait être réduite à l’apprentissage d’outils (comme par exemple les outils numériques). Là aussi, il faut se préoccuper du fond et de la qualité au-delà de ce qui est utilitaire, comme par exemple l’enseignement des valeurs de la citoyenneté.
- A propos des objectifs de l’ONU, on rappelle que l’agenda 2030 qui accorde la plus grande importance au domaine Éducation a pleinement tenu compte des enseignements du programme du millénaire (2000-2015) qui avait sous-estimé l’importance de ce domaine comme facteur de développement.
- S’agissant des pays en développement, les besoins en matière d’Éducation sont considérables, à tous niveaux et dans de multiples domaines et tout particulièrement en Sciences et Technologie. A cet égard, le représentant de l’association malaise des ingénieurs a donné un aperçu de ce que faisait son pays au titre de l’aide au développement dans ces secteurs. A été aussi signalé par l’UNESCO un programme de formation d’hydrologues.
- L’Éducation dans les zones de conflit pose de vrais problèmes : si tout est délégué aux « militaires », on ne peut pas bien traiter la question. Cela étant rappelé, préserver des systèmes éducatifs dans ces contextes d’instabilité et de violence potentielle n’est pas simple. Le témoignage donné sur le cas palestinien fait ressortir les deux points suivants : l’enseignement doit porter sur les savoirs de base (trop de contraintes pour avoir plus d’ambition), on doit se soucier du biais du genre (on envoie prioritairement les garçons à l’école).
- La Musique : ici, on retiendra simplement un témoignage irlandais à propos d’une initiative menée par une ONG dans une école située dans un quartier défavorisé. En l’occurrence, il s’agit de former les élèves (et aussi leurs parents s’ils le souhaitent) à la maîtrise d’un instrument de musique jusqu’à pouvoir en jouer en mode orchestral. Succès d’une entreprise qui aura permis au fil des ans d’ouvrir l’accès à la musique à des milliers de jeunes qui, sans cette aide, n’auraient jamais pu connaître cette richesse de l’art musical.
A cet égard, on ne manquera pas de mentionner un moment musical tout à fait bien venu, tant par la qualité de la prestation, que par l’observation que l’on pourra en tirer en termes d’éducation inclusive et intégrale. Une chorale d’une quarantaine de jeunes autistes mêlés avec leurs accompagnants ont chanté avec enthousiasme des chansons populaires mais aussi des créations originales sur des thèmes évoquant la paix, l’harmonie, l’universalité, créations dont les auteurs (du texte et de la musique) étaient de la partie. Moment de bonheur partagé, joie de chanteurs heureux de pouvoir s’exprimer devant un auditoire conquis : expérience concrète de la rencontre pour ces jeunes autistes démontrant en toute simplicité que chanter tous ensemble pouvait être aussi pour eux.
La question du sens
Elle est revenue à plusieurs reprises, pas comme une notion abstraite, mais avec des histoires vécues qui sont là pour montrer toute l’importance que revêt un sujet qui renvoie à la conscience de soi, à la confiance à (re)trouver : pour les tétraplégiques, avec le réseau des maisons Simon de Cyrène (cf le CR sur l’intervention de M de CHERISEY), pour ces migrants déracinés qu’un dessinateur-éditorialiste avec d’autres journalistes aide à faire retrouver un peu de dignité au travers d’une collaboration pour publier un journal de la rue : par une sorte de maïeutique (dialogues journalistes-migrants), on leur fait restituer leurs histoires, et cela contribue, modestement, à leur redonner un peu d’espoir. Autres initiatives conduites par les ONG et porteuses de sens, celles qui consistent à insérer des personnes pauvres, sans emploi, déracinées dans des projets concrets comme ces expériences réussies en Colombie ou au Congo : projet éducatif, création d’une ferme, construction de logements.
Coopération, Projets : le Concret, le Dialogue, le Partage
Trois notions souvent mises en évidence comme garantes de succès auprès de populations précaires, n’ayant plus confiance en elles. Les plus fragiles ont besoin qu’on les écoute, ils peuvent révéler en retour des trésors d’humanité.
Selon le témoignage d’un ancien responsable d’ATD Quart Monde développeur d’entreprises solidaires, l’important est d’engager des processus participatifs, responsabilisants, rassurants aussi : de l’importance des dialogues à conduire avec les « professionnels » qui viennent à la rencontre de ces personnes fragile. Autres principes appliqués : garantie de l’emploi, rémunération équitable, ancrage local affirmé.
On souligne aussi deux autres points importants :
- La patience : les efforts sont à déployer dans la durée, il faut se débarrasser de la pression du temps court.
- Les expériences gagnent à être partagées entre ONG : il est bon de miser sur les effets de réseau (collaboration entre organisations).
Les Femmes, les jeunes filles discriminées, exploitées
Le sujet reste d’actualité dans de nombreux pays. Il renvoie à une grande diversité de situations pénalisantes : grossesses précoces, familles monoparentales, préférence manifeste donnée aux garçons pour les études, des a priori injustifiés comme par exemple l’idée que les femmes sont moins aptes que les hommes à maîtriser l’informatique ou les sciences ou encore les inégalités en matière d’emploi (recrutement, contenu des emplois, salaires).
Rappel par un représentant de l’UNESCO de ce qui est fait au titre de ce qui est l’une des deux priorités principales de l’institution (le genre) : Encore beaucoup à faire nous rappelle-t-on… 25 ans après la déclaration de Pékin qui avait été produite à l’issue d’une Conférence internationale sur cette question essentielle qui continue (à juste titre) de donner lieu à des événements visant à rester attentifs à un phénomène qui reste préoccupant (ex : Journée international de la jeune fille, Partenariat des femmes pour l’eau).
Plusieurs représentants d’ONG ont signalé les initiatives portées par leurs organisations à ce sujet essentiellement en Afrique.
La Peur de l’Autre, la Peur pour soi
Du témoignage à propos des Maisons Simon de Cyrène, on retiendra l’idée que finalement la question de l’accueil des Handicapés est un peu une métaphore de ce que signifie bien souvent l’exclusion : il s’agit bien de surmonter les appréhensions celle de la personne handicapée comme celle des personnes valides pour faire en sorte que les deux puissent se rencontrer et se reconnaître au lieu de s’enfermer chacun l’un dans la tristesse de son état, et l’autre dans le confort de sa situation. Cette observation est généralisable et applicable à tous les cas d’exclusion.
C’est la même idée qu’a exprimée la représentante d’une ONG parlant de leur action en Russie en faveur de l’insertion des handicapés dans les écoles.
Un troisième témoignage a lui aussi mis en évidence tout ce que la société peut avoir comme crainte et rejet de l’autre lorsqu’il s’agit de la venue d’handicapés. C’est l’ambassadeur délégué des Pays-Bas à l’UNESCO, M WESSELING, qui a relaté ainsi une histoire vécue du temps de sa jeunesse : il s’agissait de créer dans un village une maison pour accueillir des handicapés, ce fût d’abord une confrontation de deux mondes. Puis, passé un temps de violentes tensions non sans mal, ce fût le temps de la rencontre de ces deux mondes, de la réconciliation et la démonstration qu’ensemble on pouvait vivre dans l’harmonie…
Autre commentaire à propos des peurs qui contribuent à cliver ou enfermer avec l’exemple des migrants : peur de l’étranger (population des pays d’accueil), peur de se sentir rejeté (les migrants).
La vision d’un Politique (François POTIER, député français)
Intervention d’une personnalité du monde politique très engagée au service du Bien commun et de la Personne. Un discours très clair et affirmé avec beaucoup de conviction.
Un constat et presque une évidence : notre double fragilité, notre Planète et l’Homme.
Les défis à relever appellent à se soucier de valeurs universelles et à prendre conscience de nos interdépendances.
Pour le Politique, mais pas seulement pour lui, il y a trois outils à mobiliser face aux grands sujets auxquels on est confronté :
- La fiscalité ;
- L’organisation du commerce ;
- Les normes juridiques.
Trois pistes sont à exploiter pour surmonter les difficultés :
- La solidarité multilatérale ;
- La Prévention des risques (notamment en matière de santé) ;
- L’adoption d’un langage juridique commun (codes, traités, normes etc.).
Une affirmation : « en finir avec l’impératif de l’autorégulation du privé ».
Une nécessité : aller bien au-delà de l’opérationnel. Dans le désordre ambiant, il faut retrouver des repères, on a besoin d’une boussole anthropologique pour assurer la dignité de l’homme et préserver son environnement : il nous faut « Sauver la Terre en sauvant l’Humain »… « Arrêtons d’insulter l’Humain ».
En réponse à une question sur les inégalités, M POTIER ajoute les idées suivantes :
Il faut raisonner de façon systémique, en équilibrant trois dimensions à savoir celles du Partage, du Politique et de la Prospérité. Pour progresser, il faut associer tous les acteurs de la société civile, notamment les ONG qui peuvent être des vigies et aider à légiférer (ex le projet de loi sur la fiscalité des grands opérateurs du numérique). Il peut y avoir un excès d’emprise du Privé, source d’inégalités. Alors s’impose l’obligation d’un rééquilibrage Public-Privé pour trouver des « leviers d’espérance ».
Autres considérations à propos du Politique
Un fait rappelé : une certaine inertie des politiques, et, assez généralement, un peu partout dans le monde, un écart souvent important entre les déclarations ou l’adoption de mesures visant la réduction des inégalités et leur mise en œuvre, leur application sur le terrain.
Une autre observation formulée : la Société civile, et tout particulièrement les ONG, doivent jouer pleinement leur rôle auprès des politiques, comme porteuse d’alertes ou agent d’influence car elles ont une connaissance intime de problèmes sensibles que peuvent rencontrer les populations.
« Faites entendre votre voix » a déclaré un des intervenants.
En conclusion
Ont été listés les principaux enseignements à retenir de ces deux journées d’échange, et à considérer comme des pistes pour relever le défi des inégalités.
Si cet inventaire rapidement décliné aura repris un certain nombre des idées exprimées en termes, au demeurant très généraux, on aura surtout remarqué un propos comportant beaucoup de propositions déjà partiellement prises en compte par l’UNESCO dans ses propres propositions d’action, notamment dans le domaine de l’Éducation (deux ou trois propositions mentionnées n’avaient pas été explicitement indiquées lors des échanges).
Par ailleurs, on pourra regretter que n’aient pas été données sous une forme ou une autre et/ou formulées de manière explicite des recommandations appelant à donner du sens aux actions à mener, se soucier de l’insertion « plénière » des handicapés dans les systèmes éducatifs, à inciter les politiques à être plus cohérents dans leurs initiatives (la parole non traduite en actes) et à souligner le bien fondé et même la nécessité de l’écoute des ONG.
Autres points non mentionnés dans l’énoncé des recommandations : importance de l’enseignement des Arts et singulièrement de la Musique, la nécessité de suivre le résultat des politiques (vérifier leurs impacts).
Enfin, parmi les thèmes qui n’ont pas été évoqués à propos des inégalités (et des injustices), on pourra en mentionner deux car ils avaient fait l’objet d’une question laissée sans réponse lors des discussions : la corruption comme frein au développement et à la réduction des inégalités, la marchandisation des femmes dans « le commerce » de la GPA, comme nouvelle source probable d’inégalité.