CCIC UNESCO CONFÉRENCE : ARTS ET RELIGIONS, CULTURE DE LA RENCONTRE
Le 28 janvier 2016
Pour marquer ce début d’année, le CCIC a souhaité un événement qui s’inscrive dans la réflexion qu’il vient d’engager sur l’homme en quête de liberté au service de l’humanité dans la perspective d’une grande rencontre qu’il organisera en 2017, année du soixante dixième anniversaire de sa création…c’est ainsi qu’à l’occasion des vœux ont été données le 26 janvier deux belles contributions parlant de culture et religion avec un accent et des éclairages captivants concentrés sur l’art dans ses relations, ou plus joliment dit, son compagnonnage avec les religions, toute une alchimie source d’harmonie.
Deux interventions qui, pour être différentes au vu de leur objet, se sont magnifiquement combinées.
Le premier thème visait un témoignage concret sur les très riches expériences menées en Belgique par une association – I.T.OUCH’ – dont l’objet est de promouvoir le dialogue inter culturel et inter confessionnel avec la mobilisation du levier de l’art – pris dans son sens le plus large – auprès de nombreux publics.
Dans la seconde présentation, le professeur Jean Paul DEREMBLE qui avait choisi un thème très original « l’accueil de l’artiste par les religions comme facteur d’universalité » loin de s’enfermer dans une contribution par trop académique, nous a fait découvrir en termes très simples et avec seulement quelques belles illustrations tout ce que les arts et les religions ont pu avoir et peuvent toujours avoir en commun, et tout ce que ces liens peuvent comporter comme valeurs universelles et transcendantes.
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I.T.OUCH’ : une association pour le rayonnement par les arts créateurs de liens
l’art mobilise et inspire, le Beau réunit, au-delà des différences, quelque chose de divin
Madame Rozemarijn Vanwijnsberghe est venue de Bruxelles pour présenter l’originalité et la richesse des activités de
l’association belge I.T.OUCH’ qui mobilise les leviers de l’art et de la musique au bénéfice de communautés de nationalités et de religions très variées ; tout à fait dans l’esprit de ce que fait cette association, l’intervenante nous a offert, un peu à la manière d’une carte de vœux, une présentation conçue pour ainsi dire artistiquement, avec comme un message inspiré, illustré musicalement et par les images, mais aussi par des mots simples et forts de sens : la joie, le beau, la communion, la simplicité … tout un arrangement à la fois visuel et poétique pour évoquer mieux qu’un long discours l’essence de ce que recouvre les nombreuses actions que mènent cette organisation qui fonctionne en lien avec l’Institution Thérésienne.
En l’occurrence, il s’agit par le biais de l’art, sous toutes ses formes et en s’adaptant à tous les publics visés, d’encourager et développer des dialogues interculturels et inter religieux, sachant qu’à Bruxelles coexistent de nombreuses nationalités de cultures et de confessions différentes. L’idée sous-jacente est que le domaine artistique, sous toutes ses formes (image, musique, poésie…), est source de joie et d’harmonie, et que s’y immerger facilite les rencontres, et produit des effets positifs auprès de populations aux origines très diverses qui peuvent se rejoindre dans une communion jusqu’à trouver le bonheur ou la grâce transcendante de ce qu’apporte l’art, la musique, la parole. Ce témoignage renvoie à des expériences profondément humaines où l’on vise dans un premier temps « l’émotion » – celle que crée l’art, produit ou reçu, mais qui dépasse l’affect pour déboucher sur des dimensions de fraternité, d’échanges authentiques et aussi d’élévation, par exemple par le chant. L’important pour ceux qui animent cette organisation est bien d’ancrer les initiatives sur le terrain avec des actes, et ici, sans que l’on ait donné un luxe de détails, on aura compris que tout le succès de cette association tient à de nombreuses réalisations concrètes (conférences, expositions, chorales, déclamations poétiques etc) auprès de publics de tous âges, avec l’aide d’autres associations (importance des mises en réseau), et des actions de sensibilisation et de formation dans les écoles.
En conclusion, quelques réflexions nous ont été données, inspirées notamment de M. LONSDALE qui parle d’aller « en chemin avec la beauté », avec un art qui est comme un cadeau que Dieu nous fait. On aura compris de ce que nous dit I.T.OUCH que l’ art « prend » bien au-delà du beau où l’on s’émerveille, touché au premier abord : il élève l’âme dans la rencontre avec les œuvres et sa diffusion auprès de personnes qui n’y ont pas facilement accès contribue à la Paix.
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« L’accueil de l’artiste par les religions comme facteur d’universalité »
par Jean Paul DEREMBLE
Au-delà de l’œuvre, il y a la transcendance
D’entrée, l’orateur a dit comme il était sensible au témoignage d’I.T.OUCH’ tant il y trouve un écho de ce que lui-même voit comme universitaire mais aussi comme chrétien engagé versé dans l’approfondissement des questions touchant à l’art et aux religions. De fait, tout l’exposé qui a suivi aura montré magistralement mais avec une belle simplicité à quel point l’homme peut se retrouver dans l’art, en entretenant constamment, et cela se vérifie au travers de tous les âges, des relations fécondes avec les religions.
Quelques observations préalables : des constats, les aspirations de l’homme, la présence du divin
Trois évidences à rappeler :
-l’art est important dans toute société,
-les religions, quoique l’on en ait, sont une réalité incontournable,
-on peut concevoir comme un objectif de l’humanité la recherche de valeurs universelles où l’art et les religions peuvent se rencontrer, mais là, les choses ne vont pas de soi.
Sans doute peut on s’accorder sur une aspiration de l’homme à aller au-delà de lui-même, à trouver des valeurs qui le dépassent individuellement ou qui le transportent spirituellement : c’est la transcendance, une notion essentielle qui traverse pour ne pas dire caractérise spécifiquement à la fois les religions et les arts. Mais qu’entendre au juste ? Comme une sorte de base de départ, Jean Paul Deremble proposerait de se référer à la définition qu’en donnaient les grecs, en la faisant reposer sur un (fragile) équilibre entre la Vérité, la Bonté et la Beauté…des vertus qui étaient vues comme d’essence divine, mais cet équilibre instable, comment se conçoit-il ? Comment avoir une juste répartition de ces trois valeurs ? Y a-t-il quelque chose qui les unit, qui serait permanent et proprement universel et que l’on trouverait commun aux arts et aux religions ? Les réponses à ces questions ne sont pas faciles, on touche le domaine du sensible, du ressenti et cela peut être conflictuel (voir par exemple les querelles autour de l’art contemporain).
L’harmonie par les arts : au-delà d’un simple regard.
Pour essayer d’atteindre l’harmonie entre ces trois piliers de la transcendance, il y a comme une réponse évidente : l’amour partagé, un amour qu’il faut chercher à faire prévaloir, à vivre : il permet d’éviter les conflits, et d’apaiser là où parfois règnent les tensions, voire la violence. C’est ici que l’art peut aider à la réconciliation de ceux qui peuvent par trop s’attacher à la défense de leurs « credos » : son apport au travers de la transcendance nourrit les intériorités avec une confrontation des âmes aux œuvres qui conduit au-delà d’une simple contemplation. Alors, l’art est engagé dans une relation subtile avec les religions qui sont à la fois sources d’inspiration et réceptacles de ce que peut produire le génie artistique, avec la libre expression du talent créateur de l’artiste. Cette aide de l’art, les effets qui découlent du regard ou de l’écoute, cette mobilisation des sens par l’entremise de l’artiste donnent alors du sens, et révèlent en chacun une part d’invisible et d’indicible où l’artiste inspiré capte et donne plus que ce qu’on voit. En ce sens, l’art n’est jamais une imitation de ce qu’on connaît, et surtout pas le miroir fidèle de ce qu’on est, et que l’on se plairait à retrouver dans un plaisir narcissique. Il est tout autre et bien plus, on pourra alors parler d’une indication offerte à l’imagination pour produire mystérieusement et magnifiquement cette élévation de l’âme que l’on retrouve dans les religions ; les œuvres d’art approchent et parfois sont pleinement de l’ordre du divin comme le suggère PLOTIN, on en compte maints exemples à toutes les époques, et dans des formes très variées.
Les illustrations d’un dialogue fécond entre les arts et les religions
Pour illustrer son propos, Jean Paul Deremble – qui s’est concentré sur l’Europe et le Moyen Orient – a commenté de façon très convaincante une quinzaine de figures en nous montrant toute la force de leur inspiration et leur puissance d’expression en rapport avec les religions , qui nous situent au-delà du réel. A été aussi souligné ce que ces créations artistiques d’inspiration religieuse peuvent avoir de spécifique en rapport avec les règles voire les interdits émanant des religions, avec ici la question sans doute la plus prégnante qui a trait à l’interdiction de représenter la figure de Dieu dans le judaïsme et le monde musulman, et qui a nourri aussi certaines polémiques dans l’histoire du christianisme.
Les fresques d’une synagogue ou d’une église, les arabesques des mosquées, l’évocation du retable de GRUNENWALD, de certains tableaux du CARAVAGE, la transfiguration d’après RAPHAEL, la scène de l’annonciation de FRA ANGELICO ou, sur la période la plus récente, les productions magistrales de CHAGALL, ou encore, de façon plus minimaliste le tableau du sermon par GAUGUIN ou enfin les décorations de chapelles par MATISSE et PICASSO… autant de chefs d’œuvres que l’on nous a commentés en nous montrant comment ils étaient à la fois porteurs d’une histoire – biblique, sacrée – et révélateurs (potentiels) par le jeu des lumières, des formes et des couleurs d’un indicible qui parle à l’intelligence et au cœur.
L’architecture elle aussi apporte sa part au dialogue incessant qui se noue au travers d’elle avec les religions pour, là aussi, créer de la transcendance…. avec le jeu des lumières et des formes, et aussi avec les trésors d’ingéniosité que déploient les architectes maîtres en art monumental sacré pour élever des coupoles ou des voûtes : Sainte Sophie, la mosquée bleue, les cathédrales comme celles de Bourges et depuis peu celle de Créteil…toutes visent le ciel, la lumière, l’élévation du regard, un appel vers le ciel.
Qu’il s’agisse d’œuvres picturales, figuratives ou non, ou monumentales, ce voyage au travers de quelques œuvres du patrimoine de l’humanité nous a montré comment l’artiste peut mobiliser des valeurs qui tout à la fois sont religieuses dans leur essence et souvent dans leurs sources, et profondément humaines ; la présence d’une absence, la figure de l’alliance, l’expression d’une souffrance, la suggestion de nos fragilités, l’horreur de la crucifixion et la gloire du Christ en croix qui rejoint son père, la lumière face aux ténèbres…voilà – entre autres choses – ce que Jean Paul Deremble nous a fait (re)découvrir et qui ne peut laisser indifférent tant ces productions artistiques –mot peut être un peu trop trivial- peuvent entrer en résonance avec ceux qui les « goûtent » en leur for intérieur.