Les circonstances amènent toutes les organisations à revoir leur mode de fonctionnement et parfois à réduire le champ de leurs interventions mais ce nouveau contexte impose aussi des adaptations qui permettent d’assurer une continuité d’activité « optimale » souvent au prix d’efforts remarquables et d’une mobilisation des imaginations. C’est ce que l’on observe depuis plusieurs mois pour « l’ensemble UNESCO » qui fonctionne encore largement en mode virtuel et c’est ce que démontre ainsi le Conseil Exécutif qui continue de tenir efficacement ses réunions semestrielles en ligne sans bouleverser ses pratiques.

Cette 210ème session a été organisée autour d’un agenda qui, dans sa structure comme dans le nombre des sujets mis à l’ordre du jour, ne change pas par rapport aux précédentes réunions semestrielles du Board. Il y a les points habituels (exemple le Budget ou les rapports des auditeurs, le rapport d’activité, le point sur les Programmes, sur le suivi des Recommandations et Décisions etc), et des sujets nouveaux éventuellement proposés par les Etats. Le Président du Board mène les échanges comme à l’accoutumée, il est amené à prononcer un discours d’ouverture et un autre en clôture, comme la Directrice générale. Le Président de la Conférence Générale intervient également mais brièvement comme d’ordinaire. Les Etats membres du Conseil (58) et les non membres qui le souhaitent (17 lors de cette session) interviennent lors des débats et posent leurs questions à la DG suite aux observations formulées par cette dernière à l’issue du débat introductif. Suivent comme d’ordinaire les travaux en Commissions et notamment la Commission qui traite des relations avec les Partenaires Non Gouvernementaux (voir l’intervention de notre Présidente) ainsi que, le dernier jour, la séance de conclusion (rapport des Commissions et discours de clôture).

Une particularité cette fois ci : la session se tiendra en deux temps avec, d’une part une première session en mode virtuel du 2 au 10 décembre 2020, et, d’autre part, une seconde du 20 au 27 janvier 2021, dans toute la mesure du possible, en mode présentiel.

Nous proposons quelques éléments d’informations et de commentaires à partir de ce qui a été suivi (une bonne partie des échanges sont ouverts et couverts en temps réels).

Discours introductif du Président du Conseil Exécutif, M Agapito Mba Mokuy

Intervention très ciblée et empreinte d’une certaine solennité, résonnant comme un appel. En se référant à l’histoire des origines de l’UNESCO – le contexte et l’esprit de ceux qui avaient rédigé l’acte constitutif – le Président a appelé l’attention des membres du Conseil sur les problèmes ou risques de politisation. C’est un thème qu’il a repris (brièvement) par la suite à l’adresse des membres. Au moment d’un 75ème anniversaire de l’UNESCO qui ne pourra être fêté, alors que se prépare l’adoption d’une nouvelle Stratégie pour la décennie à venir, il a insisté pour qu’on soit attentif à ce sujet et qu’on ne trahisse pas ce qui est au cœur de l’Acte constitutif, en prenant le temps qu’il faut, pour le bien d’une organisation fondamentalement intellectuelle (ce qu’on pourrait comprendre, a contrario, comme fondamentalement non politique), et cela, c’est sa conclusion, par égard pour (for the sake of) l’UNESCO elle-même et pour l’Humanité.

Les Débats (suivi partiel) : quelques idées retenues

Avis largement partagé : il faut se féliciter de tous les efforts qui ont été déployés pour assurer l’organisation des échanges et la poursuite des activités de l’UNESCO malgré les vicissitudes du moment.

Comme toujours, l’Education fait l’objet de nombreux développements en lien notamment avec les travaux sur les « futurs de l’Education ». On pourra aussi noter deux autres thèmes mis en évidence :

  • Les Sciences dont l’importance comme facteur de Développement notamment en Afrique est soulignée.
  • L’Afrique est aussi fréquemment mentionnée pour rappeler avec insistance qu’elle doit rester l’une des deux priorités majeures de l’UNESCO, avec des actions concrètes comme l’illustre sur la période récente, celles qui sont conduites en faveur de l’école au sein de la Coalition mondiale pour l’Education lancée pour faire face aux effets dévastateurs de la crise Covid.

A souligner aussi, un accent tout particulier mis sur les initiatives prises ou qui vont être développées pour aider à combattre le racisme, l’antisémitisme, l’extrémisme violent, les agressions contre les scientifiques, les enseignants, les journalistes.

Reconnaissance de beaucoup pour les travaux conduits sur l’éthique de l’intelligence artificielle et les sciences ouvertes.

Le Liban a salué la communauté internationale et en particulier l’UNESCO qui est intervenue rapidement pour tout le soutien qui lui a été apporté après le sinistre destructeur dont a été victime la ville de Beyrouth.

L’Union européenne a donné des précisions chiffrées sur l’accroissement de ses financements destinés à des projets précis notamment en faveur de l’Afrique.

La question des PEID (Petits Etats Insulaires en Développement) inscrite à l’ordre du jour a été commentée avec l’expression d’un fort soutien (notamment celui apporté par le représentant du groupe des 77) à ces Etats particulièrement menacés par les risques de catastrophes naturelles.

Dernier point à relever comme un bémol pour un séance introductive par ailleurs tenue dans un climat apaisé ; malgré l’appel du Président du Conseil pour éviter toute polémique ou les propos par trop politiques, des critiques et parfois de sérieuses dénonciations ont encore été prononcées sur des sujets d’actualité : le changement de destination de Sainte Sophie, la question du Haut-Karabakh, ou la situation des écoles à Jérusalem.

Intervention du Président de la 40ème Conférence générale, Monsieur Altai Cenger

Brève allocution, très originale dans son contenu.

En introduisant son propos par une allusion aux travaux conduits au sein du groupe de travail sur la Gouvernance qu’il anime, le Président de la Conférence générale a souhaité livrer une réflexion que lui ont inspirée les échanges sur le sujet, à savoir tout l’intérêt que peuvent représenter les démarches (études, réflexions etc) contrefactuelles, parce qu’elles permettent de mieux (se) comprendre là où risquent de prévaloir les malentendus, la confusion, l’inintelligibilité en somme ; très simplement, il s’agit d’introduire dans les échanges une question hypothétique inverse de celle qui est posée et discutée (quid si c’était l’inverse ?).

C’est, selon M Cenger, un bon moyen de mieux voir les réalités et d’atténuer les risques polémiques ; avec un tel état d’esprit (une méthode, un outil qui diffèrent des approches habituelles), tout en préservant la dimension du Politique, on peut aller au-delà pour penser les aspects plus profonds des défis auxquels on doit faire face.

La Réponse de la Directrice Générale, Madame Audray Azoulay

Le propos aura été clair et riche de nombreuses informations. Plusieurs des ambassadeurs qui ont posé leur question par la suite l’ont remerciée à cet égard.

D’abord, la Directrice Générale a dit sa gratitude pour la confiance largement exprimée à toute l’UNESCO et son Personnel, ainsi que le soutien apporté aux actions conduites en particulier au titre de la Transformation stratégique.

Elle a énoncé les trois conditions requises pour réussir le Multilatéralisme : l’Unité, un esprit de Médiation et le souci permanent du Consensus.

Elle a adressé de façon appuyée ses remerciements à tous ses collaborateurs et dit sa reconnaissance pour leur mobilisation exceptionnelle dans une crise éprouvante.

A propos de la Stratégie, elle a rappelé qu’étaient évidemment confirmés les deux grands objectif (l’Afrique et le Genre) mais elle a aussi fait observer qu’une plus grande attention serait apportée à la grande question des Inégalités.

Rappelant combien les missions de l’UNESCO étaient de servir le Bien Commun, la DG a présenté ses observations en les articulant autour de trois axes qui permettent d’illustrer ce service du Bien Commun : l’Education, le Dialogue interculturel et la Liberté d’expression.

  • L’Education

Ce thème a été particulièrement développé, il est vrai que sur la période récente l’actualité a été nourrie, témoignant en cela d’un engagement fort malgré les conditions adverses, et en réalité largement intensifié du fait de l’immensité des besoins nés de cette situation.

Sans reprendre tout ce qui a été mentionné sur ce qui a été réalisé ces six derniers mois, comme par exemple la publication du rapport mondial sur l’Education qui a fait ressortir encore de grands retards par rapport aux objectifs de l’ODD4 ou le lancement de la Coalition mondiale pour l’Education, on aura noté les initiatives prises et que la DG souhaite voir être amplifiées en faveur de l’Education des femmes et des filles. En la matière, dans le cadre onusien et en lien avec l’Unicef, un guide a été publié pour aider à la mise en œuvre très concrète de politiques proactives en la matière.

Ce guide vient à l’appui de l’opération « Retour des filles à l’Ecole », qui vise particulièrement l’Afrique et où le rôle des enseignants est traité comme un élément essentiel pour « opérationnaliser » les mesures suggérées.

A noter aussi, la question du numérique : s’il est important d’en développer l’usage dans toutes les écoles et s’il faut reconnaitre tous ses bienfaits, Mme Azoulay ajoute qu’il ne faut pas concevoir une Education en « tout numérique ».

Mais pour rester sur ce thème, il est très important, fait-on observer, de développer une saine « culture de l’utilisation de l’internet » ; il convient de promouvoir un enseignement approprié permettant un sage usage de l’outil. Il faut que les jeunes aient une capacité à naviguer sur la « toile » avec une saine conscience critique leur d’éviter les abus de toutes sortes.

Parmi les autres sujets qui doivent tenir toute leur place dans les programmes, Madame Azoulay cite l’Education à la Citoyenneté et la sensibilisation aux questions touchant à l’environnement.

Elle a aussi relevé l’insistance de plusieurs ambassadeurs à propos de l’enseignement des Sciences pour souscrire à l’idée et montrer ce qui était fait en la matière. Elle a rappelé ici à propos du dérèglement climatique, le rôle essentiel que pourront tenir les scientifiques pour aider à la réalisation d’objectifs qui devront permettre de réconcilier l’Humanité avec la Nature.

Enfin, dernière idée de ce long développement sur l’Education, la DG a bien précisé que ne devaient en aucun cas être négligés les activités artistiques et la pratique du sport (annonce d’un prochain sommet des ministres du sport prévu pour 2021 au Kenya).

  • Les dialogues interculturels

Construire un socle de Biens Communs c’est aussi aller vers des sociétés plus inclusives, ouvertes à la Création artistique et au partage culturel : de l’importance des regards qui se croisent et s’apprécient, d’une conception plurielle de l’Histoire, du respect des Patrimoines hérités du passé avec leur diversité ; sur ce dernier point, la DG se veut plus concrète et plus engagée en évoquant sa proposition d’envoyer une Mission d’experts au Haut- Karabakh pour faire le point, mission qu’elle juge souhaitable mais à la seule condition qu’elle soit unanimement soutenue. Avec ce projet mais aussi d’autres opérations en faveur de patrimoines « Trésor de l’Humanité » à dimension parfois transfrontalière, en Afrique notamment, on peut illustrer toute la richesse d’une diversité culturelle soutenue par des donateurs qui en comprennent la portée universelle. A travers ces coopérations on développe une éthique des regards bienfaisantes où l’on reconnaît la diversité des visages culturels.

  • La liberté d’expression. La libre circulation de l’information

Dernier thème appelant à fédérer les idées au service d’un bien Commun essentiel : l’information et la liberté des expressions. Là aussi l’UNESCO entend être présente pour aider à la diffusion de l’internet, un monde internet d’accès universel et respectueux des droits humains. A cet égard, nous est rappelé l’ensemble des actions conduites pour combattre les discours de haine et plus généralement la violence en ligne.

Un souci particulier a été exprimé à propos du monde de l’Edition qui est fragile.

Il a été aussi fait allusion à l’Intelligence artificielle dont l’usage intrusif peut affecter la qualité du traitement et de la circulation de l’information : de l’importance ici aussi d’une éthique.

Toujours à propos de l’intelligence artificielle et de l’éthique la DG signale l’organisation prochaine d’une Conférence à ce sujet en Namibie.

Les Questions posées et éléments des réponses données par la DG

Peut-on nous donner plus d’informations sur les actions engagées au titre de la sécurité des journalistes, notamment à propos de la sensibilisation des juges ?

Sujet sensible auquel l’UNESCO prête une grande attention, notamment pour ce qui est de la formation des juges et de la coopération avec les Cours internationales des droits de l’Homme ; déjà 17 000 juges issus de 60 pays ont ainsi été sensibilisés ; le sujet « lutte contre l’impunité » est particulièrement mis en évidence ; sont prévues une Conférence mondiale de la liberté de la Presse et la signature d’un accord avec l’Organisation mondiale des Procureurs.

Que peut-on faire pour rendre plus cohérent les cadres et conditions de fonctionnement des Conventions culturelles ?

La DG reconnaît une certaine complexité de ces sept Conventions ; elle accueille favorablement l’idée d’une réflexion pour avoir une vision globale et faire ainsi ressortir des voies d’amélioration pour une meilleure cohérence ou moins de lourdeur.

Concernant les actions en faveur de la biodiversité : quels impacts peut-on mesurer ?

Sans donner d’indications chiffrées, la DG a fait état des nombreux travaux et rapports produits par les secteurs concernés ; elle rappelle aussi toute l’utilité des réseaux opérationnels mis en place comme par exemple le réseau des Géoparcs ; elle mentionne aussi les contributions importantes de la COI.

Peut on nous dire les prochaines étapes du chantier « éthique de l’intelligence artificielle » ?

Après prise en compte des réponses des Etats (à l’échéance de la fin d’année), un rapport final sera établi pour être soumis au prochain Conseil exécutif, le groupe des experts de haut niveau procédera aux ultimes ajustements l’été prochain, de sorte que le document puisse être présenté comme prévu à la prochaine Conférence Générale.

Comment voyez-vous les jeunes dans vos actions au titre de l’Education scientifique ?

Il faut les encourager à aller vers les Sciences, c’est un domaine qui recouvre de grands enjeux auxquels ils sont sensibles comme par exemple ce qui a trait aux dérèglements climatiques.

A propos des soutiens apportés en vue de restaurer les patrimoines culturels endommagés du fait des conflits armés, où en est-on ?

Deux opérations d’envergure sont menées, après l’engagement pour reconstruire Mossoul – un chantier qui avance bien avec notamment la reconstruction des mosquées et des églises– , il y a aussi l’initiative en faveur de Beyrouth ; ces entreprises de restauration donnent lieu à des appels d’offre notamment auprès du monde des architectes (un exemple donné montre que ces appels suscitent un grand intérêt) ou à des consultations publiques locales (exemple à propos de la reconstruction de minarets à Mossoul).

Quelle suite donnée à la déclaration de Belgrade sur les média et l’information ?

Beaucoup de travaux sont engagés ; Réflexions pour améliorer l’éducation aux media ; chantiers engagés sur la qualité des données, le recours à l’intelligence artificielle pour le traitement de l’information.

Après la Conférence mondiale sur l’Education et sa recommandation d’améliorer les actions de coopération, où en est-on ?

A été lancé un Groupe de travail qui publiera son rapport en avril 2021, seront en particulier traités les aspects « coordination », « architecture de coopération », « financement ».