Conversation avec Monseigneur FOLLO
observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO

autour de son livre
« Les Missions du Saint-Siège à l’UNESCO : « la Paix en question »


Échanges tenus le 15 mars 2019 avec le CCIC dans le cadre de ses actions à destination de ses membres pour faire mieux connaître l’UNESCO.

Richesse d’une conversation qui aura permis tout à la fois de parler d’histoire, de l’organisation respective de l’UNESCO et de l’Église dans leur essence et du sens de leurs missions avec la mise en évidence d’éléments communs et de complémentarités sources de dialogues fructueux.


Mgr FOLLO s’entretenant avec Mme ROCHE, présidente du CCIC

Pour introduire le propos, Françoise MEAUZE a pris comme référence le livre de Mgr FOLLO sur les Missions du Saint-Siège et l’UNESCO qui fut publié en 2011 et dont la teneur comme l’esprit, toujours d’actualité, sont inspirants : un ouvrage qui parle du dialogue, de l’éducation, des paroles de l’évangile pour situer toutes ces valeurs par rapport à l’UNESCO, en donnant des repères pour aider aux débats et discerner les grands enjeux pour demain au service de la Paix.

Au-delà de l’exposé des faits, en réponse notamment aux questions de l’auditoire, Mgr FOLLO a développé toute une série d’idées essentielles sur des thèmes rejoignant certaines des préoccupations de l’UNESCO : l’Éducation, le Multilatéralisme, le Dialogue interculturel et le fait religieux…

Un peu d’Histoire :

La Représentation du Saint-Siège date de 1952… cinq ans après la création de l’UNESCO, et quatre ans après celle du CCIC, le CCIC dont la création avait été encouragée par Mgr RONCALLI nonce apostolique et futur pape Jean XXIII qui aura été le premier titulaire du poste d’observateur. Incidemment, Mgr FOLLO évoque l’ancienneté et le bien fondé des relations entretenues entre le CCIC et la Représentation du Saint-Siège, en faisant allusion notamment au rôle initial joué par M. Jean LARNAUD, premier président du CCIC.

Quelques précisions sur l’organisation de l’Église : trois entités :

  • L’Église, communauté d’un milliard trois cent millions de fidèles ;
  • Le Saint-Siège, émanation de l’Église, dont la création remonte au IVème siècle ;
  • La Cité du Vatican, de création récente (1929).

Quelques éléments à retenir s’agissant du Saint-Siège :

  • C’est avant tout une autorité spirituelle. S’il représente l’Église, il ne peut se comparer à un État. Il ne traite pas les « affaires étrangères » comme le font les gouvernements. – l’approche de ses missions est « d’ordre macroscopique », il ne s’insinue pas dans ce que font les évêques. Il n’y a pas à proprement parler un fonctionnement selon un mode type « ministre-préfet, ou PDG-DG ». On a ainsi une présence de l’Église bien identifiée au travers des diocèses dont les chefs sont les évêques, et avec cette forme d’organisation, on pourrait dire que « l’Église existe » … « dans le diocèse, par le diocèse, pour le diocèse ».
  • L’important est de bien comprendre le principal objet du Saint-Siège qui est d’ordre spirituel, ce qui forcément interdit d’intervenir sur certains sujets auprès des États un peu à la manière d’un lobbyiste, à la différence des ONG, et en particulier des ONG d’inspiration chrétienne qui peuvent donner des avis et faire valoir les enseignements de leurs expériences.
  • A propos de la Cité du Vatican, quelques informations sont données sur son organisation, son nombre d’habitants permanents (environ 600) et les personnels qui y travaillent (3500 environ). Elle a un statut d’État, avec sa monnaie, ses timbres et ses passeports. Le pape a un passeport du Vatican, et non italien, (alors que le Patriarche de Constantinople a un passeport turc, et le Patriarche orthodoxe de Moscou un passeport russe).

Deux formes d’organisation internationales : les organisation type ONU émanant des États versus l’organisation de l’Église.

Les institutions internationales émanant des États fonctionnent selon des règles organisant le « dosage » et le contenu de deux notions : « souveraineté-gouvernance de l’institution », ce qui appelle des processus de négociation, concession, convention avec la nécessité de débats plus ou moins contradictoires, menés dans un cadre bien précis (cf pour l’UNESCO : la Conférence Générale, le Bureau exécutif et le Secrétariat).

L’organisation de l’Église est différente quant à son esprit : plutôt que de parler d’organisation, on parle plus d’association, on ne raisonne pas en termes de confrontation voire de conflits, on n’oppose pas de courants de pensée de type « gauche » ou « droite », plus que des compromis on vise la communion. L’idée est que l’Église ne forme qu’un seul corps, et qu’en conséquence on ne saurait séparer ses membres. En son essence, l’Église ne parle pas de frontières, le Saint-Siège n’est pas représentant d’une nation particulière. Jean Paul II a qui on demandait ce qu’il pensait d’être le premier pape « étranger » (non italien), avait eu cette réponse : en l’Église il n’y a pas de pape étranger. On souligne aussi la spécificité de l’Église catholique qui peut se présenter comme « Une » et ainsi pouvoir être représentée comme observateur dans une institution comme l’UNESCO, ce qui n’est pas le cas de l’Islam qui est très divers. Dans le même esprit, on évoque aussi la singularité du Bouddhisme qui, lui, renvoie à l’individu dans son intériorité.

L’UNESCO et le Saint-Siège : complémentarité, dialogue, les actions de la Représentation permanente.

Les aspects juridiques et organisationnels distinguent bien les deux entités mais ne s’opposent en rien aux actions que peut mener la représentation du Saint-Siège. A cet égard, la Mission permanente intervient de différentes manières :

  • Par sa présence, elle « dit l’Église », avec ses valeurs et peut parler de transcendance
  • Au titre de sa fonction, elle entretient le dialogue avec les délégués permanents des États en nourrissant ses échanges des enseignements du Magistère, en parlant d’Humanité, de la religion catholique avec ses valeurs et des valeurs promues par l’UNESCO auxquelles l’Église est sensible.
  • Plus généralement, elle prend la Parole dans des conférences ou colloque.

L’important est de bien saisir l’esprit et le champ de toutes ces actions : il ne s’agit ni de s’enfermer dans le simplisme qui ramènerait à délimiter un domaine religieux de type théologique ni de s’en tenir à des questions sociologiques ou économiques. Ce qui est privilégié est d’appeler l’attention et les réflexions sur tout ce qui touche nos intériorités, et dans tous les domaines que couvre l’UNESCO : on insiste sur la nécessité d’une éducation de l’intérieur, on parle alors des besoins de l’âme, « ce principe vital », Sciences et Foi, Enseignement du fait religieux.

Dans un monde encore trop souvent ignorant, en faisant entendre notre parole, nous dit Monseigneur FOLLO, on aide à mieux comprendre ce qu’est l’Église, on évite les malentendus et les fausses querelles, comme par exemple sur les rapports entre « sciences et foi » ou sur la place de la religion dans les discussions ; sur ce dernier point, il apparaît qu’au fil des années, la situation s’est améliorée. Ce qu’il importe de souligner, c’est la façon de traiter le sujet : il ne faut pas s’inquiéter d’aborder un thème aussi essentiel, mais on se doit d’éviter les méprises ou les erreurs : il est bien de le traiter au travers du « culturel » et de « l’interculturel » mais cela doit se faire sans excès. On ne saurait « culturaliser » les religions, ni confondre le chrétien et l’idolâtre.

De même, il y a un rapport à Dieu que l’on ne retrouve pas dans d’autres religions. Ainsi, les Églises sont un lieu de présence divine, alors que les mosquées ou les « temples bouddhistes », sont des lieux de prières, de prédication ou de recueillement.

Toujours à propos des débats autour des questions religieuses, on insiste sur le rôle de l’École très important pour permettre d’aborder ces questions sereinement avec l’aide des maîtres qui doivent pouvoir transmettre des connaissances en la matière et aider à en discerner le sens.

Les grands événements

Factuellement, nous ont été rappelés tous les grands événements qu’a organisés la délégation permanente au cours des dernières années, qu’il s’agisse de Conférences ou colloques ou des grands moments qu’ont constitués les discours des papes Jean Paul II en 1981, (en 2005 sur le dialogue) et Benoît XVI en 2007 (sur Jésus).

Les Conférences ont souvent été données à l’occasion de la publication d’encycliques.

Les Questions de l’auditoire

Vos prochains évènements ? vos préoccupations ?

Une réflexion sur l’unité des savoirs (pour 2020).

Tout comme les nouvelles technologies de l’information, l’intelligence artificielle ne manque pas d’interpeller. Mgr FOLLO signale un de ses articles à ce sujet, consultable sur le site de la Représentation permanente.

C’est sous l’angle anthropologique qu’il faut mener la réflexion : le risque serait de prendre ce qui n’est qu’un outil/moyen comme le seul objet de nos vies. On pourrait perdre notre âme, en s’abandonnant à la machine, mais la machine n’est que matière, les ordinateurs ne sont que syntaxe ou code, qui n’ont pas de signification en eux-mêmes.

Il y a quelque chose de rassurant à rappeler ces limites, à rappeler les infinies et exceptionnelles richesses de l’Homme : celles qui viennent du cerveau et du cœur et que ne peuvent répliquer les moyens de la technique : l’intelligence humaine, la volonté, la perception, le sens et les sens.

Que pensez vous de toutes les tensions entre Israël et la Palestine qui sont survenues l’UNESCO à l’occasion des débats autour de Jérusalem ? (Discussion d’une résolution)

Il y a eu une certaine instrumentalisation du débat par les parties concernées qui ont pris la Tribune pour défendre leurs positions antagonistes, il y a eu incontestablement un phénomène d’amplification médiatique, mais la résolution a finalement été adoptée sans réelle opposition avec une formulation non agressive, et un apaisement de la situation.

A propos de l’Éducation intégrale, sachant que beaucoup de non-croyants envoient maintenant leurs enfants dans les églises catholiques, comment fait on passer des idées comme celles de « culture et foi » ou « sagesse et conception de la vie » auprès d’un aussi large public (croyants/non croyants) ?

La réponse réside dans l’état d’esprit : on ne peut pas, on ne doit pas imposer, il faut argumenter, ne pas esquiver mais expliquer.

On ferait erreur en posant le débat avec l’accent mis sur les deux ensembles : croyants/non croyants.

Il est plus fructueux de proposer (concevoir) le discours sur la base du couple « croyants » et « idolâtrie », avec la possibilité de l’appliquer tout aussi bien à la question de la foi religieuse qu’aux questions touchant à l’argent ou au sexe : on croit toujours à quelque chose, mais avec quelle intensité, quel respect de la liberté ? etc.

C’est bien ici qu’on retrouve le sens de l’Éducation intégrale qui appelle à réfléchir à la réalité dans sa globalité, pour montrer qu’elle ne peut pas se résumer à l’une de ses parties constituantes, pas plus qu’elle ne se ramène aux seules choses du temps présent : il y a aussi le souvenir, la tradition transmise d’âge en âge. On a toute une complexité dont il faut savoir faire la synthèse pour rendre témoignage d’une intégralité, avec ici le rôle irremplaçable des Professeurs qui doivent être formés à cette fin. L’Éducation ainsi conçue n’est plus seulement un enseignement de connaissances, elle apporte en plus du sens, donne du sens à la vie, une direction, une signification et aussi du goût.

Toujours sur la question de l’Éducation (intégrale), on pourrait rappeler les propos de SOLJENITSINE qui parlait des œuvres magnifiques que les artisans du Monde pouvaient produire çà et là, chacun avec des spécialités propres à leurs pays, et qui en même temps évoquait la simplicité d’un paysan russe se tournant vers le ciel pour prier : synthèse du Ciel et de la Terre, de la magnificence et de la simplicité.

Que pensez-vous du projet de « Transformation stratégique » de l’UNESCO notamment dans sa partie touchant à « sa Présence (communication) » et aux « partenariats » ?

  • L’UNESCO est encore trop euro-centrée ;
  • Plus que les structures, ce sont les personnes qui permettront de réussir, et ici il sera bon de miser sur plus de mobilité et aussi se soucier de la formation du personnel ;
  • Les idées (et les personnes) venant d’Afrique et d’Asie doivent être plus représentées : l’UNESCO doit mieux être l’image de notre monde poly-centré.

Pas de réponse précise donnée à la question des partenariats et du risque de voir promues des idées ou projets plus conformes aux intérêts des contributeurs financiers qu’aux missions de l’UNESCO. Un élément de commentaire à ce sujet peut être trouvé dans une considération concernant « l’Argent » qui, venant à manquer, poserait de graves problèmes : sans minimiser l’acuité du sujet, Mgr FOLLO suggère qu’il faut aussi et même prioritairement se soucier des idées, ce qui n’a pas de prix.

Que pouvez nous vous dire à propos de l’Universalité, ce principe toujours défendu par l’UNESCO est il bien respecté ? (cf notamment le livre de M MAHEUT ancien DG de l’UNESCO sur «la civilisation de l’Universel »)

Ici est reprise l’idée qu’il faut instiller plus de matière venant d’Afrique et encore plus d’Asie.

Ne pourrait-on pas envisager que le Saint-Siège devienne membre à part entière de l’UNESCO ?

Ce serait trop délicat compte tenu des spécificités dont il a été fait état. De plus se poseraient beaucoup de questions épineuses : quelle circonscription régionale choisir ? quelle discipline de vote ? sur quels critères reposer dans les choix proposés ?

Assurément, on doit pouvoir se satisfaire du statut actuel d’observateur dès lors qu’on peut s’adresser aux délégations permanentes dans l’esprit que l’on a indiqué plus haut, et tenir à l’UNESCO des conférences ou colloques.

Que peut-on ajouter sur les relations entre l’UNESCO et les ONG ?

Au niveau du Secrétariat, il y a une écoute.

La difficulté peut se situer au niveau des États, singulièrement du côté des pays musulmans, qui ne connaissent pas vraiment la société civile et/ou les ONG qui en font partie. Cette réserve étant émise, il faut s’efforcer d’établir le contact, et de créer ces liens en montrant aux interlocuteurs gouvernementaux en quoi les ONG peuvent aider ; la rencontre et la relation importent beaucoup, ici comme partout : « Beziehung ist alles » disent les allemands (la Relation c’est tout).

Finalement, il faut qu’entre ONG et Gouvernements puissent se développer de vrais échanges de vue en des discussions bénéfiques comme dans une agora, plutôt que d’entretenir des polémiques qui donneraient l’impression mauvaise et contre-productive de se trouver plongé dans une arène.

Que pensez vous de la montée des Nationalismes et du recul du Multilatéralisme ?

Le Multilatéralisme est une valeur essentielle qu’il faut savoir préserver

  • Pour l’Église c’est une priorité à promouvoir ;
  • Il y a une montée du populisme un peu partout parce que les peuples jugent ne pas être entendus ;
  • Tout particulièrement pour l’UNESCO, laboratoire d’idées issues de réflexions multilatérales, il est essentiel que subsiste un esprit de coopération et de partage des réflexions afin que l’institution reste en mesure de donner des pistes pratiques et praticables aux États dans tous ses domaines de compétence. Il ne faut pas mettre à mal la capacité de l’UNESCO à développer des idées enracinées dans l’examen du Monde tel qu’il est : « des Pensées sans lien avec la Pratique c’est comme un char sans axe directeur » (adage cité en latin).

Quelle écoute de la parole du Saint-Siège ? un témoignage, une conclusion.

Témoignage donné par une personne qui, comme membre d’une délégation du Saint-Siège a eu l’occasion d’exprimer lors d’une audition des vues sur des questions de bioéthiques : l’écoute était soutenue, le discours n’avait pas laissé indifférent, et si les avis avaient pu être nuancés, c’est tout de même un jugement positif qui l’avait emporté ne serait-ce que pour une seule raison : avoir élevé le débat.

C’est en effet l’ambition du débat, avec ses arguments et sa profondeur, qui peut être considéré comme l’objectif de cette présence du Saint-Siège à l’UNESCO, pas pour propager des vues étroites ou dogmatiques mais pour enrichir ce qui peut s’y dire et s’y faire.

Visionner le diaporama support de la conversation avec Mgr Follo